Interviews exclusives
> Bonjour François ! Merci d’avoir accepté cette interview. Pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, pourrais-tu te présenter en quelques mots et nous parler de ton parcours musical ?
Bonjour Claude, merci pour cette invitation ! Me présenter n’est jamais simple, mais je vais faire de mon mieux pour résumer l’essentiel. Je suis clarinettiste, né au Brésil, dans une famille de musiciens qui vivent leur art depuis plusieurs générations. Mon grand-père était violoniste et professeur réputé à la Hochschule de Francfort, tandis que mon père, pianiste et soliste exceptionnel, a partagé son amour de la musique tout au long de sa vie. Bien qu’issus de Suisse romande et d’origine germano-tchèque, mon père a choisi le Brésil pour vivre. Ma mère est brésilienne, ce qui m’a offert dès l’enfance un univers musical mêlant des influences multiples.
J’ai commencé mes études de clarinette au Brésil, sous la direction d’un grand professeur, Leonardo Righi. Puis, à l’âge de 17 ans, ma famille a déménagé en Europe. J’ai poursuivi mes études en Autriche, d’abord à Graz puis à Vienne, où j’ai approfondi la clarinette mais aussi la composition et la direction d’orchestre. Mes débuts professionnels se sont faits en Suisse, à la Tonhalle de Zurich, notamment avec le Concerto de Nielsen en 1988, puis avec le concerto de Mozart. Cela m’a ouvert les portes des grandes salles européennes, que ce soit comme chambriste ou soliste. En 1991, j’ai reçu à Rome le prestigieux prix de la presse italienne, le Premio Internazionale per l'Arte dello Spettacolo, qui a marqué le début d’une nouvelle étape dans ma carrière, avec des invitations dans des centres musicaux comme la Philharmonie de Berlin, le Musikverein de Vienne, le Concertgebouw d’Amsterdam, entre autres. Par la suite, j’ai collaboré avec de nombreux orchestres de renom et enregistré des œuvres de compositeurs tels que Mozart, Penderecki, Nielsen, Debussy et l'oeuvre intégrale pour clarinettes de Brahms entre autres.
Depuis 1993, je me consacre également à l’enseignement. J’ai le plaisir de transmettre mon savoir à la Hochschule für Musik de Bâle depuis 1995 et à l’Université der Kunst de Berlin depuis 1996. J’enseigne toujours avec passion, et je m’efforce d’aider mes élèves à atteindre leur propre voix musicale.
> Tu as évoqué tes débuts au Brésil. Comment t’es-tu finalement orienté vers la clarinette, et pourquoi cet instrument en particulier ?
Mes débuts sont un peu inhabituels ! J’ai commencé par le violon, mais très rapidement, nous avons déménagé à São Paulo, une ville très polluée, ce qui a provoqué chez moi des problèmes d’asthme. Les médecins ont suggéré à mes parents que jouer d’un instrument à vent pourrait m’aider à renforcer mes poumons. C’est ainsi que j’ai commencé par la flûte à bec.
Mais le moment décisif a été lorsque mon père a fondé un ensemble de musique de chambre à São Paulo, la Camerata Benda. Ils ont joué *Quatuor pour la fin du temps* de Messiaen, et le clarinettiste principal de l’Opéra de São Paulo, Leonardo Righ, était de la partie. À ce moment-là, à neuf ans, j’ai été ébloui par la clarinette et ai décidé de l’apprendre. Mon père, un peu perplexe, m’a d’abord dit que ce n’était pas un « vrai » instrument, car on n’y trouve pas de musique baroque. Mais malgré ses réserves, je suis resté convaincu. Quand nous sommes arrivés en Europe, j’ai pu continuer à travailler cet instrument de manière plus approfondie, et c’est là que j’ai trouvé la clarinette autrichienne, qui m’a profondément influencé.
> Outre la clarinette, as-tu exploré d’autres instruments ?
En effet, en plus de la clarinette, je joue du piano. Bien que j’aie commencé tardivement, à l’âge de 17 ans, j’ai dû acquérir de solides bases pianistiques pour pouvoir suivre mes études de composition et de direction d’orchestre à Graz. Cela m’a demandé un travail intense, mais c’est un instrument que j’adore. Le piano est aussi un excellent complément pour un clarinettiste, surtout quand on enseigne. Il m’arrive souvent d’accompagner mes élèves, car cela permet de bien saisir toute la richesse harmonique d’une œuvre.
J’ai également un saxophone alto, que je joue occasionnellement, mais seulement pour le plaisir. Bien que je ne prétende pas être saxophoniste, je prends toujours plaisir à improviser avec cet instrument.
› Comment t’es-tu intéressé à la conception de la clarinette et à l’innovation technique, avec des barillets et pavillons revisités ? Peux-tu aussi nous en dire un peu plus sur ta société, Clarinartis ?
Mon intérêt pour la conception d’instruments a commencé dès mes études en Autriche, lorsque j’ai rencontré René Hagmann. Je me posais alors de nombreuses questions sur les défauts et les qualités de sonorité de la clarinette. Par exemple, pourquoi certaines notes sont-elles intonées différemment ou présentent-elles des limitations ? Je rêvais d’une clarinette plus homogène, qui aurait cette chaleur sonore caractéristique mais sans compromettre les aigus ou les graves.
René Hagmann a été un partenaire essentiel dans cette démarche. Grâce à lui, j’ai pu explorer les aspects mécaniques de l’instrument et améliorer plusieurs éléments comme les barillets et pavillons. En 2009, pour protéger nos recherches, j’ai fondé Clarinartis, dont l’objectif est de personnaliser chaque instrument. Cela permet d’obtenir un son unique et expressif pour chaque musicien, ce qui, à mes yeux, redonne de l’authenticité à l’instrument, car aujourd’hui beaucoup de clarinettes se ressemblent trop.> Il paraît que tu joues pas mal d’autres instruments, lesquels ?
Alors je jouais du violon, mais maintenant beaucoup moins. C’est très contraignant physiquement par rapport à la guitare, parce que ce n’est pas du tout la même posture. Je joue aussi plutôt pas mal de la mandoline, car c’est l’instrument de ma maman. Je joue plutôt correctement de la basse, je fais un peu de batterie, et puis je pianote. Je connais aussi les accords au piano, donc je peux composer au piano… Mais les instruments que je maîtrise vraiment, ce sont la guitare et la basse.
> Parle-nous de la clarinette Resonance, et que symbolise pour toi le concert de lancement au Conservatoire de Genève le 14 novembre ?
Le modèle Resonance est un projet qui me tient énormément à cœur, car il représente plus de 30 ans de travail et de recherche. Avec René et Jochen, nous avons cherché à combiner le meilleur des clarinettes françaises et allemandes pour créer un instrument plus harmonieux et équilibré. Jouer cette clarinette en public pour la première fois lors du concert au Conservatoire de Genève est une étape marquante pour moi.
Pour ce concert, je vais interpréter le concerto pour clarinette de Mozart. C’est une œuvre magnifique et exigeante, qui me permet de mettre en valeur les qualités sonores de l’instrument. Ce modèle Resonance de basset m’offre une grande aisance et une sonorité riche et profonde qui s’adapte parfaitement à cette œuvre sublime de Mozart. Le programme inclura également le *Concertino* de Weber, une pièce intense et romantique. C’est donc un événement auquel je tiens beaucoup, car il me permet de partager cette innovation avec le public.
› Ton lien avec Servette-Music et René Hagmann semble solide. Quelle a été l’importance de cette collaboration dans ta carrière ?
Ma relation avec Servette-Music et René Hagmann est précieuse. Depuis que je l’ai rencontré en 1981, René a été un partenaire de confiance dans le développement de mes instruments. Son expertise technique a souvent permis de concrétiser des idées acoustiques que j’avais en tête. Nous avons travaillé ensemble pendant des années pour trouver des solutions qui puissent améliorer la sonorité et la jouabilité des clarinettes, et ce dialogue est vraiment unique.
René m’a toujours soutenu, et notre collaboration s’est construite sur un échange sincère. Quand j’ai une idée ou un besoin acoustique, il trouve une réponse technique. C’est une chance immense pour un musicien de pouvoir compter sur un luthier aussi compétent et passionné. C’est pour cela que je suis toujours resté fidèle à Servette-Music et que j’ai confié mes instruments à René pour des ajustements et des innovations.
> Quels sont tes grands projets musicaux et pédagogiques pour les années à venir ?
L’enseignement est une de mes grandes passions, et cela fait maintenant presque trente ans que je partage mon expérience avec les jeunes musiciens, notamment à la Hochschule de Bâle et à l’Université der Kunst de Berlin. Chaque école a ses spécificités, Bâle étant axée sur le développement artistique et Berlin sur la tradition technique. Pouvoir enseigner à mes élèves les deux systèmes, français et allemand, est une expérience unique, qui permet de former des musiciens complets, ouverts et capables de s’adapter.
J’ai aussi la chance de compter parmi mes élèves des lauréats de nombreux concours et des musiciens occupant de grands postes dans les orchestres européens, asiatiques et américains. C’est une satisfaction de savoir que le travail mené ensemble leur a ouvert des portes et a contribué à leur réussite.
Côté musique, plusieurs projets m’enthousiasment, notamment la publication des oeuvres de Penderecki, et bien sûr le projet avec la clarinette Resonance, que je souhaite exploiter pour redécouvrir des œuvres classiques et contemporaines. J’ai également des concerts et des master classes de prévues, en Autriche (Vienne), en Slovénie et en Allemagne, qui me permettent de transmettre à la nouvelle génération ce que j’ai appris tout au long de ma carrière.
> Pour conclure, quel conseil donnerais-tu à des clarinettistes qui souhaitent aller le plus loin possible ?
Pour quiconque souhaite embrasser la clarinette de manière professionnelle, il est essentiel de maîtriser la technique, mais aussi de cultiver la qualité du son, l’intonation et le legato. Un.e clarinettiste doit prendre le temps de travailler ses gammes et arpèges avec rigueur et patience. Ce n’est pas seulement la virtuosité qui fait la différence dans une audition, mais la qualité du jeu, la capacité à jouer avec une sonorité homogène et expressive.
Je conseille également d’apprendre le piano pour approfondir ses connaissances harmoniques, car la clarinette n’a que peu de répertoire baroque, ce qui limite un peu cet aspect de la formation musicale. Connaître la musique baroque est essentiel pour appréhender le répertoire classique et romantique. La tradition baroque nous enseigne le phrasé, la structure et l’art de la respiration musicale, des qualités qui enrichiront toute interprétation.
Enfin, je dirais qu’en tant que clarinettiste, on doit toujours chercher à apprendre et à élargir sa culture musicale. Jouer de la clarinette, c’est comprendre et maîtriser un instrument, mais c’est surtout faire vivre une musique, une émotion.
> Bonjour Aude, tu es maintenant titulaire du CFC de factrice d’instruments à vents, tu es assise à ton poste de travail pour y assurer ton métier cette fois-ci de façon autonôme? Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Je ressens beaucoup de fierté envers mon parcours et mes capacités. Il faut quand même préciser que cela faisait un moment que j'attendais ce moment (rires) ! Je m'explique : en 2016 j'ai effectué un stage de 2 semaines chez Servette-Music dans le cadre de mes études de culture générale. À l'époque je n'étais pas sûre de ce que je voulais faire, ce stage m'a énormément plu et m'a ouvert les yeux sur le fait que je me verrais bien faire ça. À l'époque le dernier apprenti finissait sa 4e année et René Hagmann ne se voyait pas reprendre un apprenti avant la retraite. Je n'ai donc pas cherché plus loin en Suisse romande car les places sont très rares, voire trop loin pour mes possibilités. J'ai donc effectué un apprentissage de libraire.
En février 2020 alors que je préparais mes candidatures de libraire post apprentissage, René Hagmann m'appelle et m'offre une place d'apprentissage, ainsi que la possibilité de me former pour me garder. J'ai accepté. J'ai donc enchaîné 2 apprentissages, 7 ans avec le statut d'apprentie. Je ressens donc beaucoup de fierté pour ma persévérance et mon choix de recommencer un 2e CFC. Maintenant que je suis assise à mon établi dans cet atelier mythique, je me réjouis de continuer à me perfectionner au gré des instruments qui vont passer entre mes mains, et je vais profiter de René Hagmann et de Didier Imesch jusqu’à leur derniers jours chez Servette-Music pour qu'ils me transmettent leurs précieuses connaissances.
> En plus de l'obtention de ton CFC, l'Université de Genève t'a décerné le prix de l'apprentissage dans un métier rare, pour ton parcours remarquable. Qu'est ce que cela représente pour toi ?
C'est une belle reconnaissance pour ce métier si peu connu. Je crois qu'il est très important que les petits métiers bénéficient de visibilité. Ce CFC a d’ailleurs failli disparaître au début des années 2000 avant qu'une nouvelle école ne se crée et que le Certificat soit réformé. Je suis heureuse d'être une représentante de cette formation.
> Comment se sont déroulées ces 4 années d’apprentissage ?
Finalement très bien. Les 3 premiers mois je n'ai pas touché un seul instrument. René Hagmann était à mes côtés pour m'apprendre la mécanique de base, la précision, le sens du mouvement et de la 3D. Je me souviens de mon premier jour, j'ai scié des plaques de différents métaux toute la journée ! pour "goûter" chacun de ces matériaux. Une fois la mécanique acquise, j'ai commencé à travailler sur les clarinettes, et j'ai restauré ma toute première, une Noblet Artist. On se concentrait sur un seul instrument à fond pendant plusieurs mois et quand René trouvait que j'étais à l'aise, on passait au suivant.
J’ai trouvé fascinant d'apprendre à ses côtés, car pendant qu'on travaillait sur la technique entre mes mains, il me racontait toute l'histoire de tel instrument, tel facteur, telle marque, à telle époque. Il a une connaissance « hallucinante » . Au fur et à mesure que les bases étaient acquises dans chaque instrument, Didier Imesch a repris la main sur le perfectionnement de mon apprentissage. René a un savoir inégalable à bien des égards, il s'est spécialisé dans les customisations assez poussées et la fabrication de clarinettes, tandis que Didier a plus de 40 ans d'expériences dans la réparation "ordinaire". C'est lui qui sait le mieux comment tamponner un sax pour que les tampons bougent le moin possible dans les jours qui suivent, comment nettoyer chaque instrument le plus efficacement, comment vieillissent les tampons, les feutres, les lièges. Il m'a transmis toutes ces connaissances essentielles, et par cet enseignement j'ai constaté un bond dans ma compréhension du métier et dans mon efficacité.
J'ai aussi passé plusieurs semaines d'affilée à l'atelier des cuivres aux côtés de Claudio Maragno. J'y ai appris la réparation, mais aussi la transformation et la construction de mécaniques de trombones ténors et basses que l'on adapte ensuite à différentes marques, ou que l’on monte sur nos propres trombones Hagmann Custom. L'atelier des cylindres nous fournit les barillets, et nous construisons le reste en ajoutant les différentes pièces de laiton, les "goose neck", les bagues, les entre-deux, etc... qu’il convient d'usiner par différents procédés jusqu’à souder l'ensemble et polir en haute brillance ! C'est un travail physique mais tellement gratifiant ! Puis, durant ma 4e année d’apprentissage, j'ai arrêté d'aller à l'atelier des cuivres pour commencer à me spécialiser dans les bois.
> Tu joues du hautbois et tu as terminé ta formation de musicenne, est-ce que tu préfères entretenir et/ou réparer des hautbois ou tu n’as pas de préférence dans la réparation ?
Évidemment qu'étant hautboïste, le hautbois fait partie de mes instruments préférés à entretenir (sourires). Vu que j'en joue, je peux vraiment sentir avec précision les réglages lorsque je pratique les essai à la fin d'une révision, et il y a presque toujours un petit coup de tournevis qu'on ne sentait pas nécessaire au papier à cigarette, mais une fois soufflé, c'est criant.
Pendant l'apprentissage j'ai été formée autant dans le domaine des bois que celui des cuivres, pour lesquels j'ai particulièrement apprécié m'occuper des cors. Il y a beaucoup plus de paramètres à prendre en compte dans les cors que dans les autres cuivres, il faut être rigoureux et précis. Mais maintenant que mon apprentissage est terminé, je me spécialise dans les bois, et mon autre "chouchou" je dois dire que c'est la flûte. Les flûtes professionnelles ont des tampons extrêmement précis, cela demande d'être très exigeant dans le tamponnage à l'aide de papier d'épaisseurs fines. C'est difficile mais j'apprécie le challenge ! De plus, ce sont de véritables bijoux, c’est un bonheur de travailler sur ce type d’instruments.
> Est-ce que tu joues d’autres instruments ? Si oui, lesquels ?
J'ai appris la flûte quand j'étais à L'école de musique de Nyon, pour les défilés. C'est plus pratique que le hautbois pour jouer en marchant. Mais "appris" est peut-être un grand mot, car ma grande sœur flûtiste m'a appris, en 1 heure ! Une fois qu'on a compris comment souffler et sachant que les doigtés sont quasiment pareils à ceux du hautbois, cela suffit amplement pour jouer une marche (rires) ! Sinon j'ai fait 2 ans de clarinette avant de passer au hautbois, j'adore la clarinette, mais j'aspirais à une autre sonorité et l'enseignement m'a beaucoup plus.
> Est-ce important de jouer les instruments que l’on répare ou que l’on entretien ?
Oui c'est essentiel. Comme je l'ai dit pour le hautbois, il y a des réglages que l'on ne peut vérifier qu'en jouant. Pour les saxophones et les clarinettes typiquement, cela s'entend tout de suite à l'intonation et à l'émission du son si la clé est trop ou pas assez ouverte.
> Comment se passe la relation avec la clientèle lorsque l’on est facteur en instruments à vent.
Les liens se tissent petit à petit au fil des années, on voit certains clients plus régulièrement que d'autres. Je suis à l'aise en relations à la clientèle grâce à mon précédent apprentissage durant lequel j'étais à tout instant sur la surface de vente, au contact. Maintenant que je suis factrice, je passe la majorité du temps à l'arrière dans l'atelier. Aller à l'avant du magasin pour prendre en charge les réparations est un moment de rencontres et d'échanges que j'apprécie particulièrement. Autant sur le plan humain, j'aime apprendre à connaître les clients, où ils jouent, ce qu'ils ont à raconter autour de leur instrument.
C'est important aussi qu'ils se familiarisent avec moi. Ils ont l'habitude de parler à Didier Imesch depuis plus de 40 ans, alors une nouvelle tête peut surprendre... Ce lien de confiance prend du temps à se tisser et je le comprends parfaitement. J'ai été formée par leurs réparateurs préférés donc ils n'ont pas de soucis à se faire (rires) ! Sur le plan technique aussi c'est très important de voir le client et l'instrument en même temps. Pour faire un devis précis, comprendre exactement de quoi il en retourne (car il y a généralement pleins de petites choses que les clients ne remarquent pas), leur en parler en leur montrant l'instrument, leur fait réaliser le potentiel d'amélioration de ce dernier.
› Pour l’avenir, quels sont les grands projets qui t’animent ?
Lorsque je me sentirai assez expérimentée, j'ai le projet de faire mon papier de maître d'apprentissage pour former des apprenti.e.s. Il y a certes peu de place de travail post apprentissage mais il faut aussi dire que tous les apprenti.e.s ne restent pas dans le métier, et la majorité sont suisses allemands. C'est donc important de former la relève en Suisse romande. J'ai aussi envie de transmettre mes connaissances en apportant une vision différente de l'enseignement. Je souhaite aussi implémenter l'utilisation de nouvelles technologies pour nous aider dans les réparations usuelles.
> Dans quelle formation joues-tu de ton hautbois dans tes loisirs ?
J'ai fait pas mal d'orchestres différents depuis la fin de mes études scolaires à ce jour, mais j'ai pas mal élagué pour me laisser du temps pour la course à pied. Je n'ai gardé qu'un seul orchestre qui m'apporte beaucoup de plaisir, il s'agit de l'Orchestre d'Harmonie de l'Etat de Genève (la ex-Landwehr). C'est une harmonie d'excellence, dirigé par Jean-Christophe Monnier. J'y suis depuis septembre 2018. Nous jouons surtout des retranscriptions classiques, à thèmes. Mais aussi du jazz et de la variété, comme notre programme actuel. C'est assez exigeant pour être stimulant tout en étant sympathique et convivial. Mon collègue Matthieu Bielser y joue aussi, c'est chouette de se voir au boulot et dans les loisirs, car nous partageons une passion commune.
› Est-ce que tu aurais un conseil à donner à un.e jeune musicien.ne pour qu’il.elle se mette à jouer du hautbois ? Ou pour qu’il fasse un apprentissage de facteur, comme celui que tu viens de terminer ?
Pour ces deux questions très différentes j'ai une réponse commune : la persévérance. Le hautbois est un instrument particulièrement ingrat les premières années d'apprentissage, c'est difficile à souffler, le son n'est pas beau, et l'on n'est vraiment pas à notre avantage lors des premières auditions et concerts (rires)... Mais en persévérant, en travaillant son embouchure et son émission à fond, le son s'améliore et on y arrive. J'ai commencé le hautbois après 2 ans de clarinette donc j'avais du retard sur les gens de mon âge. Cela décourage un peu. Mais j'ai poussé jusqu'au bout et en mai 2023 j'ai obtenu mon certificat de fin d'études avec mention du jury à l'école de musique de Nyon. Donc tout réside dans la persévérance.
