> Salut Matthieu, merci de nous recevoir. Tu es professeur de clavier à l'EMA, tu y gères des ateliers et tu as une carrière de pianiste/claviériste très demandé avec de nombreux projets à ton actif. Peux-tu nous donner un bref aperçu de ton parcours ?
Pour faire court, mon parcours est celui d'un enfant ayant grandi dans un environnement imprégné de musique. Mon père était musicien de boîte de nuit dans les années 70. À la maison, j'ai grandi avec une sœur de quatre ans mon aînée, et ma mère aimait beaucoup la musique. Mes parents se sont d'ailleurs rencontrés en boîte de nuit. J'ai grandi entouré de vinyles et de CDs qui ont rythmé mon enfance, remplissant nos journées, nos après-midi, nos week-ends, et nos voyages en voiture. Avant même de savoir parler, je tapais sur les casseroles dans la cuisine avec des spatules en bois. Ma sœur, qui avait commencé le piano à l'âge de huit ans, prenait des cours à domicile. Je me tenais souvent à côté du piano, et un jour, j'ai voulu m'y mettre aussi. Ainsi, de fil en aiguille, j'ai commencé à jouer, même si au départ, mon premier amour était la batterie, comme mon père.
Cette passion pour le rythme a toujours influencé mon jeu au piano. J'ai débuté mes études au Conservatoire populaire avec Alexandre Loeffler, en suivant une formation classique. Ma première professeure de solfège, Mme Sauty, était une enseignante exceptionnelle. Elle nous a sensibilisés au développement de l'oreille de manière ludique, avec des collections de cloches, rendant le solfège plaisant contrairement à l'expérience de mes amis.
J'ai étudié le piano classique de l'âge de 5 à 15 ans. À un moment, j'avais envisagé d'arrêter pour me consacrer au football, mais mes parents ont insisté pour que je continue. Mon professeur a alors fait en sorte que j'intègre la classe d'Evaristo Pérez, où tout a pris sens pour moi. J'ai compris que la musique serait une part essentielle de ma vie. J'ai alors fait des parallèles entre la musique classique que j'apprenais et les genres musicaux qu’on écoutait à la maison.
J'ai aussi rencontré Moncef Genoud, qui enseignait au collège à cette époque et proposait des cours facultatifs. Cela m'a conduit à mes premières expériences en groupe. J'ai passé une année au Conservatoire Supérieur de Lausanne, mais je n’étais pas fait pour ce cadre. J'ai donc arrêté la formation institutionnelle et continué ma formation musicale à travers divers projets, rencontres et formations continues.
> Est-ce que tu pourrais également nous parler de ton actualité, tes récentes tournées, tes projets, tes albums, tes enregistrements en cours ?
Actuellement, je suis impliqué dans plusieurs projets qui me tiennent particulièrement à cœur. Mon projet principal s'appelle KUMA, un quartet de jazz-groove instrumental avec Maxence Sibille, Fabien Iannone, et Arthur Dononot. En ce moment, nous travaillons sur la sortie d'un nouvel EP, essentiellement sous forme de vidéos que nous avons tournées en octobre dernier dans un studio à Zurich. L'EP sortira en début d''année. Nous partons en Espagne dans deux semaines pour une série de 3 concerts en Catalogne.
Ensuite, il y a The Blakats, un projet funk où nous jouons tous les premiers jeudis du mois au Chat Noir. Ce groupe, spécialisé dans les reprises de funk-soul, anime les soirées Blakat Jam Sessions que j'ai eu la chance de reprendre il y a de ça 14 ans.
Je joue également avec Stress, rappeur suisse particulièrement connu en Suisse Allemande, nous venons de terminer une tournée de 10 dates dans les plus grandes salles Outre-Sarine. Cet été, nous serons sur scène en festivals openair, dont Locarno, Moon and Stars sur la Piazza Grande. Lors de notre dernier passage là-bas, il faisait « 62 degrés » sur scène (rires...), c'était intense.
Récemment, je suis rentré du Japon où j'ai eu la chance de passer neuf jours avec Florence Chitacumbi, une excellente chanteuse de Neuchâtel. Nous avons joué à Tokyo, Niigata, et Kanazawa avec Maxence Sibille et Cyril Moulas.
> Revenons à tes origines, si tu le veux bien. Comment as-tu progressé au clavier ?