Pour l'apprentissage du métier de factrice, de même, il faut s'accrocher. Premièrement, trouver une place n'est pas toujours aisé. Deuxièmement, l'école se trouve en Suisse allemande, en Thurgovie au bord du lac de Constance. Celle-ci est sensée distribuer la matière en français (plus ou moins bien traduite...) mais la majorité des professeurs ne sont pas bilingues donc les élèves romands sont clairement désavantagés. Mon niveau B1 d'allemand m'a sauvé pour suivre ces cours ! Mis à part l'effort de l'apprentissage du métier, je trouve essentiel pour un.e jeune de s'intéresser aux différents styles de musiques pratiqués avec des instruments à vent pour mieux comprendre ce petit monde. Qu'est-ce qu'une harmonie, un brass band, un big band, un orchestre de chambre, un consort, etc. Cela n'aide pas pour la mécanique, mais donne un sentiment d'appartenance et de but, qui nous re-motive dans les moments où l'on pourrais douter à mi-parcours, seul dans sa chambre en Suisse allemande (éclat de rire)...
› Bonjour Francesco, toutes nos félicitations pour ta nomination au poste de professeur de trombone au Conservatoire de Musique de Genève. Cela a dû être une belle épreuve et une grande réussite pour toi. Qu'as-tu prévu comme développement dans les semaines ou les mois à venir ?
Bonjour Claude, merci beaucoup ! Depuis qu'ils m'ont annoncé que j'avais gagné le concours, j'ai pleuré, car c’était mon rêve… et dans ce bâtiment, au Conservatoire de Musique de Genève, je suis arrivé il y a presque 20 ans pour étudier au Conservatoire Supérieur. Vingt ans plus tard, je me retrouve professeur au Conservatoire. C'était une immense émotion. Chaque fois que j'entre dans ce bâtiment, c'est très fort pour moi. J’ai envie d’honorer pleinement ma mission. J’ai déjà commencé à organiser des présentations scolaires et à prendre contact avec des collègues pour des projets futurs. J’enseignerai aux élèves de 6 à 24 ans, jusqu'à l'obtention du certificat d'études musicales et pour qui le souhaite je peux les accompagner à la préparation pour l’examen d’entrée dans une Haute École de Musique. Je me réjouis de commencer !!!
› Pourrais-tu nous présenter tes projets musicaux actuels ?
En ce moment, je prépare les saisons futures pour mon activité de soliste et en musique de chambre. Il y a toujours mes ensembles historiques, avec Humberto Salvagnin pour le duo avec orgue, et avec Carlotta Bulgarelli pour les duo avec harpe.
Avec Humberto, nous explorons un nouveau répertoire, avec des nouvelles créations qui nous sont dédiées et des arrangements que nous allons vous faire découvrir. Nous avons même une nouvelle tenue très jolie. La première date de la saison prochaine sera le vendredi 18 octobre 2024 pour la 15eme édition du Festival d’orgue de Ferney Voltaire.
En duo avec Carlotta Bulgarelli nous avons sorti en novembre 2023 "Sueño el Sur", notre nouvel album. Nous avons de nombreux projets, et nous donnons un concert le 30 juin 2024 au Léman Bouquet Festival à Yvoire, dans un cadre magnifique, ou je représenterai avec le duo l’orchestre dont je fais partie, l’Orchestre de Chambre de Genève.
Justement, j’aurai aussi une très belle saison avec l'Orchestre de Chambre de Genève. Je vous invite à découvrir le programme 2024-2025 sur le site de l'orchestre, la saison prochaine est magnifique !
Je suis également en train de travailler sur l'enregistrement d'un quatrième album, en collaboration avec des compositeurs du monde entier. De plus, je me produirai en tant que soliste le 27 octobre 2024 avec l’Ensemble de Cuivres Mélodia et le 30 mars 2025 au Victoria Hall avec l'Orchestre Symphonique Genevois.
› Pourrais-tu nous présenter tes défis, voire tes envies pour le futur ?
En Suisse, nous avons la chance d'avoir un grand nombre de musiciens amateurs et il y a une culture des cuivres assez fantastique. Je constate que beaucoup d'adultes amateurs n'obtiennent pas les résultats qu'ils aimeraient avec leur instrument. J'ai donc décidé, à partir de l'année prochaine, de lancer une formation pour aider ces personnes à s'épanouir avec leur instrument. Il est essentiel de trouver son compte en jouant et je pense que j'ai quelque chose à apporter pour aider celles et ceux qui le souhaitent. Je mettrai des informations sur mon site et les réseaux sociaux au moment venu.
› Tu joues depuis de nombreuses années sur un trombone Vincent Bach, équipé de barillet Hagmann, dont tu vantes toujours les qualités. Est-ce que tes sensations ou ton approche de l'instrument ont changé ? Est-il toujours aussi bien pour toi, après presque 20 ans de collaboration avec nous ?
J'ai toujours joué sur un Bach et avec barillet Hagmann depuis 2009, j’ai reçu ce magnifique cadeaux de la part de ma famille à la fin de mes études à la HEM de Genève. Ce qui est très important, c'est que l'équipe de Servette-Music a toujours pu suivre mon évolution en tant que musicien tromboniste, et répondre à mes besoins. Au cours de cette évolution, nous avons trouvé des astuces, fait d’innombrables petits changements et ajustements sur l’instrument, car en tant que musiciens, nous sommes toujours en évolution.
Cette collaboration est incroyable car elle m’accompagne depuis presque 20 ans de vie professionnelle, depuis mes études jusqu’à notre collaboration professionnelle. Par exemple, j'ai adopté les barillets Hagmann de première et deuxième génération ainsi que les anneaux de résonance, qui m'aident beaucoup dans ma façon de jouer… J'ai aussi utilisé un anneau de résonance spécial sur le pavillon pendant une certaine période, lorsque j'en avais besoin. Enfin, l'adjonction de repose-mains a été très importante pour moi car je passe beaucoup de temps avec mon trombone.
Ce sont des petites choses, mais elles accompagnent la vie d'un musicien. Même si elles semblent insignifiantes, elles sont très importantes pour quelqu'un comme moi qui fait beaucoup de concerts avec différents ensembles et à besoin d’une grande flexibilité sonore. D'ailleurs, nous travaillons sur un nouveau design basé sur le trombone Bach et je pense que tout le monde pourra en bénéficier afin de trouver un son pur et des sensations de jeu très confortables.
› Lors de ton précédent album, "Paradise Bone" en 2021, tu avais exploré un répertoire international avec une perspective ouverte sur le monde. Avec ton nouvel opus, "Sueño el Sur", tu nous emmènes dans le Sud, en Amérique latine en particulier. Qu'est-ce qui a guidé tes choix artistiques ? Qu'as-tu particulièrement bien réussi dans ce nouvel album ?
Je reviens un peu en arrière. Chaque album a donné naissance au suivant. Mon premier album, "Stella" en 2015, m'a permis de collaborer avec de nombreux compositeurs. Cette collaboration m'a beaucoup inspiré et a amené la réalisation de mon deuxième album, "Paradise Bone", qui est devenu un projet énorme. J'ai travaillé avec environ 80 musiciens du monde entier.
Pendant la pandémie de Covid, j'ai été invité à jouer en soliste à la radio et ils m'ont demandé une nouveauté. J'ai alors invité la talentueuse harpiste Carlotta Bulgarelli à jouer avec moi la "Méditation de Thaïs". Le public a tellement apprécié notre prestation que je lui ai proposé d'enregistrer cela dans "Paradise Bone". Le mélange trombone et harpe est inédit et magique. Nous avons effectué une grande recherche sonore et commencé avec des pièces existantes pour notre duo, mais le répertoire était limité. Nous avons demandé des créations et arrangé des pièces pour ce duo que nous avons décidé d’enregistrer dans notre album "Sueño el Sur". Ce dernier propose des œuvres de Piazzolla, Crespo, Villa-Lobos mêlées à des créations contemporaines d’inspiration latine. Des compositeurs renommés comme David Short et Corrado Maria Saglietti ont adapté des pièces pour nous et pour notre album. Je crois que nous sommes en train de créer un nouveau répertoire pour trombone et harpe, qui n'existait pas jusqu'à présent.
› Tu as eu une expérience insolite récemment avec ton trombone et Servette-Music t'a dépanné. Peux-tu nous en parler ?
Alors, je crois que c'est l'expérience la plus insolite de ma vie. J'ai eu un accident et mon trombone était inutilisable juste avant la répétition générale pour un concert important, heureusement j’étais à Genève. J'ai immédiatement appelé Servette-Music, et dix minutes plus tard j'avais une coulisse de remplacement, car je pensais que seule la coulisse était endommagée. Heureusement, nous étions à proximité ! J'ai commencé la répétition, mais après avoir joué trois notes, j'ai réalisé que les barillets ne fonctionnaient plus non plus. J'ai rappelé et dix minutes après j'avais un trombone complet, sauf mon pavillon que j'ai gardé pour ne pas me sentir trop…nu (rires). D'ailleurs, j'ai encore ce trombone, que j’utilise en attendant que l'autre soit réparé.
Mais il m’est aussi arrivé autre chose il y a peu : un dimanche après-midi, j'avais un récital important en tant que soliste. J'avais osé toucher à mon barillet la veille pour ajuster quelque chose, et une petite-heure avant de monter sur scène il s'est complètement démonté et était inutilisable. J'ai alors appelé Claudio Maragno, qui est aussi mon ami – nous sommes arrivés à Genève à peu près en même temps, lui chez Servette-Music et moi pour mes études. C'est une des premières personnes que j'ai rencontrées ici. Il m'a piloté par WhatsApp en vidéo. J’avais perdu l’espoir, mais il m’a dit quels outils prendre et il a guidé tous mes gestes. Nous avons dû nous y reprendre plusieurs fois avant d’y arriver, mais ça a marché et j'ai pu jouer mon récital sans problème. Je lui suis très reconnaissant.
› Quelles sont tes influences majeures et tes styles préférés ? Et comment ton approche a-t-elle évolué avec le temps ?
Mon groupe musical préféré, c'est Queen. J'aime aussi beaucoup Frank Sinatra, la chanson française, Pink Floyd. Dans mes moments de détente, j'écoute beaucoup Louis Armstrong. Quand j'étais enfant, mon frère et moi écoutions ses disques tous les soirs avant d'aller au lit.
Ces dernières années, j'ai pris l'habitude, lorsque je dois jouer une œuvre orchestrale, de l'écouter de nombreuses fois. Je profite de cette chance de jouer dans un orchestre pour m'imprégner profondément de la musique. Je crois que l'on peut vraiment comprendre la musique et ce que voulais dire le compositeur en l'écoutant souvent. Par exemple, je prends une symphonie et je l'écoute une fois par jour, ou tous les deux jours. Cela me permet de vraiment m'approprier la musique, comme on le ferait pour apprendre une langue : plus on l'écoute, plus on la comprend. Parfois, même sans parler la langue, on commence à comprendre certaines choses en “baignant dedans”. C'est pareil avec la musique.
Chaque concert est pour moi une opportunité d'enrichir mes connaissances musicales. J'écoute attentivement mes collègues pendant les répétitions, et chaque semaine est une nouvelle découverte en fonction du programme que je dois jouer. Quand j'étais étudiant, je ne le faisais pas autant. Avec l'expérience, je réalise combien il est important d'écouter, de connaître et de s'imprégner des œuvres que l'on joue, y compris les partitions des autres instruments, pour vraiment entrer dans la musique et transmettre au mieux le message du compositeur. J’ai beaucoup évolué avec l’expérience.
› Si tu devais donner un conseil à une jeune ou un jeune musicien qui débute, lequel serait-il ?
Dès qu'ils commencent, il faut leur parler de musique, de messages musicaux, d'écoute et d'imagination. La musique est un art, et nous sommes des artisans du son. Chaque son, chaque note doit transmettre une information, un message, un état d'esprit, raconter une histoire. Parfois nous sommes trop concentrés sur les aspects techniques. Je m'efforce de communiquer cela à mes jeunes étudiants dès le début, car cela a énormément influencé ma propre conception de la musique et ça m’a énormément aidé à résoudre des difficultés avec mon instrument. J'aime donner l'exemple des petits points que les enfants relient pour former une image. Les notes sont comme ces petits points : elles ne prennent sens que lorsqu'on les relie avec notre souffle, notre intensité musicale et nos images mentales. Ainsi, nous créons de la musique.
› Une note pour la fin ?
La musique est un outil d'évolution personnelle dans de nombreux domaines, pas seulement musicaux. À mon avis, tout le monde devrait faire de la musique. Mon objectif et tant qu’enseignant n'est pas seulement de guider les élèves sur le plan musical, mais aussi de les accompagner dans leur développement global. Certains feront de la musique pour s'amuser, d'autres deviendront professionnels. Mon enseignement est basé sur les besoins spécifiques de chaque élève, et évolue avec eux pour les aider à atteindre leur plein potentiel. Le parcours musical de chacun est un long voyage !
Francesco D'Urso, site internet : https://www.francesco-durso.com/
Duo Bulgarelli - D'Urso, Sueno el Sur : https://music.imusician.pro/a/CShwxqyu
> Salut Marc, ça fait plus de 20 ans que tu enseignes la guitare de manière indépendante. Pourrais-tu nous parler un peu de ton parcours avant d'entrer dans les détails ? Quelle formation musicale as-tu suivie ?
Mon parcours en tant que guitariste est essentiellement celui d’un autodidacte. J’ai eu la chance de faire deux rencontres décisives :Christian Graf et François Kieser. Ils m’ont chacun transmis leur passion de la guitare et de la musique, toujours avec bienveillance et humilité. En parallèle, j’ai participé pendant 10 ans à des ateliers de Jazz à l’AMR ou encore suivi de nombreux stages de musiques et master class.
L’importance du jeu en groupe a également été crucial dans mon apprentissage. Depuis mes débuts à la guitare en 1986, j’ai effectué, grosso modo, pas loin de 800 concerts avec de nombreuses formations locales dans des styles allant du Blues au Hard Rock. J’ai notamment fait partie du célèbre groupe Genevois « Le Beau Lac de Bâle » de1997 à 2004, avec lequel j’ai eu la chance de tourner dans toute la Suisse Romande et de jouer dans des lieux mythiques comme le Chat Noir à Carouge ou encore sur la scène Ella Fitzgerald du Parc La Grange devant 5000 personnes.
Marc Polliand avec le Beau Lac de Bâle
Cela fait maintenant plus de deux décennies que j'enseigne la guitare à plein temps, principalement depuis 2004. Mais avant d'en arriver là, mon parcours a pris des chemins quelque peu diversifiés. J'ai effectué des études en géologie, une passion qui m’a mené jusqu’à l’obtention d’un doctorat en gîtes métallifères. Pendant cette période académique, je complétais parfois mes revenus en donnant des cours de guitare.
La musique a toujours été une constante dans ma vie, débutant dès l'âge de 8 ans avec l'accordéon, influencé en cela par mon grand-père. J'ai rapidement rejoint l’orchestre des accordéonistes de Plan-les-Ouates, ce qui m'a permis de découvrir le monde de la scène et des concerts dès mon plus jeune âge.
À l'adolescence, vers 15 ans, ma fascination pour des légendes telles qu'Elvis Presley, Chuck Berry ou encore les Beatles m'a conduit naturellement vers la guitare. Une fracture au pied, qui m'a immobilisé tout un été, a été le catalyseur qui m'a poussé à abandonner l'accordéon au profit de la guitare. Guidé par Bernard Berta, un cousin expérimenté, j'ai rapidement appris les rudiments de l'instrument. En quelques mois seulement, j'étais capable de jouer des morceaux de Jimi Hendrix et d’Eric Clapton. Cette période a jeté les bases de mon amour pour le blues et le rock 'n' roll, qui est depuis lors resté une constante dans ma pratique musicale.
Au fil des années, j'ai exploré divers horizons musicaux, nourrissant ma curiosité et élargissant mes compétences grâce à des rencontres avec des musiciens talentueux et des participations à des master class, telles que celles organisées par Berkley à Pérouges ou dirigées par des guitaristes renommés comme Gérard Pansanel, Pierrejean Gaucher, Birelli Lagrène, Peter Nathanson et Robben Ford. Cette diversité m'a non seulement permis de développer mon propre style, mais aussi de rester ouvert à de nouvelles influences.
> Quels sont tes styles ou artistes préférés, comment ton goût musical a-t-il évolué avec le temps, et quel impact cela a-t-il sur ton enseignement ? Pourrais-tu approfondir sur tes influences initiales et mentionner tes artistes favoris actuels ou passés ?
Les artistes qui m'inspirent ont souvent évolué avec le temps. Au début, comme beaucoup de guitaristes, mes références étaient les incontournables : Jimi Hendrix, Eric Clapton. Ce sont des noms qui résonnent pour la plupart des amateurs de guitare électrique. Par la suite, Gary Moore est devenu une figure marquante pour moi, surtout après l'avoir vu en concert en 1991. J'ai rapidement cherché à reproduire son style et ses techniques. Ensuite, il y a eu une phase dédiée à Angus Young et AC/DC, où j'ai réalisé l'influence du rock 'n' roll dans leur musique, héritée de Chuck Berry.
Muddy Waters, BB King, Stevie Ray Vaughan ; Robert Cray et les Stones ont également marqué mon parcours, bien que mon intérêt pour les vieux bluesmen soit venu plus tard. Initialement, je ne me sentais pas attiré par ce genre musical, mais au fil du temps, j'ai développé un profond respect pour le blues acoustique et ses racines. Plus tard, l'album "Talk to Your Daughter" de Robben Ford a été une révélation pour moi. Ce disque, que j'avais initialement sous-estimé, a soudainement captivé mon attention, et j'ai été fasciné par le jeu de Ford. Cette période a marqué un tournant dans ma compréhension de la musique et de la guitare.
J'ai ensuite exploré des horizons musicaux plus variés. Le jazz, incarné par des guitaristes comme Kenny Burrell, Georges Benson, John Scofield a commencé à influencer ma pratique, de même que des artistes contemporains comme John Mayer ou Theo Katzman, dont j'apprécie particulièrement le jeu et les compositions.
Une autre évolution majeure dans ma carrière musicale a été mon incursion dans le chant. Cette expérience m'a permis de mieux comprendre le rôle de la guitare dans un ensemble, et m'a conduit à développer un intérêt pour les arrangements et l'accompagnement. Je suis convaincu que le véritable pouvoir de la guitare réside dans sa capacité à soutenir et à enrichir la musique, plutôt que dans ses solos virtuoses.
Cette évolution dans mes goûts musicaux et dans ma pratique de la guitare a également influencé ma manièred'enseigner. J'encourage mes élèves à explorer différents styles et à développer une approche polyvalente de l'instrument. Je leur rappelle souvent que jouer de la guitare, c'est bien plus que des solos flashy ; c'est aussi savoir accompagner, écouter les autres musiciens, et contribuer à créer une musique harmonieuse et cohérente.
> Peux-tu partager une anecdote marquante de ton parcours, en particulier celle de ton premier groupe, "The Ducks" ?
Ah, bien sûr ! Laisse-moi te raconter une histoire mémorable de mes débuts avec "The Ducks". Ça remonte à mes 16 ans, alors que je jouais de la guitare depuis environ une année. On répétait dans le local chez mes parents, en faisant des reprises énergiques d'Eric Clapton et de "Johnny B. Goode". C'était du bon vieux rock des seventies, avec des distorsions à fond les ballons.
On était un groupe de potes : Michael Zeiler à la basse et au chant, Yves Reymond à la guitare, Ernest Cicchini à la batterie et moi-même à la guitare et au chant. On avait même quelques compositions originales. Un jour, on a eu l'opportunité de jouer au "Vernier-sur-Rock", un événement majeur pour nous à l'époque. C'était notre premier vrai concert sur scène. Ça a été une expérience incroyable, mais malheureusement, la cassette de l'enregistrement a disparu. J'étais vraiment déçu de perdre cette trace de nos débuts. Mais un jour, alors qu'un ami déménageait, des cassettes ont resurgi, dont celle de notre concert. C'était le fils de cet ami qui l'avait retrouvée et l'écoutait, il pensait que c’était un groupe de rock indie !
Quand j'ai entendu à nouveau ces morceaux, j'ai été bluffé ! Il y avait une énergie brute dans notre musique, une sorte d'audace juvénile qui m'a impressionné. Ça m'a vraiment touché de réaliser que ce gamin de 16 ans (moi-même) me donnait une leçon de passion et d'engagement musical, même des années plus tard. Il m’a rappelé de ne jamais perdre cette flamme, cette spontanéité dans ma musique, même en vieillissant et en accumulant de l'expérience
> Quelles sont tes guitares acoustiques préférées ? Comment tes préférences ont-elles évolué avec le temps ?
En ce qui concerne les guitares acoustiques, j'ai une affection particulière pour ma Santa Cruz, modèle D, fabriquée en Californie. Elle offre une excellente définition dans les basses et les aigus, avec un équilibre remarquable. Que je la joue en fingerpicking ou en strumming, elle répond parfaitement, ce qui en fait l'une de mes favorites. Cependant, je reste ouvert à d'autres marques et modèles. Récemment, j'ai été impressionné par une guitare fabriquée à Singapour, je crois que c'était un modèle que Sergio m’a présenté chez Servette-Music, mais je peux me tromper. Cette guitare offrait une qualité sonore incroyable.
Il y a également des marques incontournables comme Martin, dont les guitares, comme la OM, ont une sonorité exceptionnelle. Chez Collings aussi, on trouve des instruments de grande qualité. De nos jours, il existe également de très bonnes guitares à des prix plus abordables, notamment des Furch fabriquées en Pologne ou des Dowina en Slovénie. Je pense qu'il est possible de trouver des instruments de qualité à partir de 1’500 chf environ.
Mon choix de guitare dépend souvent de mon budget et de ce que je recherche à ce moment-là. Chez Servette-Music, où je me rends régulièrement, je sais que je peux trouver une sélection de guitares de qualité pour différents budgets. Pour mon prochain achat, je penche probablement vers une Martin ou une Collings, mais je reste ouvert à la découverte de nouveaux modèles qui pourraient me surprendre.
> Quelles sont tes guitares électriques préférées ? Qu'est-ce que tu joues en ce moment et pourquoi as-tu choisi ce modèle ?
En ce qui concerne les guitares électriques, j'ai eu l'occasion d'explorer de nombreux modèles au fil du temps. J'ai commencé avec une Squier Stratocaster, puis je suis passé à une Stratocaster 40e anniversaire que je joue encore régulièrement aujourd'hui. J'ai également possédé une Les Paul à une époque, durant ma phase "Gary Moore". Après cela, plusieurs marques et modèles sont passé entre mes mains, dont déjà deux Telecasters.
Au début des années 2000, mon intérêt pour les vintages a débuté. J’envisageais d’abord l’acquisition d’une ES-335, mais les modèles vintages étaient hors de prix. J’ai alors demandé conseil à Michel Fenwick, un ami et luthier, qui m'a recommandé une ES-345. Nous avons finalement trouvé une guitare en Californie, une Gibson ES-345 de 1959. Cependant, malgré ses qualités sonores exceptionnelles, j'ai réalisé qu'elle était trop imposante pour moi et je préférais éviter le stress constant lié à sa sécurité lors des concerts. J'ai donc décidé de m'en séparer.
À cette même époque, j’ai pu acheter une Telecaster de 1969 à un prix intéressant. Elle est devenue ma guitare fétiche.Sa sonorité exceptionnelle et son caractère polyvalent en font un instrument que j'apprécie énormément. En comparant avec d'autres modèles, j'ai remarqué que les guitares électriques à manche vissé, comme les Telecasters et les Stratocasters, sonnent généralement mieux lorsqu'elles sont légères.
En ce moment, je joue principalement ma Telecaster 69, une PRS Custom 22 et une Stratocaster. J'ai également une affection particulière pour ma PRS, acquise d'occasion il y a plus de 20 ans, qui est devenue une guitare de tous les jours que j'adore.
> Qu'est-ce qui est important pour toi dans une guitare ? Que conseilles-tu à tes élèves de bien regarder ou d'écouter quand ils en achètent une ?
Ce qui prime pour moi dans une guitare, c'est d'abord que le manche soit confortable. C'est la première chose que je recommande à mes élèves de vérifier lors de l'achat. Il est crucial de pouvoir essayer la guitare avant de l'acheter, car chaque joueur a des préférences différentes en termes de confort de jeu. Ensuite, je conseille toujours d'évaluer le son de la guitare sans la brancher. Faire résonner quelques accords ou notes permet de percevoir la qualité de vibration et d'équilibrage des fréquences, en particulier pour les guitares acoustiques.
La définition dans les graves est également un aspect clé, que ce soit pour une guitare électrique ou acoustique. Des basses précises et bien définies sont le signe d'une bonne qualité instrumentale. Pour les débutants, je souligne l'importance du confort du manche et du design de la guitare, car cela peut influencer leur motivation à jouer.
En matière de conseils, je m'adapte toujours aux besoins et aux préférences de chaque élève. Le choix d'une guitare dépend de plusieurs facteurs, tels que le style de musique envisagé et les instruments déjà possédés. L'essentiel est de trouver un équilibre sonore et un confort de jeu qui correspondent aux attentes du musicien. En fin de compte, le son et le confort de jeu restent des critères essentiels, mais les préférences individuelles en matière de sonorité et de design peuvent varier considérablement d'une personne à l’autre.
> Comment décrirais-tu ton expérience avec Servette-Music ?
Mon expérience avec Servette-Music remonte à un bon moment. Je ne saurais même plus dire exactement depuis quand je fréquente ce magasin, mais c'est devenu l'un de mes points de référence à Genève. J'apprécie particulièrement la variété de choix en matière de guitares. Que ce soit pour les modèles PRS ou les guitares acoustiques, je sais que je trouverai ce que je cherche chez Servette-Music.
Je suis fidèle à ce magasin depuis longtemps. À l'époque, j'allais chez Vicky Music, où Stéphane Abt travaillait en tant que vendeur. Plus tard, lorsque j'ai déménagé et que Servette-Music était devenu plus accessible pour moi, j'ai commencé à faire mes achats là-bas. La proximité compte aussi beaucoup, surtout pour les petits achats comme les cordes. Christian Graf m'a également beaucoup parlé de Servette-Music, ce qui m'a incité à franchir le pas. C'est là que j'ai acheté mes premières guitares haut de gamme, dont une PRS modèle Artist.
Je recommande souvent Servette-Music à mes élèves en raison en raison de la qualité du service, de l’accueil toujours chaleureux et du service après-vente impeccable. Je sais que mes recommandations seront bien prises en compte et que mes élèves seront entre de bonnes mains. Cette confiance est essentielle pour moi.
> En tant que musicien, on passe sa vie à apprendre. Quelles sont les dernières frontières que tu as repoussées musicalement ? Qu'est-ce que tu travailles en particulier et en ce moment ?
De manière générale, je n’ai jamais vraiment cessé d’élargir mes horizons au-delà de mes racines blues et rock'n'roll. J'ai rapidement maîtrisé les bases de ces genres, comme les gammes pentatoniques, les accords majeurs et mineurs, les power chords, ainsi que les accords septièmes et neuvièmes. Cependant, une nouvelle phase de ma progression a été déclenchée lorsque j'ai découvert des artistes comme Robben Ford, qui apportent une approche différente du blues, avec des sonorités et des techniques empruntées au jazz.
J'ai également développé mes compétences en tant que guitariste rythmique : trouver les bons « grooves », les bons « voicings » d’accords ou « voice-leadings » pour renforcer la cohésion d’ensemble, particulièrement avec le chant. Le phrasé rythmique d’un solo est aussi très important. Je crois fermement que la maîtrise du jeu rythmique est essentielle pour devenir un bon guitariste soliste.
En tant que professeur de guitare, j'encourage mes élèves à diversifier leurs influences musicales et à explorer différents styles. Je les guide également dans l'importance de développer une solide compréhension du rythme et de l'harmonie, tout en restant ouverts à de nouvelles techniques et approches musicales. Je les oriente aussi dès que possible vers le jeu en groupe.
> Est-ce que tu joues d'autres instruments ? Et si oui, le(s)quel(s) ?
Oui, je joue également de la basse depuis plus de dix ans. J'ai eu l'occasion de jouer de la basse lors de nombreux concerts également.
En plus de la basse, je pratique également le chant. J'ai commencé à chanter dans mon premier groupe à l'âge de 16 ans, mais j'ai principalement joué de la guitare et laisser tomber le chant dans les groupes suivants. Par la suite, j'ai ressenti une nouvelle envie de chanter et j'ai progressivement développé mes compétences vocales, enregistrant en studio avec des professionnels de l'industrie musicale.
Je trouve que combiner la guitare et le chant apporte une dimension supplémentaire à la musique et procure beaucoup de plaisir. Dans mes cours de guitare, j'encourage souvent mes élèves à explorer le chant en même temps que l'apprentissage de la guitare.
> Quelle est ton approche en matière d'enseignement ?
Dans mon approche d'enseignement, j'attache une grande importance à l'écoute et à l'adaptation aux besoins spécifiques de chaque élève. Au fil des années, j'ai réalisé que pour enseigner efficacement, il est essentiel de comprendre ce que recherche chaque individu et de lui fournir les outils nécessaires pour atteindre ses objectifs musicaux.
Je cherche à rendre mes élèves autonomes en leur transmettant non seulement des connaissances techniques, mais aussi une compréhension approfondie du manche de la guitare et des concepts musicaux. Je veille à doser les informations fournies, afin de ne pas submerger l’élève et de maintenir son intérêt tout au long de son apprentissage.
Par ailleurs, j'aime coacher les musiciens dans leur développement artistique global, en les aidant à réaliser leurs projets musicaux et en les mettant en contact avec d'autres artistes. J'ai par exemple collaboré avec des chanteurs et des guitaristes pour enregistrer des morceaux et monter des sets pour des performances scéniques.
> Pourrais-tu nous présenter tes projets musicaux actuels, tes défis et tes envies pour le futur ?
Mes projets musicaux actuels incluent notamment ma collaboration avec l'artiste Manu Chamba, un chanteur français dont j'apprécie particulièrement les textes. Nous travaillons ensemble sur l'enregistrement de ses chansons, pour lesquelles je crée des arrangements à la guitare et à la basse. Je l’ai notamment aidé à finaliser deux titres qui ont été enregistrés l’année dernière au Kitchen Studio à Genève. Je lui ai proposé de travailler avec deux excellents musiciens de la nouvelle génération avec qui j’avais déjà eu l’occasion de jouer et d’enregistrer :Noé Tavelli à la batterie et Tim Verdesca à la basse. Tu pourras entendre le résultat de cette collaboration sur les titres « Patchamama » et « Maria Galanda » sur l’album « Patchwork » de Manu qui vient de sortir dans les bacs en décembre dernier. Cette collaboration est très enrichissante sur le plan humain également et nous sommes devenus de bons amis au fil du temps. On prépare actuellement un set acoustique de cet album avec Manu pour un showcase et des concerts prévus prochainement.
En dehors de cela, j’ai moins le besoin de me produire sur scène comme par le passé, même si j'apprécie toujours l'expérience. Je suis davantage axé sur la diversification de mes activités, comme la pratique de la montagne, du ski de randonnée ou encore de la voile. Ces activités contribuent à équilibrer ma vie et à maintenir ma passion pour la musique et l’enseignement.
Pour l'avenir, j'ai l'intention de créer du contenu pédagogique sur YouTube,. Il y a déjà beaucoup de tutoriels expliquant comment jouer tels titres connus, tels riffs incontournables, etc. Je veux trouver une manière originale d'aborder certains sujets comme par exemple des conseils pour développer une rythmique efficace/appropriée, un meilleur sens mélodique en improvisation, une bonne attitude/approche dans le jeu en groupe, une meilleure écoute, etc.
Ce qui me motive, c’est l’envie sincère de partager ce que j'ai appris/compris au fil de mon parcours en tant que musicien et enseignant. En accord avec cette démarche, je mets déjà à disposition de nombreux documents ( 20 ans de repiquages de titres !) sur mon site internet marcpolliand.com.
> Quel conseil donnerais-tu à des jeunes qui débutent ?
En principe, je commence par poser des questions pour comprendre ce qui motive réellement un élève débutant à jouer de la guitare.
En général, je souligne le fait qu’apprendre à jouer d’un instrument de musique est loin d’être facile et que cela demandera persévérance et patience. Toutefois, dès que l’on est capable d’enchainer quelques accords ou de jouer un premier riff, le plaisir s’installe très rapidement.
Je suis convaincu que chaque instrument présente ses propres défis, mais aussi ses satisfactions uniques. Mon rôle en tant qu'enseignant est de rendre l'apprentissage accessible et motivant, en proposant des exercices adaptés et en restant attentif aux besoins spécifiques de chaque élève.
Je souligne aussi l'importance de la pratique régulière et de l'organisation de l'espace de travail à la maison. Un coin dédié à la musique, équipé d'un pupitre et d'une enceinte Bluetooth pour écouter des morceaux et jouer en rythme, peut favoriser une progression plus rapide.
Enfin, je suis convaincu que l'enseignement de la guitare doit être avant tout une passion pour la transmission. Les élèves recherchent souvent un guide bienveillant et expérimenté pour les accompagner dans leur parcours musical. Pour moi, la clé réside dans la capacité à évoluer constamment, à rester jeune dans sa démarche et à cultiver une bienveillance sincère envers les apprentis musiciens. Et, bien sûr, je rappelle souvent que la musique est une pratique qui peut être poursuivie tout au long de la vie, offrant une source infinie de plaisir et de stimulation mentale.
> Your partnership with Ed Sheeran has certainly garnered attention, especially with the Sheeran by Lowden models. Could you share how this collaboration came about and your vision for its future development in terms of guitar production?
Absolutely. The journey with Ed Sheeran began roughly seven years ago when Gary Lightbody of Snow Patrol suggested I create a guitar for Ed as a gift. I headed up to the North Coast, where I designed a new compact guitar tailored to Ed's style. Subsequently, Ed visited our factory, purchased several guitars, and our friendship blossomed from there. During one of our encounters in Texas, I expressed my desire to create affordable guitars for young enthusiasts. Ed, ever supportive, offered to invest if I ever pursued the idea.
A couple of years later, Ed reached out, reigniting our conversation about affordable guitars. Thus, the project was born. We aimed to produce guitars reminiscent of Lowden quality but manufactured locally to ensure control over production. However, the challenge lay in balancing quality with affordability, given our higher manufacturing costs. Through collaboration, we introduced new models priced around £850 to £1000, which are becoming popular models.
While our initial goal was to offer guitars at a lower price point, we realized the limitations and adjusted our strategy. Recently, we introduced the W05, a higher-spec model priced at around £1200. Inspired by the success of our limited edition Autumn's Variation guitar, which featured a sinker redwood top, the W05 boasts reclaimed redwood and additional features, reflecting our commitment to innovation and quality.
Looking ahead, we aim to further refine our offerings while maintaining reasonable pricing. The partnership with Ed Sheeran continues to inspire us to push boundaries and make quality instruments accessible to aspiring musicians.
George Lowden et Claude Zavaglio en plein échange
> The Lowden operation in Saintfield, 20 miles south of Belfast, comprises around 50 artisans crafting guitars. Could you give us an insight into your yearly production rate and the typical timeframe for crafting one guitar? Additionally, how do you manage production schedules to meet the demands of your dealers?
Sure thing. So, on average, we craft about 1,200 Lowden guitars annually, excluding those for the Sheeran line which account for 2,5 to 3'000 guitars per year. Regarding production time, it generally takes us around 6 to 8 weeks to complete a guitar from start to finish. Our workflow involves small teams; for instance, our master series guitars are handled by a group of 4 to 5 craftsmen throughout the entire process. However, for other series like the 50, 35, and original series, we divide tasks among different individuals, with each focusing on specific stages of production. We also rotate our artisans to learn new skills and adapt to fluctuating demands. This flexibility allows us to adjust production accordingly, especially when we receive a surge in orders for a particular model.
As for the electric guitar project, it's been an intriguing journey. It all started when Ed Sheeran approached me to create a guitar as a gift for Gary Lightbody from Snow Patrol. Interestingly, this time around, it was an electric guitar that was requested. After some deliberation, I ventured to Portugal to design the inaugural electric model, which we dubbed the GL10. Ed's enthusiasm for the guitar was contagious, leading him to request additional units for himself, Eric Clapton, and John Mayer. However, like many ventures, we encountered a pause during the pandemic. Nevertheless, we've reignited the project and are moving forward once again.
> Your reputation for using only the finest woods in your premium guitars is widely recognized. Could you elaborate on your approach to wood selection and confirm the accuracy of this reputation?
Indeed, our commitment to sourcing top-quality woods is a cornerstone of our craftsmanship. While I cannot comment on other guitar makers or companies, I can attest to the rigorous process we employ. For instance, in the past, I personally traveled to regions like Switzerland and northern Italy to hand-select Alpine spruce tops. It wasn't uncommon for me to sift through hundreds of pieces, ultimately choosing only a select few that met our stringent standards.
Although it's impractical to individually vet every piece for all 1,200 guitars we produce annually, we uphold this meticulous approach for our Master Series and 50 Series guitars. Ensuring the quality of the wood is paramount to achieving the excellence we strive for in each instrument.
> Your guitars are renowned for their open resonance tone, distinct from the compressed sound associated with some other brands. Could you shed light on how you achieve this unique quality in your instruments?
Absolutely. Crafting guitars, much like designing cars, involves a myriad of interconnected factors that contribute to the final product's quality. For me, achieving that open resonance tone hinges on harmonizing various design elements to optimize the guitar's ability to breathe, respond, and vibrate. It's about striking the right balance in weight, mass, and overall instrument equilibrium.
While volume is important, it's not the sole indicator of a guitar's excellence. A loud yet brash tone is undesirable. Hence, I focus on crafting guitars with warm, rich, and evenly balanced tones. This involves meticulous attention to detail, such as selectively adjusting the bracing on the soundboard to enhance volume without compromising tonal integrity.
However, it's crucial to avoid overzealous adjustments that may lead to uneven frequency response or imbalanced tonality. Thus, my approach entails pushing the design boundaries while maintaining a delicate equilibrium. It's about pushing the limits and then exercising restraint to ensure optimal sonic performance.
> Your range of guitar models is quite extensive, spanning from the O-size, F-size, S-size, to the wee-size, offering models from 22 or 23 to 50, including masterpieces crafted from superb woods, cutaways, and more. Do you have a favorite among them?
Well, my favorite tends to evolve over time. In the early stages of my career, around 1978, the O-25, formerly known as the L25, held a special place in my heart. Its timeless design has remained unchanged since its inception. Another standout for me was the very first S model I crafted, a Walnut Cedar piece made for Nick Webb from Acoustic Alchemy. I vividly recall the moment I strummed it for the first time in 1991—it was an unforgettable experience that left me with goosebumps. Despite my attachment, Nick was eager to have it for his recordings, so I reluctantly parted with it.
Indeed, the S models hold a particular allure for me. Today, equivalents like the S23 or S35 Walnut Cedar continue to captivate with their exquisite tonal qualities. Another noteworthy mention is the S35 Koa Alpine, which garnered praise from renowned musicians. As for wood preference, while I generally favor Adirondack over Sitka for its distinctive tonal characteristics, sourcing high-quality Adirondack has become increasingly challenging. However, it remains a wood of exceptional quality, contributing to the unique three-dimensional tone of select models, such as those featuring Adirondack struts.
> You're known for offering fan-fret models, a unique feature not commonly found among other manufacturers. Could you shed light on why you chose to incorporate this feature, and what challenges, if any, are involved in producing them? Additionally, how do fan-fret models perform in terms of sales?
The decision to offer fan-fret models stemmed from a combination of curiosity and practicality. Initially, I was skeptical about their playability, fearing confusion regarding finger placement. However, upon trying it myself, I found the experience surprisingly intuitive, dispelling my initial concerns.
The concept behind fan-frets aligns with my belief that longer scale lengths on the bass side encourage resonance, while shorter scale lengths on the treble side facilitate ease of play. This approach mirrors the difference between a grand piano and an upright piano, where each design serves a specific purpose.
Interestingly, when customers first encounter fan-fret guitars, there's often apprehension about their playability. However, upon picking one up and playing, they quickly realize that the difference is negligible and often express admiration for the unique feel and sound. This positive feedback underscores the appeal of fan-fret models, despite initial reservations.
In terms of sales performance, fan-fret models have garnered interest and appreciation from customers, with many embracing their distinctiveness once they experience them firsthand.
> Your recent introduction of the electric series has sparked curiosity. How have sales been for these guitars, and what sets the production process apart from your traditional acoustic instruments?
Indeed, delving into electric guitar production marks a departure from our accustomed acoustic craftsmanship. The key lies in achieving the right balance and design to ensure the instrument feels comfortable and familiar to the player. Unlike acoustic guitars, where the focus is on optimizing resonance, electric guitars prioritize solid body or semi-solid construction and tonal characteristics.
Manufacturing electric guitars is notably easier and more predictable compared to acoustics. The absence of acoustic complexities streamlines the process, allowing for smoother production. However, the crux lies in fine-tuning the design nuances to meet the preferences and expectations of players. Gathering feedback and collaborating with musicians help refine the instruments, ensuring they resonate with the target audience.
Moreover, the choice of pickups plays a crucial role in shaping the guitar's sound. Opting for high-quality pickups, such as those we use from reputable brands, enhances the overall sonic experience. Ultimately, achieving the right balance of design, construction, and components is paramount in crafting electric guitars that stand out in both performance and appeal.
> The Bourgeois operation is a small team of approx. 30 people in Lewiston/Maine, most of them luthiers, working in small workshops as craftsmen. How many guitars do you produce on a yearly basis? How long does it take to produce one folk guitar? How do you plan production to meet the dead-lines of your dealers?
We have more than 30 employees, 22 of whom produce more than 500 guitars per year in our Lewiston Workshop. One of our basic models takes a little over 40 hours to build. Guitars are currently built in batches of 11. Each batch takes 9 weeks to complete.
Each quarter, dealers are asked to place orders for guitars that will be delivered six month in the future. For example, guitars ordered in January will be delivered in the third quarter of the year, and guitars ordered in April will be delivered in the fourth quarter. We try to reserve a few open build slots and also keep a few completed guitars in inventory. This allows us to quickly get stock to a new dealer, build guitars for artists, or help a dealer who runs low on stock and isn’t able to wait six months for delivery.
George Lowden et Claude Zavaglio en plein échange
> You have a high reputation for selecting only the best of the best woods for your premium guitars. Is this true? How do you do it?
I’ve always loved wood. Over a nearly fifty-year career I’ve developed personal relationships with some wonderful tonewood suppliers. The best suppliers share my passion for fine guitars and want to see their wood put to the highest possible use. Good, long-term customers are often rewarded with preferred status, which sometimes comes in the form of being offered first refusal on stashes of unique woods. Suppliers are the unsung heroes of the luthier world! I’m grateful to have benefited from my relationships with so many of them.