Étant formé comme pianiste, mon premier clavier était tout naturellement un piano. Il s'agit d'un magnifique Nordiska Futura, un piano d'étude pour lequel mes parents se sont sacrifiés à l'époque. Ce piano est encore chez ma mère. Quand j'ai commencé à jouer en groupe vers 15 ans, dans le big band de l'Harmonie des Eaux-Vives dirigé par Daniel Verdesca, j'ai découvert les instruments électroniques. Le premier clavier électronique que j'ai utilisé était un Roland RD-300 GX, appartenant à la fanfare. C'était une véritable machine de guerre pour moi.
Pour mes propres concerts, le premier clavier que j'ai acheté était un Korg SV1. Ce modèle, avec ses 88 touches, était lourd mais excellent pour l'époque. Il m'a permis de vraiment travailler les sons grâce à ses pré-amplis et ses effets intégrés. J'ai également découvert le Fender Rhodes, qui a été un tournant dans ma carrière. Pendant longtemps, j’ai essayé de n’avoir que le Rhodes dans mes projets de créations.
Un des moments-clé en terme de son, a été une masterclass avec Léo Tardin, où j'ai découvert le delay Boss DD-7 à travers lequel passait justement un Fender Rhodes. Cet effet m'a tellement impressionné que je l'ai acheté immédiatement et je l'utilise encore aujourd'hui. Ensuite, je me suis tourné vers les claviers Nord, notamment pour un projet de hip-hop. En 2014, j'ai acheté un Nord Stage 2, que j'utilise toujours. Pour les festivals, je demande souvent un Nord Stage 3 ou 4.
Récemment, j'ai reçu un Juno 60 pour mes 30 ans, un cadeau de ma famille et de mes amis. J'ai également divers autres claviers à la maison, comme un Korg Kronos pour la production, un Moog Minitaur, Roland Gaia SH-01,.... Chaque synthé apporte une texture unique et peut être utile dans des productions futures.
> En fait, tu utilises pas mal de pédales…
Oui, bien sûr. Pour mon setup de base avec le Rhodes, j'utilise plusieurs pédales. J'ai un delay et une reverb Tremolo de chez Strymon, la Flint, qui est fantastique. J'ai également un multi-effet Freeze de chez Electro-Harmonix, le Super Ego+. Une autre pédale impressionnante que j'utilise est le Tensor de Red Panda, un pitch modulator, looper et randomizer. C'est incroyable pour ajouter des moments imprévus dans un concert.
J'utilise aussi la Twimble Swimble de Mad Professor, une distorsion parfaite pour le Rhodes. Trouver une bonne distorsion pour le Rhodes peut être compliqué car chaque instrument réagit différemment. J'ai essayé plusieurs pédales avant de trouver celle qui convenait. Par exemple, j'ai utilisé un overdrive de chez Boss à mes débuts, mais ça ne me satisfaisait pas.
Un guitariste serbe nommé Nenad Gajin m'a fait découvrir une fuzz personnalisée. Bien que ce fuzz ait été génial, il compressait trop les graves. Après de nombreux essais, j'ai finalement trouvé un overdrive polyvalent qui me permet d'ajuster les basses et les aigus selon l'instrument et l'ampli utilisés. C'est la pédale la plus flexible que j'ai pour obtenir le son désiré, peu importe l'équipement à ma disposition.
> Est-ce que tu joues d'autres instruments ?
Je n'aurais pas la prétention de dire que je joue d'autres instruments, mais j'adore m'installer derrière la batterie. Parfois, lorsque je donne des cours d'atelier et que le batteur est absent, j'aime bien prendre sa place. Depuis que je suis enseignant à l’EMA (septembre 2020), j'ai découvert la basse, un instrument qui m'a toujours fasciné. La basse est un instrument que je trouve superbe. On y retrouve beaucoup d'éléments du piano, ce qui facilite la transition. Parfois, je suis encore en train de me repérer entre les différentes caes, mais j'aime l'utiliser dans des ateliers quand les lignes ne sont pas trop complexes. Cependant, je ne prétends pas jouer de concerts à la basse.
> Quels sont tes styles de musique préférés et tes influences majeures ? Ont-ils évolué avec le temps ? Si oui, pourquoi et comment ?