> You also have a reputation for making instruments with superlative resonance and tone when building guitars especially when scalloping bracings. How do you do it?
No two pieces of wood are exactly alike. Individual examples of the same species can vary in weight, stiffness across and along the grain, and in properties of internal damping. Rather than build all tops and backs to exactly the same dimensions, we purposely adjust dimensions to account for variations in individual tops and backs. For example, instead of thicknessing all tops to .125” or to some other predetermined dimension, top thickness is determined by stiffness along the grain. This method of thicknessing results in variations of stiffness across the grain, which is then addressed while shaping the bracing. The objective is to produce a top that is stiff enough to support string tension while flexible enough to vibrate freely.
While shaping braces we also seek to distribute resonant frequencies as widely as possible. A tall, thin triangular shaped brace can carry the same load as a shorter, rectangular brace with a rounded top. These two shapes, however, will produce different resonances. Through a process of tapping the top and back and listening to frequency responses it’s possible to decide which shapes will produce the most desirable frequency responses. Though this process may sound complicated, a trained luthier can evaluate and voice a top or back relatively quickly.
> In the large range you propose (Slope D, D, OM, DBJ, L-DBO, L-DB2, small jumbo’s, Nova, Banjo Killer, Large Sound-hole D, Advanced, DB Signature, as well as Nova, Odissey and Soloist that are cutaways, and many more. What is your favorite or what are your favorites to this day?
From a luthier’s point of view I don’t really have favorites. As a player, my personal favorites have changed over the years as my playing has evolved. I started out playing Dreadnoughts, which can’t be beat for power and volume. Later, after I branched out from playing mostly in old-timey string bands, I discovered the incredible versatility of the OM model, which proved better suited for dabbling in variety of playing styles. Later in life I am less physically flexible than my earlier self, and have grown to prefer smaller, short scale guitars. I’ve found that the L-DB model has the best combination of presence, playability and tonal sparkle to tempt me to continue learning and playing new music.
Guitars have many different personalities, as do guitar players. The world would be far less interesting if all guitars were exactly alike!
> You propose only three models with cutaway (Nova,Odissey and Soloist). Is there a reason for this?
The Odyssey, Nova and Soloist come standard with cutaways. But Cutaways are also available as options on most OM, Dreadnought, JOM, GA, OMS, 00, 00/12 and SJ models.
> You have introduced the Touchstone series recently, that are fantastic value for money guitars? How do sales do? How are they produced?
This year, Touchstone production and sales will double the volume of our regular Lewiston production.
Touchstone Series guitars are produced by a unique process. We we start by building and hand-voicing Touchstone tops in our Lewiston, Maine workshop. These are shipped to Eastman’s Beijing facility where the bodies and necks are assembled, finished and initially set up in a new workshop that was specially built for Touchstone production. Completed instruments are then shipped to US and European distribution centers where they are set up to professional playing standards by Bourgeois technicians. This manner of construction allows us to control the most important factors effecting tone and playability, while utilizing the efficiency of Eastman’s manufacturing capability. We believe that the result is a value that’s unequaled anywhere in the market.
Site Bourgeois : https://bourgeoisguitars.com/
> Salut Eric, tu es président du BAG, Blues Association Geneva, depuis 5 ans, tu as complètement relancé cette association qui depuis 5 ans a triplé de taille. Comment expliques-tu cet engouement pour le blues à Genève? Qu’est-ce qui est bien au BAG ?
Ta question touche un point crucial. Le BAG, fondé en 2008 par Jean-François Mathieu, a connu un véritable tournant lorsqu'il s'est installé à son emplacement actuel, la Brasserie des Grottes. Personnellement, j'ai rejoint l'association vers 2012-2013, époque à laquelle je participais timidement aux jams en jouant du piano. Malgré mon expérience, monter sur scène était à l’époque un défi pour moi. Le BAG a frôlé la fermeture en 2019, mais encouragé par des amis musiciens, j'ai accepté de prendre les rênes. Depuis, avec engagement et dévotion, nous avons effectivement vu l'association fleurir.
Ce qui distingue le BAG, c'est son atmosphère unique. Dans mes messages semestriels à nos membres – qui s’appellent Le mot du Pres’ – j'insiste sur cette ambiance familiale qui caractérise nos rassemblements, appréciée tant par les musiciens que par les amateurs de musique. C'est cette convivialité et cette passion partagée qui font de notre espace un lieu où chacun désire revenir.
Eric Grivel au BAG lors d'une jam session
> Quelles sont les dernières nouvelles du BAG ?
Au BAG, jusqu'à ce jour, il semblait n'y avoir aucune nouveauté notable, mais en réalité, plusieurs développements significatifs ont eu lieu. Premièrement, l'association a connu une augmentation notable du nombre de membres, atteignant presque 180. Cette croissance est d'autant plus remarquable que le BAG attire désormais des groupes musicaux de toute l'Europe, voire au-delà, avec une moyenne de cinq demandes de participation par jour. Malgré cette popularité, la politique du BAG reste de refuser la majorité de ces demandes pour préserver des opportunités pour les groupes locaux.
Par ailleurs, une nouveauté majeure pour le paysage musical genevois est l'introduction du Geneva Blues Evening, un événement nouveau et inédit prévu à l'Alhambra avec la participation de deux groupes. Cette initiative marque une étape importante dans la diversification des activités proposées par le BAG.
En outre, le BAG a lancé les soirées "Beyond the Blues" les vendredis, en réponse à la demande croissante pour des musiques se situant à la frontière du blues et du rock. La première de ces soirées a rencontré un succès considérable, featuring Zoso, le Tribute Band de Led Zepplin. D'autres dates sont déjà programmées, dont un événement le 12 avril avec les Lawdy Mamas, illustrant l'engagement du BAG à promouvoir une variété de musiques influencées par le blues, sans se limiter strictement à ce genre.
> Le BAG prévoit d'organiser son tout premier Geneva Blues Evening le 19 avril, dans un cadre prestigieux. Comment est venue cette idée ? Qu’espérez-vous réaliser avec ce premier événement? Est-ce qu’il y aura d’autres événements à venir ?
Pour le Geneva Blues Evening, prévu pour le 19 avril dans une salle prestigieuse, l'idée a émergé lors de discussions avec le département de la Culture de la ville de Genève. En quête de soutien financier supplémentaire, le BAG a saisi l'opportunité d'occuper la salle de l'Alhambra à un tarif préférentiel.
L'objectif principal de cet événement est de promouvoir le BAG au-delà de ses locaux habituels, une stratégie de visibilité étendue. Cette initiative, fruit de délibérations internes et de collaborations avec des partenaires, pourrait préfigurer l'organisation d'un festival blues genevois dans l’avenir.
> Pour le Geneva Blues Evening prévu le 19 avril, peux-tu détailler qui se produira en première partie et nous en dire plus sur Band of Friends ?
Pour le Geneva Blues Evening du 19 avril, la programmation a été soigneusement élaborée après une réflexion approfondie. Initialement, nous envisagions d'organiser l'événement sur deux jours, mais sur conseil du responsable de la gestion de l'Alhambra, nous avons décidé de concentrer l'événement sur une seule journée et de limiter le nombre de groupes à deux, pour assurer un lancement réussi.
La sélection des groupes a dû tenir compte de contraintes budgétaires, avec des cachets potentiellement élevés. Nous avons choisi de mettre en avant le talent local en constituant un ensemble exceptionnel de 13 musiciens membres du BAG, sous la direction artistique d'Yves Staubitz. Ce groupe, nommé Geneva Blues Band pour l'occasion, interprétera des classiques du blues en première partie de soirée. Cette formation est une célébration du talent et de la passion pour le blues au sein de notre communauté, bien que son avenir en tant que tel reste à définir.
En seconde partie, nous aurons le privilège d'accueillir Band of Friends, composé d'anciens musiciens de Rory Gallagher, notamment Jerry McAvoy, son bassiste de longue date, et Brendan O'Neill, son batteur. Ces musiciens expérimentés, actifs principalement en Europe, rendent hommage à l'héritage musical de Rory Gallagher. Le groupe est mené par le talentueux Marcel, un guitariste et chanteur d'origine néerlandaise, dont le nom est difficile à prononcer mais dont le talent est indéniable. Cette soirée promet d'être un événement mémorable pour tous les amateurs de blues.
> On va changer de sujet. Qu'est-ce qui te plaît dans le blues ? Comment t'es-tu mis à jouer ou à écouter du blues ?
Mon initiation au blues ne s'est pas faite avec le Chicago Blues ou le Texas Blues, mais avec le British Blues, qui, pour beaucoup de musiciens assez orthodoxes, n'est pas considéré comme du "vrai" blues. J'ai grandi en écoutant Rory Gallagher, par exemple, et je suis tombé amoureux de cette musique qui, finalement, penche beaucoup vers le rock.
Des artistes tels qu'Eric Clapton, Jimmy Page, Jeff Beck, et Alvin Lee ont également joué un rôle significatif dans mon éducation musicale. John Mayall mérite aussi une mention spéciale. Il incarne le point de départ du blues pour ma génération, se positionnant comme une figure centrale du blues blanc. L'influence d'Alexis Korner et John Mayall a été déterminante dans ma découverte du blues. De plus, la simplicité apparente du genre, souvent réduit à trois accords, m'a initialement attiré, bien que je reconnaisse rapidement la complexité et la maîtrise requises pour les exécuter avec justesse. C'est ainsi que ma passion pour le blues s'est développée, une passion qui englobe également un amour profond pour le rock.
> Quel est ton style de blues préféré ? As-tu des artistes fétiches ? Tu évoquais le British Blues ; peux-tu nous parler des figures emblématiques de ce genre pour toi ?
Rory Gallagher a marqué ma découverte du blues à l'adolescence, autour de 13-14 ans, immédiatement après ma rencontre avec Ten Years After, véritables ambassadeurs du British Blues de l’époque, pour moi. Cette période a été le point de départ de mon exploration musicale, qui s'est ensuite élargie à une multitude d'artistes.
> Tu as donc exploré les origines de cette musique ?
Effectivement, je me suis intéressé aux racines du blues, à des artistes fondamentaux comme Robert Johnson. Cependant, et cela peut surprendre, ma dévotion va avant tout au British Blues, même si le Chicago Blues occupe également une place importante dans mes préférences. Stevie Ray Vaughan, figure du Texas Blues, est pour moi également un artiste de premier plan, emblématique de ce style, bien qu'il nous ait quittés prématurément. Il figure clairement parmi mes références essentielles
> Tu es donc guitariste et chanteur dans le groupe de blues Easy Groove ; quelle signification cela a-t-il pour toi ?
Pour moi, être membre d'Easy Groove repose sur deux piliers fondamentaux : le partage et la communauté. La musique est, à mes yeux, une expérience de partage profondément humaine. D'une part, il y a la complicité avec les membres du groupe, et d'autre part, l'échange avec le public lors des concerts. Avoir l'opportunité de jouer sur de grandes scènes plusieurs fois par an, de voir des gens danser, sourire et exprimer leur joie, représente l'essence même de ce partage et de cette joie pour moi.
Dans le cadre du groupe, notre travail consiste principalement à interpréter des reprises, même si nous avons aussi quelques compositions personnelles. Malgré les défis et la rigueur que cela implique, ces moments restent empreints d'un sentiment de partage véritable. Les répétitions, qu'elles soient hebdomadaires ou bihebdomadaires, sont des rendez-vous attendus, des moments où l'on se fixe des objectifs, comme de jouer à tel ou tel endroit. Cette dynamique est extrêmement gratifiante.
> Joues-tu d'autres instruments à part la guitare ?
Oui, la guitare est le dernier instrument que j'ai appris. Mon initiation musicale a commencé avec le piano, présent chez mes parents depuis ma plus tendre enfance. Poussé par leurs encouragements, j'ai entrepris des cours de piano vers l'âge de six ans, mais l'aspect théorique et le solfège m'ont rapidement découragé, et j’ai arrêté après seulement six mois. Malgré l'arrêt des cours, comme j’avais l’esprit autodidacte, je me suis remis au piano, ce qui m’a permis de participer en tant que pianiste dans un groupe nommé Keep on Rocking durant vingt ans, période durant laquelle nous avons connu un certain succès dans la région franco-genevoise et franco-vaudoise.
Par la suite, j'ai également exploré la batterie, pour laquelle j'ai suivi des cours, ce qui m’a donné une solide base rythmique. Ce n'est qu'après ces expériences que je me suis tourné vers la guitare, instrument avec lequel je me produis aujourd'hui dans le groupe Easy Groove, tout en essayant de m'adonner au chant.
Malgré cette diversité instrumentale, je ressens une certaine mélancolie à ne pas avoir atteint une maîtrise exceptionnelle dans un domaine spécifique, me considérant comme un musicien moyen dans l'ensemble. Et on peut dire que cette polyvalence et cette passion pour la musique sont des atouts qui enrichissent ma contribution au sein du BAG.
> À part le blues, quels genres musicaux affectionnes-tu particulièrement ?
Mes goûts musicaux sont divers et variés. Je me décrirais comme quelqu'un d'éclectique, capable d'apprécier différentes formes d'art musical. Par exemple, il m'arrive de savourer de la musique classique le dimanche matin, non de manière rituelle, mais pour la beauté et la complexité des œuvres, notamment celles de Chopin. Je ne me consacre pas exclusivement à ce genre, mais j'ai un faible pour la musique classique.
Concernant le jazz, je dois avouer que ce n'est pas mon domaine de prédilection. Mon intérêt se porte sur des formes de jazz plus accessibles, celles qui flirtent avec le blues ou des sonorités similaires. Le rock occupe également une place de choix dans mon univers musical, tandis que le rap ne suscite pas mon intérêt. La pop, en revanche, fait partie de mes écoutes régulières.
Quant au jazz-rock, je l'apprécie tant qu'il reste fidèle aux harmonies qui me sont chères. Je suis moins attiré par les compositions aux structures trop complexes ou atypiques.
> Concernant Servette-Music, quelle est ton opinion ?
Ma relation avec Servette-Music est profondément ancrée dans l'histoire personnelle et émotionnelle. Ayant grandi dans le quartier, le magasin a toujours été un point de repère pour moi, attirant mon attention dès l'enfance. C'est là que j'ai franchi pour la première fois le seuil d'un magasin de musique, ce qui confère à Servette-Music une place spéciale dans mon cœur. Avec le temps, j'y ai même acheté du matériel, malgré des moyens limités durant ma jeunesse.
Ma prise de présidence au BAG a été l'occasion de renouer avec ce partenaire historique de l'association, ce qui m'a permis de rencontrer Claude. Son engagement et son expertise auprès du BAG ont renforcé ce lien émotionnel.
Au-delà de l'aspect affectif, Servette-Music se distingue par la qualité et la diversité de son offre instrumentale. Le magasin propose un choix remarquable en matière de guitares, avec des conseils avisés qui mettent à l'aise et encouragent à tester les instruments sans pression. Cet accueil chaleureux et cette approche humaine rendent l'expérience particulièrement agréable. Le rayon des percussions, ainsi que l'espace consacré aux pianos, ont également évolué, offrant de nouvelles possibilités aux musiciens. La section dédiée aux instruments à vent, véritable pilier historique de Servette-Music, continue d'attirer une clientèle fidèle et variée, même si je ne pratique pas ces instruments. Cette dimension historique et cette richesse de l'offre font de Servette-Music un lieu incontournable pour les musiciens.
> Quels conseils donnerais-tu à quelqu'un, jeune ou moins jeune, désireux de se lancer dans le blues ?
Offrir des conseils directs peut s'avérer délicat. Je préférerais plutôt accompagner la personne intéressée par le blues, qu'il s'agisse d'un jeune ou d'un adulte aspirant à découvrir ce genre musical. Nous constatons régulièrement, au BAG, des individus de quarante ans exprimant le désir de débuter dans le blues après avoir assisté à nos événements. Le BAG sert de tremplin formidable pour connecter les gens avec cette musique, rassemblant des enseignants, des musiciens amateurs et professionnels prêts à partager leur passion et leur savoir.
L'idée est d'encourager les échanges, d'écouter ensemble, et puis de discuter des impressions et des aspirations musicales. Par exemple, récemment, un membre m'a confié son désir de prendre des cours pour s'améliorer, malgré ses plus de quarante ans, tout en souhaitant éviter le solfège. Dans ces cas-là, le BAG devient un lieu privilégié pour orienter, conseiller et soutenir dans la recherche d'une formation adaptée, sans forcément passer par l'apprentissage académique du solfège.
Au fond, ma recommandation s'articulerait donc plutôt autour de l'accompagnement et de la mise en réseau au sein du BAG, où chaque personne peut trouver les ressources et le soutien nécessaires pour explorer et s'épanouir dans le blues.
www.bagblues.ch
> Bonjour Christophe, ta réputation de guitariste et d'enseignant très sollicité précède ton arrivée. Avec une multitude de projets à ton actif, ainsi que des rôles de producteur, d'arrangeur, et propriétaire d'un studio d'enregistrement, peux-tu nous éclairer sur ton parcours et ta formation ?
Ravi d'être ici, merci. Ma passion pour la musique a débuté très tôt, vers cinq ans, avec un apprentissage qui pourrait être qualifié de classique. J'ai d'abord été initié au pré-solfège, avant de me tourner vers le solfège proprement dit, grâce à ma capacité à maintenir le rythme. Mon parcours musical a inclus l'apprentissage de la flûte à bec, mais c'est avec la guitare classique, dès l'âge de neuf ans, et plus tard la guitare électrique à douze ans, que j'ai véritablement trouvé ma voie. Toute cette formation s'est déroulée à Lausanne, où j'ai grandi.
Dès l'âge de huit ans, mes goûts musicaux ont commencé à se dessiner, avec un penchant pour le hard rock, influencé tout d’abord par des groupes comme Bon Jovi, Europe ou Def Leppard. Ensuite mon exploration musicale s’est rapidement tournée vers le heavy metal grâce à Iron Maiden ou Wasp. Cette passion pour le genre allait à l'encontre des préférences de mes parents, ce qui, je crois, n'a fait qu'attiser ma détermination (rires).
Par la suite, j'ai eu l'opportunité de rencontrer et de collaborer avec Guillaume Desboeufs, un guitariste exceptionnel pour son jeune âge, au sein de divers groupes. Cette expérience a été enrichissante et m'a permis de rencontrer Christophe Godin, actuel doyen de guitare à l’EMA, qui a eu une influence déterminante sur ma carrière. Sous son mentorat, j'ai significativement progressé, non seulement en guitare mais aussi dans ma compréhension globale de la musique.
J'ai également fait mes premiers pas dans l'enseignement de la guitare à l'âge de 20 ans, ce qui a constitué une étape importante de mon parcours. Parallèlement, j'ai commencé à m'impliquer dans l'enregistrement et la production musicale, une passion qui s'est développée au fil du temps. Mon expérience dans la vente au magasin de musique Happy Sound à Lausanne m'a également apporté des compétences précieuses en matière de réglage d'instruments et de connaissance du matériel.
Mon parcours a été jalonné de réalisations diverses, dont la sortie de mon album "The Trip Of Kaïkaï ". Avec le temps, je me suis orienté vers la production et l'enregistrement, développant un intérêt particulier pour l'éditing, le mixage et le mastering.
Photo : Aurélie Dey
> Ton évolution dans le domaine musical est remarquable. Comment définirais-tu ton approche de la production et de l'enseignement aujourd'hui ?
Mon approche repose sur la flexibilité et l'adaptabilité. Que ce soit en composition, en enregistrement, ou en arrangement, je cherche à répondre aux besoins spécifiques de chaque artiste. L'enseignement, d'autre part, me permet de transmettre ma passion et mes connaissances, tout en restant en contact avec la nouvelle génération de musiciens.
> Quels sont tes projets actuels et futurs ?
Actuellement, je continue d'enseigner, de produire et d'enregistrer. Je travaille sur plusieurs projets avec divers artistes, tout en poursuivant ma propre exploration musicale. Je ne peux pas tout révéler au moment où je te parle mais j’ai pas mal de choses dans le ‘pipeline’. Mon objectif est de rester actif dans ces différents domaines, enrichissant ainsi continuellement mon expérience et ma contribution au monde de la musique.
> Pourrais-tu nous partager quelques détails sur tes activités récentes, tes tournées, projets en cours, albums, et ton implication dans la production musicale ?
J’ai travaillé pour de nombreux artistes au fil du temps, dans des styles très variés : Almøst Human, Kadebostany, les parodies musicales de Vincent Veillon et Vincent Kucholl (52 minutes), The Prize, et bien d’autres encore. Mais plus récemment, l’album de Naty Jane, intitulé "My Baby", qui comprend neuf titres vient de sortir. C'est un projet dont je suis particulièrement fier. Par ailleurs, je collabore avec un artiste nommé Lozange, dans l'univers de la chanson française. Il m'apporte ses œuvres pour mixage, un processus que je trouve à la fois complexe et fascinant. Le mixage exige une maîtrise artistique des fréquences, un véritable Tetris sonore qui nécessite des années de pratique pour être pleinement appréhendé.
> Et comment abordes-tu ces défis techniques et artistiques ?
Avec patience et détermination. Le mixage, par exemple, est un domaine où j'ai investi beaucoup d'effort pour comprendre ses subtilités. Grâce aux outils modernes à notre disposition, nous avons la capacité de réaliser des productions de haute qualité. Cependant, la maîtrise de ces outils est cruciale. Comme pour toute forme d'art, ce n'est pas l'outil en lui-même, mais la façon dont on l'utilise qui fait la différence.
> Quel est l'impact de cette approche sur tes réalisations ?
Elle me permet de libérer ma créativité et de me concentrer sur l'essence même de chaque projet. La technique est désormais une seconde nature pour moi, ce qui enrichit ma relation avec les artistes avec lesquels je collabore. Nous pouvons nous concentrer sur l’essentiel : la musique. Cette compréhension approfondie transforme chaque projet en une opportunité d'explorer de nouvelles facettes musicales.
> As-tu des collaborations ou des projets spécifiques que tu aimerais mentionner ?
Parmi les collaborations notables, je continue de travailler régulièrement avec les Vincents (Vincent Veillon et Vincent Kucholl, 52 minutes) pour leurs parodies musicales. J’ai également joué live pour accompagner leurs émissions en direct ou pour jouer à Paléo. Cela illustre la diversité de mes engagements, allant de la production studio à des performances live mémorables.
> Quelles sont tes aspirations pour l'avenir ?
Continuer à développer mon studio, à enrichir mes compétences en enseignement, et à explorer de nouvelles collaborations artistiques. Pour le futur j’aimerais aussi développer mes collaborations avec de grands artistes internationaux. L'équilibre entre l'enseignement et la production studio est essentiel pour moi, car il nourrit mon désir constant d'apprendre et de partager ma passion pour la musique.
> Peux-tu nous raconter pourquoi et comment tu as commencé à jouer de la guitare électrique ? Quel était ton premier modèle ?
Mon initiation à la guitare électrique s'est faite avec une Cimar, une guitare d'occasion que mes parents m'avaient offerte. Je ne saurais préciser le modèle exact, mais c'était une sorte de Stratocaster par la forme du corps, pas tant par la tête. Ce premier instrument revêt une valeur sentimentale importante pour moi, et je le conserve précieusement.
> Qu'est-ce qui a déclenché ta transition de la guitare classique à l'électrique ?
La transition s'est faite naturellement. J'ai débuté par la guitare classique, comme c'était souvent le cas pour ma génération. À l'époque, il n'existait pas vraiment de cours de guitare électrique. Le déclic est survenu lorsqu'un incident malheureux a impliqué ma guitare classique : mon frère s'est accidentellement assis dessus, la brisant. Face à la nécessité de remplacer l'instrument, le choix s'est porté sur une guitare électrique, marquant ainsi un tournant dans ma pratique musicale.
> Et ton premier amplificateur, tu t’en souviens ?
Oui, mon premier ampli était un petit modèle Boss avec deux haut-parleurs de six pouces. Bien que la saturation laissait à désirer, c'était un début. Plus tard, mon premier ampli sérieux fut un Marshall, un modèle Valvestate avec une tête et un baffle quatre fois douze un peu plus petit que les standards. Malheureusement, il fut volé, mais j'ai pu en acquérir un nouveau grâce à l'assurance.
> Qu'en est-il de ta première guitare sérieuse ?
Après la Cimar, ma première guitare de qualité a été une Charvel. Je ne me rappelle pas exactement du modèle, mais c'était un instrument fiable et performant, très éloigné des guitares bas de gamme de l’époque.
> Revenons sur les amplificateurs. Tu as mentionné Park. Quelle est son histoire par rapport à Marshall ?
Park est effectivement une marque associée à Marshall, créée pour contourner les restrictions de vente directe aux États-Unis. Les amplis Park n'étaient pas exactement des Marshall, mais offraient une qualité respectable. Plus tard, Marshall a développé Park comme une marque secondaire, un peu à la manière d'Epiphone pour Gibson. Cela fait partie de l'histoire fascinante de ces marques emblématiques de l'amplification.
> Ton parcours musical reflète une évolution marquée par des choix significatifs d'instruments et d'équipements. Comment ces éléments ont-ils influencé ton son et ton style de jeu ?
Chaque instrument et chaque amplificateur ont contribué à façonner mon son et ma manière de jouer. La guitare électrique m'a ouvert les portes à une expression musicale plus vaste, me permettant d'explorer des genres que j'affectionne, notamment le rock et le heavy metal. L'évolution de mon équipement a été guidée par mon désir d'expérimenter et de perfectionner mon art, une quête qui continue à ce jour.
> Au-delà de la guitare, joues-tu d'autres instruments ?
La guitare demeure mon instrument de prédilection. Cela dit, je m'aventure sur la basse, mais avec l'approche d'un guitariste. Il en va de même pour la batterie et le chant ; je les aborde avec la sensibilité et les techniques d'un guitariste.
> Et qu'en est-il du piano ?
Le piano, c'est une autre histoire. Si je me suis initié à la programmation de séquences de piano, je n'ai jamais réellement investi le temps nécessaire pour maîtriser cet instrument. Je comprends son fonctionnement et je peux m'en sortir pour des besoins spécifiques, mais je ne me considère pas pianiste. Mon cœur et mon âme sont dédiés à la guitare et à ses dérivés.
> Dans quelle mesure ton approche multidisciplinaire de la musique enrichit-elle ton processus créatif ?
La capacité de naviguer entre différents instruments, même de manière rudimentaire, ouvre de nouvelles perspectives créatives. Cela me permet de concevoir des arrangements plus complexes et d'expérimenter avec différentes textures sonores. Chaque instrument apporte sa couleur unique à la musique que je crée, enrichissant ainsi l'ensemble de mon travail.
> Quels sont tes styles de musique préférés ? As-tu constaté une évolution dans tes goûts musicaux au fil du temps ? Si oui, peux-tu expliquer comment et pourquoi cette évolution s'est produite ?
Initialement, je me suis identifié au heavy metal, une décision plus influencée par le désir d'appartenir à un groupe ou une "tribu" spécifique. Mes années adolescentes furent dominées par une écoute quasi exclusive de heavy metal, avec des groupes comme Megadeth Judas Priest ou Iron Maiden. Cependant, avec le recul, je réalise que ma passion pour le genre était aussi motivée par la qualité exceptionnelle de certains éléments. Par exemple, aujourd’hui encore je trouve la voix de Blackie Lawless (chanteur de WASP) unique et extraordinaire. Mais c’est un exemple parmis d’autres.
Avec le temps, mes goûts se sont diversifiés. Vers seize ans, j'ai commencé à explorer des genres plus mainstream, comme la pop et le rock, découvrant Sting, The Police et Bryan Adams entre autres. Cette ouverture m'a permis d'apprécier la richesse de la musique au-delà des frontières du heavy metal.
> Comment perçois-tu l'évolution du son dans le heavy metal et d'autres genres au fil des années ?
J'ai l'impression que, par le passé, les groupes avaient des identités sonores plus distinctes, en partie dues à la diversité des équipements et des techniques de production. Aujourd'hui, l'utilisation généralisée de logiciels et d'outils similaires tend à homogénéiser le son. Cependant, l'authenticité et l'originalité restent primordiales pour se démarquer.
> Quelles influences musicales t’ont marqué dernièrement ?
Dernièrement… je ne sais pas trop. Ma curiosité m'a toujours conduit vers des artistes et des genres variés, du fusion jazz de Greg Howe à la pop sophistiquée de Max Martin. Ces musiciens, chacun dans leur domaine, démontrent un niveau d'excellence et une capacité à transmettre des émotions puissantes, des qualités que je cherche à incarner dans ma propre musique.
> Comment cette diversité influence-t-elle ton travail de producteur et musicien ?
Travailler dans des styles variés, de l'électro-pop à des reprises hard rock de chansons pop, enrichit ma palette créative. Cela me permet de rester flexible et d'apporter une valeur ajoutée à chaque projet, qu'il s'agisse d'adapter un morceau de Dua Lipa en hard rock ou de produire pour un artiste au style vocal singulier comme Lozange. Cette polyvalence est essentielle dans mon métier de producteur et enrichit profondément mon approche de la musique. Je pense que j’aurais du mal à ne travailler que dans un style musical. Cela m’évite l’ennuis.
> Quelles sont tes guitares favorites? Tu sembles favoriser les modèles Stratocaster, n'est-ce pas ? Y a-t-il une raison particulière à cela ? Utilises-tu également d'autres types de guitares ?
Effectivement, je suis assez fidèle aux formes Stratocaster, en partie à cause d'un partenariat avec Schecter, mais aussi parce qu'elles correspondent parfaitement à mes besoins. J'utilise principalement une Schecter Custom Shop USA qui offre une qualité sonore exceptionnelle et une Schecter modèle Nick Johnston pour des sonorités plus pop. Ces instruments répondent admirablement bien à mes exigences techniques et sonores.
Pour les parties nécessitant une approche technique spécifique, je trouve que le design et la jouabilité des Stratocaster facilitent un jeu rapide et précis, ce qui est essentiel pour moi. Cependant, j'ai également personnalisé une vieille Stratocaster avec un manche True Temperament pour obtenir une justesse impeccable sur tout le manche, ce qui est crucial dans un contexte studio.
> Peux-tu nous parler de l'intérêt particulier pour les manches True Temperament ?
Le manche True Temperament a été une révélation, surtout pour le travail en studio. La justesse parfaite qu'il procure est tout simplement inégalée. Jouer sur une guitare équipée d'un tel manche donne l'impression que chaque note est plus juste qu'elle ne devrait l'être sur une guitare traditionnelle. Pour quelqu'un comme moi, qui est très attentif à la justesse, c'est un avantage inestimable.
> Et en ce qui concerne les micros de tes guitares, quelle est ta préférence ?
J'ai une préférence marquée pour les micros simple bobinage, surtout pour les projets pop ou hard rock. Il y a quelque chose dans la réponse dynamique et la saturation naturelle des simple bobinages qui me parle davantage que les doubles bobinages. Avec le temps, j'ai développé une affection pour ce son qui, selon moi, est plus riche et plus dynamique.
> Donc le simple bobinage te semble être plus adapté à un large éventail de styles musicaux ?
Absolument. Bien que les doubles bobinages puissent offrir une distorsion plus prononcée, les simple bobinages possèdent une richesse harmonique et une clarté qui enrichissent le mix, surtout dans des arrangements où la guitare joue un rôle central. C'est cette polyvalence et cette expressivité qui me font préférer les simple bobinages pour la plupart de mes projets musicaux.
> Qu'est-ce qui est essentiel pour toi dans une guitare électrique ?
Pour moi, l'intonation est cruciale. Une guitare doit sonner juste, sans compromis. La justesse influe directement sur la qualité sonore d'un album ou d'une performance live. Au-delà de l'intonation, la résonance et le "feeling" de la guitare entre mes mains sont déterminants. Chaque guitare possède une certaine magie, une caractéristique unique qui doit résonner avec moi pour que je l'adopte.
> Tu as mentionné avoir un faible pour certaines configurations de guitare. Peux-tu développer ?
Certaines guitares, même moins prestigieuses ou moins chères, peuvent avoir un charme irrésistible et une excellente jouabilité. Par exemple, une Epiphone SG ou une Fender Mexico peuvent être surprenantes par leur qualité et leur capacité à capturer cette magie dont je parlais. Pour moi, c'est moins la marque qui compte que la sensation et la réponse de l'instrument.
> Qu'en est-il du manche et des micros de tes guitares ?
Je préfère les manches en palissandre non vernis pour leur toucher et leur sonorité. Les frettes Jumbo et un manche d'une certaine épaisseur contribuent également à la jouabilité et à la diffusion du son. Je ne suis pas un grand fan des manches ultra-fins typiques de certaines Ibanez, par exemple. Quant aux micros, j'opte souvent pour des DiMarzio ou des Seymour Duncan pour leur qualité et leur polyvalence.
> As-tu expérimenté avec des micros au caractère vintage ou moderne ?
J'ai testé une variété de micros, y compris des modèles visant un son vintage ou des options plus modernes. À une époque, j'ai équipé plusieurs de mes guitares avec des Seymour Duncan SH-4 car ils correspondaient bien à ce que je recherchais. Cependant, je reste ouvert et curieux, prêt à explorer de nouvelles possibilités sonores offertes par différents fabricants, même ceux considérés comme "boutique".
> En somme, ton approche est à la fois pragmatique et passionnée. Tu cherches la justesse, la résonance, mais aussi un certain caractère unique dans chaque guitare.
Exactement. La quête de la guitare parfaite est un voyage sans fin, où l'émotion et la précision technique doivent coexister. Chaque instrument a sa propre histoire à raconter, et c'est cette diversité qui enrichit ma musique.
> Peux-tu nous parler de ton expérience avec Servette-Music ?
Mon interaction avec Servette-Music est principalement liée à mes élèves, étant basé à Lausanne et donnant des cours à Genève. Cependant, ce que j'apprécie chez Servette-Music, c'est le support et le service après-vente exceptionnels qu'ils offrent. C'est un aspect crucial pour mes élèves. Bien que les achats en ligne, comme chez Thomann, puissent parfois être moins chers, le service personnalisé et le suivi proposé par un magasin physique comme Servette-Music sont inestimables.
> Quels avantages spécifiques vois-tu à acheter dans un magasin physique ?
L'achat d'un instrument de musique est une expérience très personnelle, en particulier pour des instruments comme les guitares ou les cuivres. Les avantages d'un magasin physique incluent la possibilité d'essayer les instruments, de bénéficier d'un suivi et d'un réglage professionnels, et d'avoir un point de contact direct en cas de problème. Servette-Music offre également une garantie totale de deux ans avec un service de réglage gratuit, ce qui est quelque chose qu'on ne trouve pas en ligne.
> Et concernant le choix et les conseils ?
Les conseils sont essentiels, surtout pour ceux qui débutent ou qui ne sont pas sûrs de ce dont ils ont besoin. L'expertise et les recommandations personnalisées que Servette-Music peut fournir sont d'une grande valeur. C'est ce niveau de service qui distingue un bon magasin de musique. Enfin, le partenariat entre l'école où j'enseigne et Servette-Music renforce ma confiance en leur service et leur offre. Dans un monde de plus en plus numérique, le contact humain et l'expertise professionnelle restent essentiels, surtout dans le domaine de la musique. Servette-Music incarne cet esprit, offrant à la fois une expérience d'achat supérieure et un soutien continu à ses clients.
> Quelles sont les réalisations dont tu es le plus fier dans ta carrière de musicien, auteur-compositeur et producteur ?
Au fil des années, j'ai eu la chance de participer à de nombreux projets significatifs. Enregistrer les guitares pour des morceaux de Kadebostany comme "Mind if I Stay" et "Save Me", qui ont accumulé des millions de vues et de passages radio, reste un moment fort. L'album "Almøst Human", spécifiquement "XS2XTC", est un autre jalon important. Ce projet, réalisé aux alentours de 2019 ou 2020, a été particulièrement gratifiant.
> Peux-tu nous en dire plus sur ton implication dans des événements en direct ?
L'une de mes expériences les plus mémorables fut sans doute ma participation au show de Black Lion Genocide pour les 40 ans du festival Paléo, en collaboration avec Vincent Veillon et d'autres techniciens. Cet événement, où j'ai joué de la guitare sur scène tout en coordonnant la partie technique du spectacle, a été incroyable. Nous avons utilisé des effets pyrotechniques synchronisés et d'autres éléments visuels pour créer un moment inoubliable devant 42 000 personnes.
> Comment perçois-tu l'impact de ces expériences sur ta carrière ?
Chacune de ces expériences a enrichi ma carrière de manière unique, me permettant d'explorer différentes facettes de la musique, de la production en studio aux performances live, en passant par la coordination technique de grands événements. Je suis également fier de ma contribution à divers clips musicaux et émissions, qui m'ont offert l'opportunité de collaborer avec des artistes talentueux dans divers genres musicaux.
> Y a-t-il d'autres aspects de ta carrière qui te tiennent à cœur ?
Outre ces projets phares, je trouve une grande satisfaction dans le travail quotidien avec les artistes, qu'il s'agisse de composition, d'arrangement ou de production. La diversité des styles et des projets sur lesquels je travaille me stimule constamment et contribue à mon évolution en tant que musicien et producteur. Chaque morceau, chaque artiste avec lequel je collabore, apporte une nouvelle dimension à ma carrière.
> Comment gères-tu tes productions et compositions ? Travailles-tu seul ou en collaboration ? Comment débute le processus de composition et quel est ton rôle en tant que producteur ?
Je travaille rarement seul. Que ce soit en studio ou ailleurs, mes projets sont le fruit de collaborations variées avec des artistes, des musiciens de session, ou encore des techniciens comme les Vincents. Mes interventions vont de la composition à l'arrangement, en passant par l'enregistrement, l'édition, le mixage, et même le mastering. Pour Naty Jane, par exemple, j'ai géré l'ensemble du processus, tandis que pour d'autres comme les Vincents, je me concentre davantage sur l'aspect technique post-composition.
Lorsque je compose avec des artistes, nous partons souvent de rien, laissant la créativité du moment guider le processus. Cette approche permet une véritable fusion des influences, rendant le résultat final unique. Les sessions sont généralement limitées à deux ou trois personnes pour maintenir une certaine cohérence.
En tant que producteur, je m'efforce de créer un environnement propice à l'expérimentation et à l'apprentissage. Malgré les rumeurs pouvant me dépeindre comme un "tortionnaire" en studio, le retour des artistes avec lesquels je travaille témoigne du contraire. Ils apprécient la dynamique de travail et l'enrichissement personnel et professionnel qu'ils en retirent.
> Ton approche semble très ouverte et collaborative. C'est essentiel pour le succès d'un projet musical ?
Absolument. La collaboration nourrit la créativité et permet d'atteindre une profondeur et une richesse dans la musique qui serait difficile à obtenir seul. En combinant les talents et les perspectives, on crée non seulement de la musique, mais aussi des expériences mémorables tant pour les artistes que pour le public. Mon rôle en tant que producteur est de faciliter ce processus, en veillant à ce que chaque participant puisse exprimer son potentiel au maximum.
> Pour l'avenir, quels sont les projets qui te motivent et animent ta passion pour la musique ?
L'enseignement occupe une place prépondérante dans mes projets futurs. Je suis déterminé à développer davantage mes cours, convaincu que certaines méthodes et perspectives que j'offre peuvent significativement aider les musiciens à progresser. Parallèlement, je souhaite continuer à m'impliquer dans la production et la composition musicale, collaborant étroitement avec des artistes et des groupes, tant dans l'élaboration de leurs œuvres que dans l'apport de ma touche personnelle à travers la composition.
> Y a-t-il des objectifs particuliers que tu vises à travers tes projets musicaux ?
Outre la quête de la beauté mélodique et harmonique, je suis animé par le désir de participer à des projets ayant un impact significatif, pouvant influencer positivement le monde. Cela peut sembler ambitieux, mais j'aspire à ce que mon travail serve à quelque chose de plus grand, à laisser une empreinte durable.
> Comment envisages-tu ta collaboration avec d'autres artistes ?
Travailler avec des artistes de renom est certes un objectif, mais je suis tout aussi passionné à l'idée de collaborer avec des talents émergents. Chaque artiste, grand ou petit, mérite la même énergie et le même engagement de ma part. Ce qui compte, c'est la qualité du projet et le potentiel de croissance et d'expression artistique qu'il offre.
> Aurais-tu un conseil essentiel à partager avec de jeunes guitaristes ?
Le conseil le plus important serait de clarifier ses motivations pour apprendre la guitare. Il est crucial de s'assurer que cette passion n'est pas dictée par les attentes extérieures, mais naît d'un véritable intérêt personnel pour l'instrument et la musique. Ensuite, trouver un professeur inspirant est primordial. Un bon enseignant doit non seulement être compétent dans le style musical souhaité par l'élève, mais aussi capable de transmettre sa passion et de motiver ses élèves. Pour moi, Christophe Godin a été cette figure inspirante et un véritable mentor.
> Y a-t-il d'autres aspects à considérer pour celles et ceux qui débutent ?
L'initiative personnelle est également cruciale. Il ne s'agit pas simplement d'attendre les directives, mais de rechercher activement les moyens de progresser. Si une technique, un morceau ou un style particulier attire l'attention, l'élève doit se sentir libre d'explorer ces territoires par lui-même, en utilisant toutes les ressources disponibles, notamment les tutoriels en ligne. Cette démarche proactive est fondamentale pour une évolution constante et satisfaisante dans l'apprentissage de la guitare. La clé réside dans la passion, la motivation personnelle, et la recherche d'une guidance qualifiée et inspirante. Avec ces éléments en place, le parcours d'apprentissage de la guitare peut devenir une aventure enrichissante et épanouissante.
Contacts studio d'enregistrement / arrangements / mastering : chrismatthey@gmail.com
Chris Matthey, professeur de guitare à l'EMA : christophe.m@ema.school
> Salut Thierry, tu es fondateur de Ted Guitars, ingénieur, guitariste et passionné. Avant de nous parler de tes guitares, peux-tu nous présenter ton parcours et comment tu en est arrivé là, à fabriquer des guitares à Bordeaux ?
Tout d’abord je joue de la guitare depuis mon adolescence et comme beaucoup c’est un instrument qui me passionne. Ensuite, juste après mes études d’ingénieur en science des Matériaux en 1997, j’ai travaillé chez Pechiney (fonderie d’aluminium) puis Airbus (sur l’assemblage d'éléments de fuselage) et ensuite dans le secteur automobile mais toujours dans la transformation de l’aluminium. J’ai créé Ted Guitars en 2020 après deux décennies à développer et améliorer tout ce qui rend nos guitares inédites et uniques.
> Les Guitares Ted sont en aluminium. Pourrais-tu nous décrire comment tu as trouvé ce matériaux et pourquoi il est tellement bien pour la guitare ?