Mon ADN musical provient de l'univers dans lequel j'ai grandi. Durant ma jeunesse, j'étais bercé par des artistes comme Stevie Wonder, Earth, Wind & Fire, Aretha Franklin, Marvin Gaye, ainsi que par la Motown, le disco et la funk. On écoutait aussi beaucoup de musique latine à la maison, de la salsa au merengue en passant par la musique brésilienne. Mon intérêt pour ces styles n'a jamais faibli.
J'ai évolué en cherchant à renforcer ces influences et à établir des liens avec d'autres genres que j'écoute. Le jazz a été une révélation pour moi, me faisant réaliser que toutes ces musiques ont des racines communes. Pour moi, le jazz est plus un état d'esprit qu'un simple genre musical, un moyen de s'adapter et de trouver sa place dans divers projets tout en respectant l'esthétique propre à chaque style.
J'ai toujours trouvé que le jazz, souvent perçu comme inaccessible, est en réalité une musique de fête, faite pour danser et s'amuser. Je crois que c'est l'intellectualisation du jazz au XXᵉ siècle qui a contribué à sa réputation de complexité. Mes premiers projets de jazz à 17 ans ont surpris mes amis, leur faisant découvrir une facette plus accessible de ce genre.
Aujourd'hui, je suis moins émerveillé par les performances instrumentales démonstratives. Je préfère des styles plus terre-à-terre, où le rapport au groupe et la communication sont essentiels. J'ai également un grand amour pour la musique électronique, découvert à travers la trance à 16 ans et plus tard la house music, qui m'a fasciné par ses similitudes avec le disco que j'aime tant.
Je continue d'écouter et de produire de la musique électronique, en gardant toujours cette curiosité et ce désir de relier les différents univers musicaux qui m'ont influencé.
> Quels sont tes claviers préférés ? Tu joues principalement des Nords. Y a-t-il une raison particulière à ce choix ? Qu'est-ce qui est important pour toi dans un clavier ? Utilises-tu également d'autres marques ou modèles ?
Mon clavier préféré reste le Fender Rhodes. Le piano suit de près, rivalisant avec le Rhodes. J'apprécie particulièrement les claviers Nord pour leur polyvalence et leur stabilité. Depuis la sortie du Nord Stage 3, les avancées en matière de synthèse sont impressionnantes, ce qui en fait des instruments incroyablement complets.
L'aspect pratique des Nord est également un atout majeur. Que je joue à domicile ou en concert à Bümpliz ou à Shanghai, je peux retrouver les mêmes sons en connectant mon ordinateur au clavier sur place. Cela facilite grandement la logistique et garantit une continuité sonore.
En termes de synthèse, le Juno-60 occupe une place spéciale pour moi. Son son distinctif, emblématique des années 80, est redevenu populaire dans les musiques lo-fi et les productions de la scène de la West Coast. Utiliser le Juno-60 donne immédiatement une direction artistique spécifique à une production grâce à son caractère sonore unique.
Outre les Nord et le Juno-60, j'utilise aussi des claviers de Korg, Roland et Moog. J'apprécie particulièrement le Korg Minilogue, un synthétiseur polyphonique quatre voix, qui est petit et facile à transporter, bien qu'un peu délicat à jouer en live en raison de sa taille réduite.
En fin de compte pour moi, un bon clavier doit être polyvalent, stable et offrir des sons distinctifs qui peuvent s'adapter en fonction des styles….Ah, il faut aussi qu’il soit pratique à utiliser en studio et sur scène ! C’est facile à trouver, ça (rires)…
> Comment décrirais-tu ton expérience avec Servette-Music ?
Mon expérience avec Servette-Music remonte à lorsque mon père se rendait souvent chez Stephan pour du matériel. Même si ce n'était plus sa période de musicien professionnel, il avait toujours besoin de matériel pour sa batterie. J'ai donc grandi en voyant Stephan, depuis mon enfance. Plus récemment, j'ai eu l'occasion de vous connaître également grâce à Maxence, l'un de mes meilleurs amis et collègue à l’EMA, qui fréquente régulièrement votre magasin pour du matériel.