Tout débute en 1998, je découvre le premier album de Keb Mo (auteur et compositeur américain) et je suis séduit par son jeu en slide et picking (il aura ensuite 5 grammy awards…). Il me donne l’envie d’acheter une guitare à résonateur mais comme je n’ai pas le budget suffisant, je m'intéresse à la structure en achetant les plans, après analyse, je décide de me le fabriquer en essayant avec de l’aluminium … j’y ajoute un micro simple type tele et…. déception, le son ressemble davantage à celui de ma strat que d’un résonateur. C’est à ce moment que je me questionne sur le fonctionnement des micros d’une guitare électrique et que je comprend qu’ils ont la fonction d’aimanter les 6 cordes et que la bobine de cuivre transmet à l’ampli l’intensité induite par la variation du champ magnétique lorsque les cordes vibrent… on peut donc mettre autre chose que du bois sur les guitares électriques ! Je dessine donc Bauxite en 2005 que j’équipe de 2 humbuckers. Je constate qu’elle est légère, qu’elle ne présente pas de buzz (la caisse en aluminium constitue la parfaite cage de Faraday) et qu’elle dispose d’un sustain et d’une précision dans le son remarquable. Si je devais résumer les 3 avantages de nos guitares : ce serait le son (sustain, chaleur et précision), le poids (moins de 3,5 kg) et le look puisque nous proposons des finitions que seules l’aluminium autorise.
> Tu as actuellement 3 modèles principaux de guitare: la Motel, la Saphyr et la Bauxite. Pourquoi et comment tu es arrivé à ces 3 modèles?
La Bauxite parce qu’en 2005 je n’avais pas de Les Paul et je m’en suis un peu inspiré…. La Saphyr est une commande de Morvan Prat, un guitariste nantais, qui avait entendu parlé de mes guitares et qui a souhaité dessiné sa guitare et comme je trouvais qu’il a eu un bon coup de crayon... il a accepté ma demande de la proposer aux autres guitaristes. Elle est maintenant devenue la guitare iconique de Ted Guitars surtout depuis que nous avons créé la finition Sidérale (comme celle qui est dans ton magasin!). La Motel est venue de demandes de guitaristes sur les salons de lutherie. Alors nous avons revisité à notre façon cette mythique guitare. Il faut bien comprendre que Motel n’est pas une telecaster en aluminium mais c’est une guitare Ted costumée en telecaster. La structure sont très différentes. L’expérience avec Motel sera bien différente.
> Il paraît que tu ne t’arrêtes jamais et que tu te reposes un jour sur quinze, c’est vrai ?
C’est à peu près ça !! Pour preuve, j’enchaine les salons de lutherie les weekends après des semaines bien remplies… Cependant, j’adore ce que je fais et je rencontre des passionnés.
> Tu as également un Custom Shop qui te permet de customiser tous les modèles de la marque avec des finitions spéciales, des manches particuliers, des pickups sur-mesure, etc. Peux-tu nous expliquer tout ça un peu plus en détail ?
Notre fabrication est basée sur des petites séries (de 5 guitares) et nous proposons des personnalisations comme le placage de tête en aluminium, la pose de leds dans le manche et dans la caisse, du gravage de logo, nous laissons aux guitaristes (et bassistes !) le choix des essences de bois pour la touche, un vibrato, des peintures… nous avons déjà réalisé beaucoup de guitares et rarement la même.
> Tu proposes aussi un résonateur électrique, le Bauxite Réso2. Comment c’est construit ?
A l’instar de la Motel, je voulais revisiter la guitare à résonateur qui a très (trop) peu évolué depuis sa création dans les années 1920. J’ai pensé à l’équiper de notre innovation qu’est le manche résonant (un manche évidé en aluminium doté d’une touche en bois). Nous ne sommes pas les premiers à proposer un manche en aluminium cependant nous sommes les seuls à proposer un instrument qui résonne du sillet de tête jusqu’au fond de la caisse.
> Il y a aussi des basses ?
Oui très rapidement les bassistes ont plébiscité les basses pour l’avantage du poids. Bauxite et Saphyr ont donc été très vite déclinées en 4 cordes avec des micros CREL, puis nous avons développé une 5 cordes avec Sébastien Tibackx qui a la particularité d’avoir un corps mixte de bois et d’aluminium. Et tout récemment, nous venons de sortir la Motel en versin Short Scale.
> Est-ce qu’il y a des nouveautés qui vont arriver ces prochains mois ?
Nous allons sortir une déclinaison de la Flying V toujours à la facon Ted Guitars.. équipée de série avec des leds dans la caisse…
> Mais en fait Ted, c’est toi ou toi tu es Thierry et ton surnom c’est Ted ?
Je n’apprécie pas trop mon prénom et depuis longtemps mes amis m’appellent Ted; alors je préfère Ted ! j’ai utilisé ce surnom car je souhaitais un nom court et qui se décline facilement à l’international… puisque nous avons cette ambition.
> Un petit mot pour les fans de guitare en Suisse ?
Chers amis suisses, vous avez de la chance d’avoir à Genève un magasin qui ose proposer des instruments de musique inédits alors courrez tenter l’expérience avec une Ted guitars.
> Bonjour Patrick, en plus d’être professeur de trompette et de cor des Alpes, trompettiste professionnel, et expert en divers instruments, vous occupez également la fonction de directeur de l'École de Musique de Bernex (EMB) depuis 1978. Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
Ma vie a été intimement liée à la musique dès ma naissance, héritage familial puisque mon père et mon grand-père étaient trompettistes. Mon père a dirigé la fanfare de Lancy pendant 27 ans, outre ses rôles dans diverses autres fanfares et chorales. Bien que bercé dans cet univers, mon intérêt personnel n'allait pas vers les fanfares, en raison d'une aversion pour les uniformes.
Ma première envie était de jouer du violon, mais, faute de moyens financiers, j'ai commencé avec la trompette, instrument déjà présent à domicile. C’est mon père qui m’a donné mes premiers cours.
Mon parcours musical s'est ensuite diversifié. Attiré par les tonalités graves, j'ai exploré des instruments tels que la contrebasse et le baryton, le basson, cherchant à comprendre les fondements harmoniques des accords. Cette quête m'a aussi conduit à l'accordéon, inspiré par mon cousin accordéoniste. Cette expérience m'a permis de développer une compréhension harmonique plus profonde. Parallèlement, j'ai aussi appris à jouer de la guitare, principalement pour accompagner des chansons autour du feu en tant que chef scout ou des élèves, sans me spécialiser dans les solos. Ainsi, ma formation musicale s'est enrichie à travers une multitude d'instruments, façonnant l'artiste que je suis aujourd'hui.
› Vous avez également suivi une formation au Conservatoire, où vous avez fait un diplôme professionnel et une Virtuosité.
Oui, mon parcours au Conservatoire a été une étape cruciale dans ma formation musicale. Mon père, ayant lui-même fréquenté le Conservatoire à Genève, m'y a inscrit.
J'ai eu la chance d'étudier avec Monsieur Hermann Giger, trompettiste à l’OSR, un professeur génial à la carrière variée, notamment dans les comédies musicales, et qui possédait une vision très ouverte de la musique, loin des sentiers battus du classique.
Cette diversité dans son enseignement s'est révélée extrêmement enrichissante pour moi.Pour obtenir ma de Virtuosité, j'ai dû passer les trois dernières années sous la tutelle de Michel Cuvit. Ce fut une période de transition intense, un moment où l'on se trouve confronté à soi-même, à la complexité des partitions, et à la réalité du monde artistique. Il faut alors transformer ces défis en opportunités.
Conscient de la précarité potentielle d'une carrière artistique, j'ai également poursuivi une formation commerciale, obtenant une maturité et un diplôme dans ce domaine. Parallèlement, animé par un intérêt intellectuel, j'ai étudié la théologie à l'université. Je trouve que la musique et la théologie sont intimement liées, par la recherche de l’interprétation des textes. Je retrouve aussi cette approche holistique chez certains compositeurs, ce qui est très gratifiant pour moi.
Venons-en, à une anecdote peu commune : pendant dix ans, j'ai travaillé à la « Boucherie des Charmilles » que tenait mon parrain et qui se trouvait en face de l’atelier d’Otto Hagmann, fondateur de Servette Music. C'est là que mon premier contact avec la fabrication d'instruments a eu lieu. D’ailleurs c’est Otto Hagmann lui-même qui m'a construit ma première trompette en ré, entièrement façonnée à la main. C'était un lieu de rencontre singulier, où, entre deux livraisons de viande, j'avais l'occasion de discuter avec lui et d'observer son travail d'artisan.
› Concernant l'École de musique de Bernex, est-ce que ce projet est venu plus tard dans votre carrière ?
L'École de musique de Bernex a effectivement marqué une étape ultérieure dans mon parcours. À l'origine, il y avait en 1976 l'initiative de Madame Lisette Tévenaz, l'une des maires de Bernex, qui souhaitait créer une fanfare dans la commune. Un appel fut lancé dans le journal communal, réunissant initialement sept ou huit musiciens adultes. Le premier chef engagé a rapidement renoncé, face à l'ampleur de la tâche. C'est alors que Madame Tévenaz s'est rendue au Conservatoire, tombant sur mon professeur, Hermann Giger, qui m'a proposé de relever ce défi.
À mon arrivée à Bernex, j'ai constaté le potentiel du groupe, mais j'ai rapidement décidé de prendre une direction différente. Plutôt que de former une fanfare traditionnelle, j'ai envisagé de créer un ensemble plus diversifié, incluant des accordéons et se concentrant sur le folklore de la région, notamment celui de Genève et de la Savoie.
Cette idée a été bien accueillie, et nous avons commencé avec une petite formation. Rapidement, les musiciens ont exprimé le besoin de cours de rafraîchissement, que j'ai dispensés pendant un an. C'est à ce moment-là que Monsieur Raymond Maréchal secrétaire général de la commune, également musicien dans notre groupe, a suggéré de fonder une école de musique officielle, liée à notre ensemble, nommé La Brante. Ce nom a été choisi en hommage aux traditions viticoles de Bernex.L'école a alors rapidement évolué. La mairie a proposé d'étendre l'offre aux enfants et nous avons commencé à recruter d'autres professeurs parmi mes connaissances dans le milieu musical. Nous avons établi un partenariat avec la commune : elle s'occupait de l'administration tandis que je gérais l'aspect pédagogique. Aujourd'hui, l'école compte 17 professeurs et 150 élèves, un développement remarquable depuis ses humbles débuts.
› Quels sont vos projets actuels, enregistrements, groupes, concerts et autres activités musicales ?
Actuellement, mon agenda est assez chargé. Nous venons de terminer un enregistrement de trois jours à Lucerne avec « La Brante », un véritable défi compte tenu de la nécessité de créer des arrangements spécifiques pour le groupe. Ces arrangements sont réalisés par mon fils Matthieu et moi-même, adaptés aux compétences et envies de nos musiciens. Prochainement, Matthieu et moi retournerons à Lucerne pour les sessions de mixage.
Par ailleurs, nous organisons annuellement en collaboration avec « L’Avenir accordéoniste de Châtelaine » une soirée « Musique et Fondue ». Puis avec la commune, des « Concerts en famille » conçus spécialement pour les enfants, incluant une préparation pédagogique et une présentation thématique d'environ une heure. Après le concert, les enfants ont l'opportunité d'essayer les instruments et de dialoguer avec les musiciens. Ces concerts renforcent notre lien avec les habitants de Bernex et l'école de musique. Cette année le thème sera Peer Gynt.
Un autre aspect important de notre travail à l'école de musique est la promotion de l'ouverture musicale. Je tiens particulièrement à ce que nos élèves aient une vision globale de la musique, comprenant la polyvalence de leur instrument et l'impact de la musique sur soi et sur les autres. Pour cela, nous envisageons un plan d'études général et des interactions régulières entre les enseignants et les élèves, ainsi que des concerts démontrant les divers aspects de chaque instrument. Nous prévoyons également d'inviter des spécialistes extérieurs, pour enrichir l'expérience d'apprentissage de nos élèves. C'est une démarche que je m'efforce d'encourager parmi nos professeurs, pour cultiver une approche plus ouverte de l'enseignement musical.
> Avez-vous d'autres projets en cours ?
Oui, il y a une dimension théâtrale fascinante dans mes projets récents. Nous collaborons étroitement avec des acteurs et des troupes de théâtre, où la musique joue un rôle essentiel, non pas comme un simple fond sonore, mais comme un élément qui valorise le texte et le travail de l'acteur. Notre collaboration est particulièrement étroite avec Patrick Brunet, un acteur avec lequel nous avons une synergie remarquable, mais s'étend également à d'autres troupes.
Ce travail collaboratif commence dès la genèse du projet, dès le choix du texte, et se poursuit tout au long du processus créatif. Patrick Brunet dirige également une école de théâtre, ce qui renforce davantage notre partenariat.
Nous avons récemment présenté un spectacle intitulé "Les nuages qui passent", centré sur la vie des artistes, des saltimbanques et des gens du voyage. Ce spectacle explore leurs interactions avec la musique, soulignant son impact sur leur vie et vice versa. C'est une exploration profonde de la manière dont la musique et le théâtre peuvent s'entrelacer pour raconter des histoires et transmettre des émotions.
> Pourriez-vous nous parler de vos débuts avec la trompette, de votre premier instrument ?
Mon premier contact avec la trompette reste gravé dans ma mémoire. J'ai toujours cet instrument, que j'ai transmis avec grand soin à mon fils Matthieu. Il s'agit d'une trompette Aubertin, un modèle de perce assez petite, particulier de l'époque à laquelle j’ai débuté, mais qui avait déjà une innovation remarquable : un système de branches interchangeables. Cette caractéristique est devenue par la suite très prisée dans le monde de la trompette.
J'ai utilisé cette trompette pendant de longues années au Conservatoire, jusqu'à ce que les tendances musicales évoluent vers des instruments à plus grande perce dans les orchestres. Cependant, je constate avec plaisir un retour aux petites perces, surtout pour l'interprétation de la musique française classique, comme les œuvres de Debussy ou de Ravel. Les orchestres modernes tendent à rechercher des sons plus authentiques, reflétant les sonorités de chaque époque.
Cette première trompette, une Aubertin donc, est un instrument splendide, orné de gravures et de sculptures, et fabriqué en argent. C'était vraiment le summum de ce qui se faisait à l'époque au Conservatoire. Elle détient une place spéciale dans mon cœur et dans mon parcours musical.
Ces expériences avec différents instruments m'ont non seulement permis d'élargir mon horizon musical, mais m'ont aussi confronté à divers défis culturels et traditionnels, notamment en ce qui concerne le cor des Alpes et sa place dans la tradition musicale suisse. J'ai toujours défendu la perspective que chaque instrument, y compris le cor des Alpes, devrait être libre de toute contrainte traditionnelle et accessible à tous les styles de musique.
> Pouvez-vous nous parler de votre transition vers des trompettes de haute qualité dès le début?
En effet, j'ai eu la chance de commencer avec une trompette exceptionnelle, celle de mon père. Comme son instrument de prédilection était le baryton, il m'a laissé sa trompette lorsqu'il a intégré La Brante. J'ai conservé cette trompette jusqu'à l'arrivée des modèles Bach sur le marché. Puis, j'ai acquis ma première « Stradivarius » en Do.
Cette transition a coïncidé avec les innovations de René Hagmann (Servette-Music) dans la fabrication des trompettes Vibrabell. J'ai eu l'une des premières Vibrabell produites par René, dotée d'un pavillon et de branches interchangeables, ce qui était une grande avancée à l'époque. J'ai expérimenté avec différentes combinaisons de branches et de pavillons, toujours en quête de la perfection sonore, ajustant et modifiant certains éléments au besoin.
Cette trompette, que j'ai utilisée pour mon diplôme en 1979, reste encore aujourd’hui mon instrument principal. Son mécanisme, malgré les années, reste impeccable, témoignant de sa qualité exceptionnelle. C'est un instrument qui a non seulement une grande valeur sentimentale pour moi, mais qui continue aussi de me servir fidèlement dans ma pratique musicale quotidienne.
> Vous avez mentionné que vous jouez de plusieurs instruments. Pourriez-vous en parler davantage ?
Effectivement, mon répertoire instrumental s'étend au-delà de la trompette. L'accordéon, par exemple, est un instrument que j'ai choisi principalement pour des raisons harmoniques. J'avais besoin d'un instrument facilement transportable pour ma troupe de clowns musicaux « Les Redzipets », que j'ai animé pendant dix ans avec mes cousins. Le piano n'était pas une option pratique. L'accordéon s'est donc imposé naturellement, et j'ai appris à en jouer à l’Avenir accordéoniste de Châtelaine.
Puis, il y a eu la contrebasse. Lorsque nous avons formé un orchestre de folklore pour accompagner des groupes de danse à Genève, il était nécessaire d'avoir une contrebasse. J'ai donc acquis cet instrument et, en autodidacte, j'ai appris à en jouer en me basant sur des disques et en pratiquant des gammes et d'autres exercices.
Quant au cor des Alpes, mon parcours avec cet instrument est assez particulier. En tant que trompettiste, j'ai trouvé certaines similitudes techniques, mais j'ai dû m'adapter à sa délicatesse unique. L'achat de mon premier cor des Alpes s’est fait un peu au hasard. J'ai ensuite cherché un instrument de meilleure qualité et me suis tourné vers Ernst Nussbaum, un fabricant réputé pour ses cors des Alpes de qualité exceptionnelle. J'ai eu l'occasion de démontrer mes compétences devant lui en jouant une pièce sur-le-champ, ce qui a renforcé notre relation.
Ces expériences avec différents instruments m'ont non seulement permis d'élargir mon horizon musical, mais m'ont aussi confronté à divers défis culturels et traditionnels, notamment en ce qui concerne le cor des Alpes et sa place dans la tradition musicale suisse. J'ai toujours défendu la perspective que chaque instrument, y compris le cor des Alpes, devrait être libre de toute contrainte traditionnelle et accessible à tous les styles de musique.
> Vous jouez donc du cor des Alpes ?
Oui j’en joue et je l’enseigne.
Initialement, j'avais un modèle Pilatus, dont je n'étais pas entièrement satisfait.
Aujourd’hui je joue sur des instruments de très bonne qualité, un Nussbaum (véritable « Stradivarius») et un cor fabriqué par Gérald Pot de Choëx qui a développé avec René un cylindre permettant de faire les demi-tons.
Le cor des Alpes d’Ernst Nussbaum est exceptionnel, fabriqué en arole, un bois rarement utilisé pour ces instruments. Le dernier cor des Alpes qu'il a fabriqué en arole était pour mon fils Matthieu, peu de temps avant son décès. Ses instruments sont hautement appréciés, recherchés et se vendent à des prix élevés en raison de leur qualité exceptionnelle.
Avec ce cor des Alpes, j'ai voyagé à travers l'Europe, participant à divers festivals et événements, et jouant même des pièces classiques comme la symphonie de Leopold Mozart pour cor des Alpes et orchestre. La pratique de cet instrument m'a aussi amené à composer environ 200 pièces dans divers styles et niveaux de difficultés, enrichissant mon enseignement et ma pratique musicale. Je pense que je me ferai enterrer avec cet instrument…
> Jouez-vous d'autres instruments ?
Oui, ma palette instrumentale est assez large. Outre les instruments déjà mentionnés, je me consacre également aux cuivres graves en raison de mon intérêt particulier pour les tessitures basses. J'ai développé toute une théorie sur les tessitures et le choix des instruments, un sujet assez complexe dont il faudrait un jour que je fasse un livre.
Je me considère avant tout comme un musicien polyvalent plutôt qu'un trompettiste au sens traditionnel du terme. Pour moi, être trompettiste implique souvent une certaine exubérance, qui ne correspond pas tellement à ma personnalité.
Mes influences et préférences en matière de trompette sont reflétées dans des artistes comme Chet Baker et autres trompettistes renommés, tel Erik Truffaz avec qui j’étais au conservatoire. Cette approche plus nuancée et moins centrée sur la puissance du son me convient mieux.
> Quels sont vos styles de musique préférés et vos influences les plus fortes ? Avez-vous évolué dans vos goûts musicaux au fil du temps ?
Il y a un paradoxe intéressant dans mes goûts musicaux. Les styles que je préfère sont souvent ceux que je joue le moins. En tant que musicien professionnel, on est souvent sollicité pour jouer une variété de genres, pas toujours en accord avec nos préférences personnelles. La solution pour un musicien est soit de lancer ses propres projets, soit d'accepter cette diversité.
En termes d'influences, j'ai une affection particulière pour la musique baroque, notamment depuis la renaissance des trompettes baroques. Cette redécouverte m'a permis d'apprécier la musique de cette époque sous un nouvel angle, en comprenant mieux l'harmonie et l'intention derrière ces compositions.
Récemment, je me suis également orienté vers la musique minimaliste, notamment celle d'Arvo Pärt. Sa musique capture l'essence de ce que je recherche : la beauté dans la simplicité. Cette approche s'aligne avec celle de Miles Davis, qui privilégiait les notes les plus significatives plutôt que la quantité.
Cependant, dans ma pratique professionnelle, je continue de jouer un large éventail de musiques, en fonction des engagements. Cette diversité est également enrichissante sur le plan social, me permettant de nouer des liens avec d'autres musiciens.
En conclusion, mes goûts musicaux ont considérablement évolué, passant d'une approche centrée sur la technique à une recherche plus profonde de l'âme et de l'expression dans la musique. Cette évolution reflète une quête personnelle pour une compréhension plus holistique et humaine de la musique.
> Quelle est votre expérience avec Servette Music ?
Mon expérience avec Servette Music remonte à mes rencontres avec le papa de René, Otto Hagmann, notamment lorsqu'il s'occupait de mes premières trompettes. Par exemple, c'est lui qui a résolu les problèmes de mon Aubertin et a construit ma première trompette en ré. Il y avait donc un lien d'amitié solide avec Otto, qui s'est poursuivi avec René.
Chez Servette Music, René a toujours été disponible pour résoudre les problèmes urgents et pour réfléchir avec nous à des solutions adaptées. Il a cette capacité à comprendre et à adapter l'instrument aux besoins spécifiques du musicien, grâce à son expertise technique, son expérience musicale et sa grande humanité.
Mes instruments viennent de là, sont fabriqués et réparés là. Lorsque l'idée de pavillons interchangeables est apparue, Servette Music a été impliqué dans les essais et les ajustements. René a toujours été réactif aux retours et prêt à améliorer ses créations.
J'ai également eu l'occasion de collaborer avec un artisan pour créer une trompette en verre, Monsieur Guy Vigié à St-Guilhem-le-Desert inspirée par un modèle baroque que j'avais vu chez un collectionneur ancien corniste à l’OSR Monsieur Angelo Galletti René m'a aidé pour les dimensions et les spécifications techniques nécessaires. Cet artisan, spécialisé dans le travail du verre, et moi avons travaillé ensemble pour affiner cet instrument unique. C'est une trompette baroque en mi-bémol, que j'utilise toujours. Cette collaboration avec Servette Music et d'autres artisans a été un élément clé dans ma recherche d'innovation et d'expérimentation musicale.
> Pourriez-vous présenter l'École de musique de Bernex en quelques mots, son organisation, ses particularités et les enjeux actuels ?
L'École de musique de Bernex a été initialement fondée pour soutenir les musiciens de La Brante, se concentrant principalement sur les instruments à vent. Nous avions un partenariat avec l'Accademia Vivace, une association de professeurs indépendants, qui se concentrait sur les instruments à cordes. Lorsque la directrice de cette institution a pris sa retraite, la commune a fusionné les deux, ce qui a permis d'élargir notre offre à tous les instruments.
J'ai tenu à préserver un axe de musique traditionnelle, avec des cours d'accordéon, d’accordéon schwyzois, de cor des Alpes, de yodel et autres, en évitant de marginaliser la musique folklorique suisse. Inspiré par des pratiques en Chine où les étudiants apprennent à la fois la musique occidentale et traditionnelle chinoise, j'ai souhaité maintenir cette dualité culturelle.
Un point crucial est l'évolution des professeurs et de l'enseignement. Par exemple, pour l'accordéon schwyzois et la guitare, il est essentiel pour moi que les étudiants apprennent à lire les notes et les tablatures. Cela s'applique également à d'autres instruments et styles. Lire les grilles et les accords en lettres et savoir accompagner par exemple
L'école s'efforce de fournir une formation technique de qualité, avec des professeurs diplômés, tout en restant ouverte à la musique vivante et en respectant les traditions musicales.
Cependant, nous faisons face à des défis tels que l'espace et le financement. Bernex se développe rapidement, et nous avons de nombreux élèves en liste d'attente ce qui oblige à des décisions politiques majeures. La commune, en subventionnant les cours pour ses résidents, doit jongler entre les coûts et les bénéfices de tels investissements.
> L'enseignement musical traditionnel a-t-il évolué ces dernières années avec l'arrivée d'Internet et des tutoriels en ligne ? Comment vous êtes-vous adaptés ?
Dans notre école, j'encourage les professeurs à utiliser la technologie avec modération. L'objectif est de maintenir un lien direct et humain entre le professeur, l'étudiant et son instrument. La technologie doit être un complément, non un substitut à l'enseignement.
Cependant, il y a des cas où la technologie devient une aide indispensable. Par exemple, une harpiste d’un orchestre dans lequel je jouais, par suite d’un accident ayant entraîné la perte de l'usage de ses jambes, a pu continuer sa carrière grâce à un système conçu par son mari. Ce système lui permettait de contrôler le pédalier de sa harpe avec son menton et d'accéder à ses partitions sur une tablette. Dans ce cas, la technologie a été un soutien crucial.
> Avec les évolutions technologiques, en particulier dans la musique digitale et la MAO (Musique Assistée par Ordinateur), avez-vous introduit de nouvelles filières à l'école ? Comment le numérique a-t-il influencé votre enseignement ?
J’ai choisi de ne pas intégrer la MAO ou la musique digitale dans notre enseignement. Mon approche consiste à encourager les professeurs à utiliser la technologie de manière mesurée. Par exemple, avec notre nouvelle professeure de chant, l'utilisation de la sonorisation est faite de manière fine et intelligente. L'idée est de comprendre la technologie sans en faire l'objectif principal.
Lors de nos enregistrements, par exemple, l'accent est mis sur la musicalité et l'expression plutôt que sur la correction technique. On peut certes corriger des erreurs mineures, rien ne remplace la musicalité et l'expression artistique.
Dans le passé, les musiciens étaient capables de s'adapter instantanément à des changements comme transposer une pièce sur-le-champ, s’accorder sans machine. Aujourd'hui, cette compétence tend à diminuer avec la facilité de la transposition numérique et les accordeurs. Cependant, je suis conscient que cette évolution est inévitable et que le prochain directeur pourrait avoir une perspective différente.
Je reste convaincu que la musique doit d'abord émaner de l'humain derrière son instrument. Même avec des instruments moyens, un musicien talentueux et expressif peut captiver son auditoire. C'est cette humanité et cette capacité à transmettre quelque chose à travers la musique que je souhaite préserver, malgré l'avancée des technologies.
> Êtes-vous également compositeur et arrangeur ? Aimez-vous ces aspects de la musique ?
Oui, je suis compositeur et arrangeur. Mon parcours en composition a débuté plutôt par nécessité. Il fallait créer et adapter des pièces pour mes élèves et pour les orchestres de jeunes que je dirigeais à l'école de musique et pour La Brante. Cette nécessité m'a conduit à l'arrangement et à la transposition de morceaux existants.
Avec le temps, j'ai commencé à composer mes propres œuvres, notamment pour le cor des Alpes, cherchant à innover et à explorer des horizons musicaux moins conventionnels. La composition et l'arrangement sont des processus qui m'ont souvent apporté de la joie, bien que parfois je me retrouve avec une certaine frustration en réécoutant certains morceaux.
L'une des difficultés de la composition est de transmettre aux interprètes l'intention et l'émotion d’une pièce. Chaque tonalité, chaque note choisie a son importance et son but spécifique. Les compositeurs de jadis utilisaient des tonalités spécifiques pour des raisons précises. Il est parfois difficile de faire comprendre ces subtilités aux musiciens.
Cela peut être frustrant quand les interprètes se concentrent principalement sur la technique et négligent l'esprit de la pièce. Même en dirigeant ou en enseignant moi-même, il est difficile de faire passer ces nuances. Il y a toujours une distance entre l'idée originale dans mon esprit, sa transcription sur le papier, l'interprétation finale par les musiciens et bien sûr le ressenti du public.
> Pensez-vous que tous les grands compositeurs éprouvent ou ont éprouvé de la frustration ?
Oui, je crois que la frustration fait partie intégrante de l'expérience des compositeurs. Cette frustration se manifeste dans leurs écrits et dans leur manière de vivre. Elle est présente à différents niveaux, même lorsqu'ils travaillent avec les meilleurs orchestres.
Plus un compositeur s'engage dans une recherche artistique et humaine approfondie, plus il est susceptible de ressentir cette frustration. Cela s'apparente à la situation des peintres qui se demandent constamment quand leur œuvre est véritablement terminée. Ils doivent finalement laisser partir leur tableau, ne sachant souvent pas si leur intention sera pleinement perçue.
Cette idée s'applique également aux écrivains et à leur lutte pour exprimer leurs pensées profondes à travers les mots. Pour un compositeur, il y a toujours une certaine distance entre la vision originale, sa réalisation musicale et la réception par les auditeurs. Même si une œuvre est bien jouée, il y a toujours cette question : atteint-elle vraiment le fond de ce qu’il voulait exprimer ?
> Quel est le meilleur souvenir de votre carrière musicale ou vos moments les plus mémorables ?
Parmi mes meilleurs souvenirs, il y a certainement ceux où j'ai ressenti une connexion profonde avec d'autres musiciens, allant au-delà de la musique pour créer une expérience partagée avec le public. Un moment particulièrement marquant a été la représentation de l'œuvre "La Sainte Folie de Nicolas" de Jean-Marie Curti, qui racontait la vie de Nicolas de Flüe (Saint patron de la Suisse). Nous l'avons jouée lors du 700ᵉ anniversaire de la Confédération en 1991, dans une église en Valais, avec moi comme seul musicien (trompette en verre, Büchel et cor des Alpes), accompagné d'une basse profonde, d’une soprano colorature et d’un chœur de femmes.
Ce qui rend ce souvenir spécial, c'est la réaction du public. À la fin de la pièce, il y a eu un silence complet. Personne n'a applaudi, absorbé par la profondeur et l'atmosphère de la performance. Il a fallu plusieurs minutes pour que l'audience puisse relâcher la tension et applaudir. Ce jour-là, j'ai vraiment senti que nous avions atteint quelque chose de profond et d'unique.
En dehors de cela, les concerts de Miles Davis sont aussi parmi mes souvenirs les plus précieux. Chaque fois que j'ai assisté à l'un de ses concerts, j'en suis sorti complètement transformé, retourné par l'expérience. Ces moments ont été des jalons significatifs dans ma vie musicale, m'inspirant et m'influençant profondément.
> Quels sont les projets futurs qui vous tiennent à cœur ?
Alors que j'approche de ma retraite en tant que directeur de l'école de musique, je me tourne davantage vers la réalisation de projets musicaux personnels. Mon objectif est de consacrer mon énergie à la création musicale, me libérant ainsi des contraintes de gestion et des responsabilités administratives.
Je souhaite me concentrer sur des projets qui me passionnent, travaillant avec des musiciens que j'apprécie tant sur le plan musical qu'humain. C'est une démarche vers l'essentiel, une occasion de m'immerger pleinement dans la musique avec des collaborateurs partageant les mêmes visions et aspirations artistiques.
> Quel conseil donneriez-vous à un jeune musicien ou une jeune musicienne pour se lancer dans la musique, notamment la trompette ?
Le conseil le plus important que je peux donner est de s'immerger dans la musique vivante. Il est essentiel d'assister à des concerts en direct, d'observer des musiciens professionnels, de discuter avec eux, et de comprendre les réalités de leur vie. Cela permet de dédramatiser les fausses notes et les moments de stress, et d'embrasser pleinement la musique tout en comprenant l’exigence et le travail qui va avec.
Pour les jeunes musiciens, il est aussi important d'écouter activement divers genres musicaux.
Il est également crucial de vivre l'expérience musicale comme un échange vivant, une interaction joyeuse avec l'instrument. Cette approche peut débuter avec le professeur ou au sein de la famille. J'ai personnellement habitué mes enfants à la musique dès leur plus jeune âge, les emmenant à des répétitions et des concerts, leur permettant de grandir dans cet environnement.
Enfin, choisir le bon instrument est un moment stratégique et essentiel dans la vie musicale d'un enfant. Cette décision doit être mûrement réfléchie, car elle peut influencer significativement son parcours musical. Il s'agit de trouver l'instrument qui résonne véritablement avec l'âme et les aspirations d’un jeune musicien ou d’une jeune musicienne.
C’est un domaine passionnant et qui mériterait d’être beaucoup plus pris en compte par les enseignants.
Peut-être en parlerons-nous un jour à bâtons rompus !
> Quentin, vous êtes luthier et avez fondé De Leeuw guitares en 2021, avant de répondre à nos questions pourriez-vous présenter votre parcours à nos lecteurs?
Tout d’abord après un bac général je suis allé au lycée des Métiers d’Arts de Saint-Quentin afin d’effectuer un CAP d’ébéniste. La rencontre avec le milieu du bois a été pour moi une révélation, j’ai donc décidé d'enchaîner sur un CAP de marqueterie suivi d’un brevet des Métiers d’Arts en ébénisterie et pour finir, un CAP en sculpture ornemaniste. Le but de ce parcours était dès le départ de faire la lutherie. C’est pour cela qu’en 2016 étant alors dans ma première année de brevet des Métiers d’Arts, j’ai créé ma première entreprise : L’Accord du Bois. Grâce à celle-ci, j’ai pu, à la fin de mon CAP de sculpture, vivre de mon atelier de lutherie. Quelques années plus tard, en 2021, nous nous sommes rencontrés avec David pour fonder De Leeuw Guitars, telle que la marque existe actuellement
> Vous êtes une entreprise jeune, mais avez déjà une large gamme de produits (séries classiques, air, moderne, basses) en plus d’un custom shop. Comment fait-on pour tout faire, vite et bien, avec une telle attention aux détails?
Ayant créé mon atelier en 2016, j’ai pu commencer à travailler sur mes premières guitares cette année-là. J’ai pu au cours des années développer mes guitares et mes concepts, comme le manche traversant, ou encore la manière de travailler les volumes de l’instrument.
A la création de De Leeuw Guitars, nous avons travaillé dur pour développer nos guitares afin de les amener à un niveau de qualité et de répétabilité supérieur. Après beaucoup de prototypes, nous avons pu présenter les modèles que vous connaissez. Quant au custom shop, c’est le cœur de notre métier, c’est pour cette raison que j’ai commencé la lutherie : apporter la meilleure réponse possible à la demande d’un musicien et pour cela je mets à profit toute mon expérience et mon savoir-faire.
> Comment vous est venue l’idée des manches traversants?
C’est arrivé dès le début à vrai dire. En tant que guitariste, j'étais très inspiré par des guitares très “pointues” en termes de technique, comme les Ibanez, Vigier, ou encore Musicman. Même si ces marques ne font pas forcément toutes des manches traversants, c’est apparu pour moi comme la manière la plus aboutie de fabriquer un instrument. Cela donne un véritable avantage en ergonomie, ainsi qu’un visuel qui me plaît tout particulièrement.
Lorsque j’ai fabriqué ma première guitare, qui était une 7 cordes, j’ai tout de suite voulu m’engager sur cette voie. 125 guitares plus tard, nous y sommes toujours, avec une ergonomie sans pareil.
> Comment se passe la sélection des bois chez De Leeuw et pourquoi utilisez-vous et proposez-vous des bois huilés?
La sélection des bois est probablement une de mes activités favorites. Que ce soit sélectionner une bille de noyer en scierie ou bien encore choisir précisément le morceau et son orientation pour la guitare, c’est une des étapes cruciales qui donne à nos guitares leurs personnalités visuelles et sonores. En ce qui concerne le choix des essences, nous avons trouvé le compromis qui nous paraissait le meilleur entre provenance indigène et caractéristiques mécaniques. Nous avons donc choisi en priorité l’érable sycomore et le noyer.
La finition huilée est celle qui se rapproche le plus du touché des meubles de style, et c’est un point qui nous est cher. C’est aussi une finition qui se patinera davantage qu’une finition vernie, cela apporte à la guitare au fil des années de jeu un caractère unique.
> Comment sélectionnez-vous les micros que vous montez sur vos guitares?
Le choix des micros est capital pour une guitare électrique. La lutherie se doit d’être exceptionnelle, la guitare doit sonner sans même être branchée. Les micros sont là pour sublimer ce caractère exceptionnel. Nous avons eu l’occasion de tester beaucoup de micros et de marques différentes. Tous nos essais nous ont amené à travailler avec Dreamsongs Pickups pour la plupart de nos guitares. Alberto est un artisan de talent, et c’est le meilleur partenaire pour élaborer nos micros et ainsi sublimer notre lutherie.
> Vos guitares ressemblent à des œuvres d’art, comment en êtes-vous arrivés là?
Chaque luthier à sa vision de la guitare, celle-ci peut se voir au travers de ses fabrications. En ce qui me concerne, j’aime l’idée que la guitare soit à la fois un outil dédié à la musique, un objet qui se doit de répondre à une attente de fiabilité, de confort et de son ; mais aussi un objet d’art, voir même de luxe, beau sous toutes ses facettes, au visuel comme au toucher. Vous pouvez retrouver cet ADN dans toutes les guitares qui sortiront de notre atelier.
> Vous avez un Custom Shop, pouvez-vous nous en parler?
Le custom shop est un peu le summum de ce que peut vous apporter De Leeuw Guitars. Vous venez nous voir avec un rêve, nous le transformons en instrument de musique. Grâce à notre savoir-faire, que ce soit en lutherie de manière générale mais aussi en marqueterie, sculpture et autre, nous pouvons réaliser tous vos souhaits guitaristiques. J’apporte personnellement une attention particulière et un conseil sur tous les projets pour répondre à toutes les problématiques et créer votre instrument de rêve.
> Qu’avez vous en projet de développement, quels sont les news chez De Leeuw?
Super question sur ce qui se passe chez De Leeuw Guitars. D'abord, nous sommes honorés d'avoir remporté le Grand Prix de l’espoir made in France 2023 ! C'est une très belle reconnaissance qui n'est pas seulement une récompense mais aussi un rappel que l'authenticité, le savoir-faire artisanal et la passion peuvent véritablement faire la différence. Il nous encourage davantage à l’exploration, l’innovation et de partager notre amour pour la musique et l'artisanat avec le monde entier. C’est pour cela que nous allons en 2024, augmenter notre présence à l’international en commençant par être présent à des salons de guitare au-delà des frontières européennes. Nous préparons également des combinaisons de bois et des couleurs inédites pour nos guitares. Nous collaborons aussi avec de plus en plus d'artistes et nous renforçons notre présence dans les studios de musique. Restez à l'écoute, de belles surprises vous attendent !
> Maintenant que vous avez une représentation suisse de vos instruments chez Servette-Music, qu’espérez-vous qu’il advienne?
Avec Servette-Music, on vise haut ! On veut que chaque guitariste en Suisse pense à De Leeuw Guitars quand il rêve de sa prochaine guitare. Ensemble, nous aspirons à captiver les amateurs suisses et internationaux d’artisanat d’art et d’excellence à la française. En collaborant dès le début sur des modèles exclusifs et pensés par et pour Servette Music, nous souhaitons montrer l'équivalent de la haute complication de la guitare électrique.
> Bonjour Didier, tu es facteur d’instruments à vent chez Servette-Music depuis plus de 40 ans. Avant de commencer, peux-tu présenter ton parcours à nos lectrices et nos lecteurs ?
J'ai fini l'école obligatoire à l'âge de 15 ans, comme la plupart, et j’avais toujours voulu faire un apprentissage manuel. Je voulais d'abord m’orienter sur l’ébénisterie mais je n'ai pas trouvé de place d'apprentissage à l'époque. Et puis, comme j’étais élève à l’Ondine Genevoise, une école de musique, avec mon père nous nous sommes penchés sur les opportunités dans la branche musicale. On s’est dit qu’il devait bien y avoir un magasin, un atelier qui entretenait tous ces instruments de musique que l'on voyait partout. C’est ainsi que nous sommes entrés en contact avec René Hagmann de Servette-Music, et c’est comme ça que tout a commencé : il m’a pris en stage, et une année plus tard, j’entrais en apprentissage.
> Et du point de vue de la pratique musicale ?
Du point de vue musical, j'ai fait le cursus normal de l’Ondine genevoise, c’est-à-dire quatre ans de solfège – obligatoire – pendant lesquels j’ai aussi commencé à jouer du fifre. Cette méthodologie de l’école permet aux élèves d’être dans les rangs et de participer aux cortèges et aux concerts pendant qu’ils apprennent à jouer d’un autre instrument de leur choix. Le mien s’est d’abord porté sur le tambour, dont j’avais toujours eu envie de jouer, mais en raison de problèmes physiques, je n'ai pas pu continuer au-delà de la première année et j’ai dû me réorienter.
J’étais intéressé par le cor d’harmonie, mais c’était une voie un peu saturée à cette époque, et je me suis donc mis au trombone à coulisse, que j’ai étudié pendant six ans. J’ai eu beaucoup de chance, car le professeur était Roland Schnorhk, musicien de l'Orchestre de la Suisse romande qui donnait aussi des cours à l’Ondine.
> Comment s’est déroulé l’apprentissage auprès de René Hagmann ?
C’était formidable. René m'a pris une année après ma demande, lors de ma quatrième année d’études du trombone, pour un apprentissage qui a duré trois ans et demi en tout. Là, j’ai appris à réparer les bois et les cuivres avec ce génie, on peut dire, et ça fait maintenant 42 années que je travaille avec lui dans l’atelier des vents de Servette-Music. C’est une drôle d’aventure que d’apprendre quelque chose avec quelqu’un et de devenir un de ses pairs au cours du temps.
> Quel tournant ont alors pris tes études musicales ?
J'ai continué à jouer dans les harmonies, et j’ai aussi fait dix ans de big band dans une formation de jeunes qui s'appelait le Ginger Orchestra. C'était intéressant car nous nous produisions partout : dans les hôtels, dans des salles de fêtes, dans des festivals, et dans les Jazz Parade aussi. Et puis en parallèle, je suis rentré à la musique municipale de la ville de Genève, où je joue encore ; je suis quelqu'un de fidèle…(rires)
> Dans quelles autres formations joues-tu actuellement ?
J'ai fait du R&B pendant une année à l’époque, et je trouvais cela sympa mais sans plus. J'ai aussi un peu joué au sein de l'orchestre classique à quelques occasions, et j'ai aussi eu la chance de participer au projet amateur de l’OSR lors de sa première édition. C'était une expérience incroyable.