Personnellement, en tant que pianiste et musicien, je suis venu chez vous quelques fois, bien que pas aussi souvent que je le devrais. Mais à chaque visite, j'ai été accueilli chaleureusement et professionnellement. Je pense que Servette-Music offre un service de qualité et une atmosphère propice à prendre son temps, ce qui est essentiel dans un magasin de musique. Les rares fois où j'ai eu besoin de vous, cela s'est toujours très bien passé.
> Comment se passe le travail de composition pour toi, si tu composes ?
Je compose depuis environ quinze ans. La composition reste un exercice toujours difficile, mais je m'y adonne principalement avec mon instrument. Parfois, des mélodies me viennent à l'esprit, que je saisis dans mon téléphone. J'enregistre également des séquences rythmiques lorsque l'inspiration se fait sentir. Concernant le processus de composition, je m'appuie sur différentes méthodes : des grilles harmoniques, des grooves, ou encore des mélodies. Varier les approches permet d'explorer de nouveaux horizons musicaux.
Je compose principalement pour le groupe Kuma, en collaboration avec Arthur Donnot. Grâce à des logiciels comme Ableton Live, on envoie des maquettes aux membres du groupe, comprenant des éléments comme des grooves de batterie ou des lignes de basse. Le travail en collaboration est essentiel, on façonne puis peaufine le morceau avec les autres membres du groupe-
Par ailleurs, je collabore avec Valentin Liechti, un ami et musicien talentueux, spécialisé dans la production musicale et l'ingénierie du son. Son studio a été crucial pour l'enregistrement du dernier album de Kuma. Travailler avec lui ajoute une perspective supplémentaire à nos créations.
Quant à mes projets futurs, je suis en discussion pour collaborer avec une chanteuse de Lausanne sur un projet à venir. J'ai également travaillé sur le dernier EP de Florence. Je suis particulièrement intéressé par la production musicale pour d'autres artistes, car cela me permet d'explorer de nouveaux territoires créatifs et d'enrichir mon expérience.
Enfin, j'ai mis en place un atelier de composition à l'EMA. Cette expérience m'a conforté dans l'idée que j'aimerais développer davantage ma carrière dans la composition et la production musicale. Chaque jour apporte son lot d'apprentissage dans ce métier passionnant où l'on ne cesse jamais de progresser.
> Quels sont les projets qui t’animent pour l’avenir ?
Mon projet majeur serait d'emmener Kuma dans d'autres régions que la Suisse. Cette idée me tient énormément à cœur, à la fois sur le plan humain et musical. Sur le long terme, j'aimerais peut-être développer davantage mes activités de production et de direction artistique pour des projets où je ne serais pas nécessairement impliqué en tant que musicien.
Je compte aussi continuer à apprendre constamment, que ce soit auprès de mes collègues, des personnes rencontrées dans ce milieu, ou même de mes élèves, qui m'apportent énormément. Garder cette curiosité, cette volonté de bien faire avec ceux avec qui je travaille, que ce soit dans le cadre de l'enseignement, de la performance ou de la production, c'est là mon plus grand projet pour l'avenir.
> Quel conseil donnerais-tu à de futurs pianistes ou claviéristes ?
Tout d'abord, foncez, car c'est le plus bel instrument de la planète. Désolé pour les autres (rires…). Plus sérieusement, le piano est l'un des rares instruments que vous pouvez pratiquer seul chez vous sans avoir besoin de beaucoup de gens pour jouer avec vous. Il vous garantit également une justesse parfaite des notes, à moins que vous n'ayez mal réglé le pitch de votre synthétiseur.
Je vous conseille de commencer par le piano, car c'est un instrument qui vous donnera des bases solides pour aborder tous les autres claviers. Ne craignez pas de vous aventurer dans les réglages et les boutons. Avec les technologies actuelles, tout est pré-enregistré et modifiable, alors ne vous retenez pas. De plus, le clavier est extrêmement polyvalent : vous pouvez jouer de la basse, de la guitare, voire de la batterie avec lui, même s'il est toujours préférable d'être accompagné par des instrumentistes dédiés.
Dans le domaine de la production en studio, savoir manier le clavier est un atout considérable. Écoutez une grande variété de musique, car le piano a été un instrument central dans de nombreux genres, du classique au jazz en passant par le rock. Osez explorer différents styles musicaux et ne craignez pas de vous tromper. Enfin, si vous n'êtes pas satisfait, changez de voie. L'important est de vous épanouir dans votre pratique musicale.