> En tant que facteur d’instruments à vents, tu travailles sur toute la gamme de ces instruments. En tant que musicien, joues-tu aussi d’autres instruments en plus du trombone?
Non, je ne joue que le trombone pour mes loisirs. Professionnellement, comme je suis spécialiste des bois, je joue du saxophone, de la clarinette, un peu de flûte, un peu de hautbois aussi maintenant, parce que j'en fais énormément pour ce qui est de l’entretien et des réparations. Mais ce ne sont pas des instruments dont je joue à la maison ou en groupe. Par contre, pendant mon apprentissage, j'ai fait deux ans de clarinette avec un professeur pour apprendre à jouer également un bois, en plus du trombone. Toutes les semaines, j'avais des cours de clarinette en parallèle de mes cours de trombone. Je savais déjà manier un cuivre, mais il m’a fallu aussi apprendre un bois dans le cadre de mon cursus, car il était important d’avoir une expérience de première main sur les caractéristiques de ces instruments, pour comprendre leur fonctionnement, avoir une idée concrète de la sensibilité et des méthodes des musiciens que j’allais aider.
> Dans ce que tu as dit, il manque la trompette ; tu en joues également ?
Oui, j’en joue un tout petit peu. J'en ai beaucoup joué à l'époque où je les réparais/restaurais. J'aime bien souffler dans un instrument une fois que j’ai terminé mon travail, pour éprouver la qualité de mes interventions une fois que j'ai fini de les régler ou de les réviser, mais maintenant, j'ai un peu plus de peine à jouer de la trompette. Je connais la technique pour souffler dedans, grâce à mon expérience de tromboniste, mais ça ne va pas plus loin.
> Tu te souviens de ton premier trombone ?
Oui, je m’en rappelle très bien. C'était une marque américaine qui s’appelait Olds, un modèle Ambassador. Ils faisaient de bons instruments à l’époque, et c’était un petit trombone simple – sans barillet – de milieu de gamme. J'aimais le son et les sensations qu'il offrait. Avec le temps, j'ai réalisé que j'avais besoin d'un instrument avec une perce plus grande, ce qui est sympa quand on joue dans une harmonie où on a besoin de plus de volume, et d’une grande projection. Puis après, je me suis mis à un trombone Vincent Bach, un trombone complet équipé d’un cylindre Hagmann. J’étais bien placé pour ça (rires).
> Quels sont tes styles de prédilection, tes préférences musicales ?
J'aime bien jouer dans des harmonies. Non, c’est pas vrai… J’adore ça ! Dans une harmonie, on joue de tous les styles de musique : jazz, rock, classique… C'est très enrichissant, et amusant aussi. D’une façon générale, j’écoute de tout, jazz, rock, classique, avec un petit penchant pour les musiques actuelles. Tu sais, je suis papa, et quand tu as des enfants, ils te font mettre la radio et les albums des artistes qu’ils aiment pendant les voyages en voiture. A force d’entendre ce qu’ils écoutaient, j’y ai pris goût (rires). Après, même si je suis assez ouvert à toutes les musiques, j’ai probablement un biais pour celle des années 80, parce que j’ai grandi avec.
> Quels aspects de la réparation d'un instrument trouves-tu les plus gratifiants et uniques ?
C'est une question un peu difficile parce que mon premier souci est lié à la satisfaction des clients plus qu’à la réussite purement technique de mes interventions. Ce qui compte pour moi, qui fait que j’aime mon métier, c’est de voir les musiciens que je sers sourire et les entendre me dire que leur instrument est parfaitement réglé ou réparé. Ça m’apporte beaucoup de satisfaction de constater le résultat de mon travail, car même si je l’effectue sur un objet inanimé – l’instrument de musique – je le fais pour la personne, l’humain qui en jouera. L’humain, c’est primordial…
Mais si je devais nommer une chose spécifique en termes techniques, je dirais que ce qui me plait le plus est la restauration d'instruments de musique. L’idéal pour moi, c'est quand je peux effectuer une intervention intégralement selon ma conception, et que lorsque je la propose à mes clients, je constate qu'ils sont hyper contents. Ce qui est extrêmement gratifiant. Et à vrai dire, j’ai rarement vu des cas inverses.
> En quoi consiste ton travail en tant que responsable de l'atelier des bois chez Servette-Music ?
Mes responsabilités débutent avec la réception des instruments pour leur réparation ou leur révision. Dans cette phase de contact avec les clients, je les écoute pour comprendre leurs besoins, leurs préférences, ils m'expliquent comment ils jouent, ce qu’ils attendent et ce qu’ils espèrent. C'est le côté devis : j’évalue les possibilités, je conceptualise les étapes, et avec l'expérience, je suis capable de faire des devis assez précis.
Et puis il y a le côté conseil : souvent, les musiciens viennent et me disent "j'aimerais juste un réglage", et en examinant leur instrument, je vois par exemple, sur une clarinette, qu’elle mériterait d’être révisée plus en profondeur, et qu’il faudrait quand même la démonter pour nettoyer les trous, de la perce, parce que ce sont des éléments qui influencent l’intonation. En discutant avec eux, en leur expliquant et en leur montrant parfois sur d’autres instruments ce que ça peut donner, ils comprennent la pertinence de mes propositions. Parce que finalement, ce qui compte pour eux, c’est qu’on fasse un boulot de fond avec sérieux.
En tant qu’artisan, je suis aussi bien sûr passionné par le contact physique avec les instruments : j'adore les toucher, j'adore les entretenir, et faire ce qu'il faut pour qu'ils fonctionnent de manière optimale. Et ça, ça nécessite que je me penche sur des choses plus terre-à-terre, et que je sélectionne et commande le matériel le plus adapté et les pièces les meilleures pour l’atelier, qu’il s’agisse des outils que j’utilise ou des pièces que je remplace comme les tampons, les ressorts, etc.
> Quelles sont les compétences essentielles à développer pour l'entretien et la réparation dans le domaine des instruments à vent, en particulier les bois ?
Dans ce métier, le gros de la compétence, c'est l'expérience. Écouter les gens, écouter les musiciens, c'est très important. Et puis il faut sentir les choses que les clients ne voient pas toujours, pour être capable de leur proposer des solutions qui leur parlent afin d'améliorer leur instrument. C'est assez facile de régler un instrument en fin de compte, mais sans les connaissances qu’on développe avec beaucoup d'expérience c’est presque impossible. Par exemple pour un tampon, il y a une certaine manière de le poser du premier coup qui fera qu’il tiendra longtemps. C'est un geste que l'on acquiert seulement en le faisant des milliers de fois ; il n'y a pas de bouquin qui permette d'aller plus vite. Il faut aussi prévoir la manière dont l’instrument va se dérégler, et dans quel sens, des choses qui dépendent de la manière dont le musicien s’en servira. C’est un savoir qui vient avec le temps, la pratique et l’expérience.
> Depuis le départ en retraite de Patrick Elle, tu t’occupes aussi des hautbois et des bassons ; comment appréhendes-tu le travail sur ces instruments ?
J'ai beaucoup travaillé avec Patrick, et en préparation à son départ, je l'ai longuement observé, car c'était lui le spécialiste. Avant ça, je ne touchais presque jamais les hautbois, parce que c’était son domaine. Mais depuis qu’il a commencé à préparer son départ à la retraite, je me suis mis à fond dedans, et j'ai constaté que ce n'était pas si difficile, surtout avec mon expertise en réparation de clarinettes et d'autres instruments à vent.
Une fois qu’on a posé un tampon, un liège monobloc sur un hautbois, le reste est de l’ordre du réglage. Il faut sentir les choses, faire essayer aux musiciens, et prendre quelques "coups de main". Car finalement, le travail de fond sur un instrument, qu’il s’agisse d’un hautbois ou une clarinette, est le même : on démonte, on nettoie la perce, on nettoie les trous, et on remonte. C'est surtout la pose des tampons qui est différente ; ceux d'un hautbois sont un peu plus difficiles à ajuster que ceux d'une clarinette, mais c'est une question de pratique.
En fait pour moi, l'instrument le plus difficile à restaurer ou à réparer, c'est la flûte traversière. Il y a toujours quelque chose d’aléatoire, car on utilise des tampons spéciaux en feutre avec un carton, et une baudruche qui bouge tout le temps. A l’inverse d’un tampon en liège qui, une fois correctement posé, restera en place jusqu'à ce qu'il faille le remplacer.
> Est-ce que tu peux nous donner des exemples des customisations que tu réalises pour les musiciens ?
L’un des types de customisations que je suis le plus fier d’avoir effectuées est la modification de certains clétages, sur les saxophones en particulier. J'en ai fait beaucoup pour améliorer l'ergonomie, le confort de jeu et faciliter les doigtés. Certains musiciens ont des limitations physiques au niveau des doigts, ou du mouvement des bras, et déplacer une clé à un endroit plus accessible est tout à fait faisable, même si c’est un travail qui demande une grande délicatesse.
> C'est comment, de travailler à côté de René Hagmann depuis plus de 40 ans ?
René Hagmann est mon mentor ; il m'a tout appris. Il a une connaissance phénoménale de l'histoire des instruments, des techniques de construction et des méthodes de jeu. Il va trouver des solutions raffinées pour résoudre un problème, se passionner des semaines sur un détail pour le bénéfice d’un client : "ce brevet a été déposé telle année, à telle époque, par telle personne…" Et puis il a une qualité de contact humain qui est généreuse et enrichissante pour les gens qui le côtoient. Je ne serais pas resté aussi longtemps si René n'était pas aux commandes.
En plus, c’est un inventeur de génie : il a développé plein de choses, comme le cylindre qui porte son nom, qui a été une révolution dans le monde du trombone, et qui équipe les meilleurs instruments des plus grands constructeurs. En ce moment, il termine le développement d’une clarinette, "Résonance", qui est la toute première clarinette au monde qui sonne vraiment juste, avec une émission absolument homogène ; c’est incroyable à voir et à entendre. Il a repris des anciens systèmes et les a remis au goût du jour. Il peut se le permettre, en tant qu’artisan, contrairement aux fabricants qui ne les mettent pas dans leurs catalogues par ce que ça leur coûte trop cher.
En te disant tout ça, j’oublie même de mentionner sa connaissance de la musique : René joue du jazz avec passion et talent, il suffit de l’écouter tester une clarinette pour s’en rendre compte.
> Tu fais aussi beaucoup de dépannages ; en quoi cela consiste-t-il ?
Oui, je fais quatre à cinq dépannages par semaine, en général pour des musiciens qui ont un concert le soir même. C’est très divers : ça peut être quelqu'un qui vient parce qu'il a une fente, par exemple, sur sa clarinette. Les musiciens ne peuvent pas toujours se permettre d’attendre trop longtemps pour qu’on leur règle ça. Les amateurs peuvent peut-être patienter un peu plus, mais les professionnels ont besoin de leur instrument pour travailler. Une clé qui plie, qui est tombée, la clarinette qui tombe, le saxophone qui tombe, ça peut arriver. Il faut donc avoir des gestes précis, rapides, et être disponible. C’est quelque chose que nous faisons naturellement chez Servette-Music, étant donné notre proximité avec les concertistes et les orchestres locaux.
> L'entretien et la réparation des instruments à vent est un vaste domaine. Comment as-tu acquis les compétences pour la réparation des hautbois et des bassons, qui sont notoirement les plus difficiles à réaliser ?
Pour le hautbois, j'ai appris au contact de Patrick Elle. Je m’intéressais à ce qu’il faisait, je posais des questions, et j’essayais de faire moi-même sous sa supervision. Ce qui est délicat avec le hautbois, c’est qu’il faut bien sentir ce qui se passe, car c'est plus fin qu’un saxophone ou un cor. Les réglages sont plus précis, plus sensibles à la moindre variation. Après, c'est souvent avec le musicien lui-même qu’on fignole le travail, car c’est lui l’expert de la pratique de son instrument. Et puis les anches de hautbois, c'est souvent un problème de bien les adapter à celui qui joue. En revanche, pour les bassons, le réglage qui est important, c'est le bocal avec la clé d'octave qui est assez difficile à gérer, car il faut que ça joue sur trois points distincts, donc c’est très précis à régler. Pour ce qui est des tampons et des clés, c'est moins complexe que la clé d’octave quand on connaît le reste des instruments à vent. Cela dit, c’est un instrument de grande taille, qui demande aussi une grande expérience.
> Parlons de la relève au sein de ton atelier. Comment se passe le travail avec la nouvelle génération représentée par notre apprentie, Aude Spack ?
Ça se passe très bien. Elle a des compétences incroyables et elle est très motivée. Elle adore faire, ne rechigne pas à la tâche. Elle comprend vite, et maîtrise assez rapidement les gestes. En plus elle a une personnalité très sympathique, ce qui fait que c’est facile d’entretenir de bons rapports avec elle. C'est quelqu'un sur qui on peut compter pour assurer l'avenir de Servette-Music et maintenir la satisfaction de nos clients.
> Qu'est-ce qui a changé dans l'entretien des instruments à vent, en particulier les bois, depuis que tu es entré en poste à l’atelier en 1981 ?
Peu de choses ont changé, à vrai dire. Le matériel est resté relativement le même, ainsi que les produits que nous utilisons. Il y a de meilleurs matériaux pour certaines pièces, et c’est digne d’être mentionné. Avant, par exemple, les tampons étanches n’existaient pas, du coup ils gonflaient, et tout se déréglait. Maintenant, ça se dérègle beaucoup moins. Pour les collages aussi, la colle Cyanocrilatique pour réparer les fentes, c’est extraordinaire. Et puis il y a les bagues en carbone. Tout cela permet une plus grande stabilité des réglages, et réduit leur fréquence. Ça augmente la fiabilité des instruments, ce qui permet aux musiciens de jouer avec une plus grande confiance.
> Et dans les cuivres, il y a eu des progrès ?
Oui, et là aussi, c’est beaucoup au niveau des feutres de butée, des tampons et des vernis, qu’il y a eu des améliorations. Les huiles, surtout. Pour celles et ceux qui jouent d’un cuivre, l'un des paramètres est la compatibilité de l'instrument avec la salive du musicien, ce qui est bien plus important que pour les instruments à vent en bois, où c'est marginal.
En fait, le gros des améliorations, je les constate sur les instruments d’entrée de gamme. C’est là qu’il y a eu un progrès immense en termes de qualité de construction, en raison des processus de fabrication industriels. Quand il fallait tout faire à la main, construire un trombone pas trop cher voulait dire y passer le moins de temps possible, et ça se ressentait dans le son, au niveau du jeu… Aujourd’hui, c’est une question d’économies d’échelle, ce qui permet d’avoir des instruments – relativement – peu chers qui sont très bien faits.
> Comment vis-tu l’ambiance de travail chez Servette-Music après toutes ces années ?
Servette-Music, c’est toute ma vie. Ça fait 42 ans que j’y travaille, et pour tout ce qui est vie de l’atelier, collaboration avec les collègues, je ne regrette rien du tout, au contraire. Franchement, il n'y a jamais eu de problème, on est dans un milieu musical, on partage une passion commune, et il n’y a pas de mille-feuilles managerial : on parle directement les uns avec les autres, avec les clients, avec les partenaires… C'est comme une famille, mais sans les ennuis, car on reste professionnels (rires).
> Quel conseil tu donnerais à une ou un jeune apprenti.e qui voudrait démarrer une activité au sein d’un atelier de bois ?
Déjà le plus important, c’est de jouer d'un instrument à vent, bien sûr. Peu importe que ce soit un cuivre ou un bois, à vrai dire, même s'il vaut mieux jouer d'un bois si l'on travaille dans un atelier spécialisé dans le domaine, clairement. Ça aide à comprendre les demandes des clients, à ressentir la finesse des réglages… Mais surtout, il faut être passionné, et aller au fond des choses, tout en restant assez zen. Parfois, on révise toute une clarinette en deux heures, parfois on met une demi-journée pour régler quelques clés. Ça demande de la patience, de la créativité, et bien sûr de l’habilité manuelle, mais ça, ça s’acquiert avec le temps. Finalement, c’est comme dans la musique en général : restez curieux, cherchez à vous améliorer, et ne lâchez jamais rien avant d’avoir trouvé la solution au problème. C’est ce qui permet de "sauver la vie" à nos clients, comme ils nous disent si souvent.
> Bonjour Bruno, tu es professeur de guitare au Conservatoire de musique de Genève. Peux-tu présenter ton parcours à nos lecteurs et à nos lectrices ?
J'ai commencé la guitare classique à l'âge de neuf ans à l’APCJM de Meyrin. J'ai choisi la guitare classique parce que je voulais tout jouer, et mon professeur – Paul Portman – m'a dit en gros : "fais du classique et tu verras ensuite". Vers 13 ans, j'ai découvert Nirvana et j'ai commencé à jouer de la guitare électrique dans un groupe de rock/metal avec des potes, tout en faisant de la guitare classique à côté.
Mon prof m'avait inscrit au Conservatoire de Genève parce qu'il trouvait que je me débrouillais bien, et j’ai donc appris le solfège tard, puisque j'avais 14 ans. C'était difficile pour moi parce que je n'avais pas du tout envie (rires)… Par la suite, j'ai rencontré un prof au Conservatoire, Alessio Nebbiolo, qui m'a parlé de la Haute Ecole et des possibilités qu’elle offrait. Pour moi la guitare à ce moment, c'était encore juste un hobby, pas un travail, mais il m'a présenté à Dagoberto Linhares, le professeur à la Haute École de musique de Lausanne, et il m'a poussé à devenir professionnel. Je suis donc rentré en cursus pro et j'ai fait mon Bachelor et deux masters. Le master de concert, qu'on appelait "Virtuosité" à l’époque, et puis le master de pédagogie. J’ai ensuite passé le concours du Conservatoire de Genève et j’y suis revenu pour enseigner.
À côté de ça, j'ai toujours fait de la musique actuelle sur des guitares folk et des guitares électriques. J'ai eu la chance de composer pour Grand Corps Malade – la chanson la plus connue que j'ai fait pour lui s'appelle "Dimanche soir", et elle a fait n°1 sur iTunes et tout le reste pendant plusieurs semaines. Donc maintenant, ça fait trois ans que je suis auteur-compositeur, interprète, et que je sors des chansons, que je fais de la radio, que je m’amuse...
> Quelle est ton actualité en tant que musicien ?
Je viens de sortir une chanson il y a quelques jours et qui s'appelle "Tout bas", dont je vais commencer la promo dans les semaines à venir. J'ai envie de sortir une chanson par mois pendant cinq mois, sur toutes les plateformes : Spotify, Deezer, etc. A côté de ça, j'enseigne au Conservatoire pour les guitaristes classiques ainsi que la musique actuelle pour les musiciens classiques – un projet que j'aime beaucoup et que j'ai envie de développer encore plus. Et puis en 2024, je vais reprendre des compositions pour les autres artistes.
> En tant que professeur au Conservatoire de Genève, peux-tu nous dire quelques mots sur cette institution ?
Indépendamment des préjugés qu’on peut parfois avoir sur l’exigence ou autre, un conservatoire, c’est avant tout l’école de musique de l'État. C'est pour ça qu'il y a des examens et un cursus, parce que comme c'est financé par l'État, on exige des méthodes justifiées et des résultats avérés. Si les élèves ne font rien, ils coûtent de l’argent et ils prennent la place de quelqu'un de motivé qui aurait besoin de la place qu’ils occupent.
> En effet, tu es guitariste classique mais tu enseignes aussi les musiques actuelles…
J'ai un profil un peu sympa pour un prof, vu que je suis dans les musiques actuelles et dans la musique classique. J'essaie de faire le pont entre les deux au Conservatoire. Mon rôle en faisant travailler les musiques actuelles au musiciens classiques, c’est déjà de leur permettre de jouer. Bien sûr, ceux qui veulent devenir virtuoses sont les bienvenus, ces cours de musique actuelle se concentrent sur le fait de jouer et de comprendre les liens entre la musique classique et les musiques actuelles, au niveau de la technique et de la composition.
> Qu’apportent les musiques actuelles aux musiciens classiques ?
J'invite tous les élèves à développer leur curiosité. Pour vraiment prendre son pied comme élève au conservatoire, il faut être curieux. La formation va apporter des bases, et transmettre des techniques sophistiquées. Mais si l'élève est curieux, il pourra aller plus loin et dépasser les enseignements en s’imprégnant d'autres styles, et en abordant d’autres domaines musicaux comme la composition, l’arrangement, ou la production. L’expérience m’a enseigné que c’est une chance qu’on peut se donner à soi-même : ce qui m'a permis de rentrer dans la musique actuelle et de composer pour les autres, c'est la curiosité.
> Comment a commencé ton aventure dans le monde de la musique ?
Quand j'étais gamin, j’avais adoré "Angie" des Rolling Stones, et je voulais la jouer. À l'époque, j'avais sept ans, j'étais trop petit, et mes parents se sont dit que c'était un caprice. Ils m'ont acheté une guitare à King Jouet, tu vois le genre ? Même avec toute la bonne volonté du monde, ça ne marchera pas. Et j'avais acheté un CD-ROM à l'époque pour apprendre la guitare. J'avais essayé des accords et donc deux ans plus tard, quand j'avais neuf ans, mes parents ont réalisé que ce n'était pas un caprice et ils m’ont inscrit à l’APCJM de Meyrin. C'est là que j'ai rencontré Paul Portman, et c'est lui qui m'a fait commencer la guitare classique.
> Tu avais quoi, comme guitare ?
Quand mon prof m’a présenté la palette de toutes les guitares (électrique, acoustique ou classique), j’ai répondu que je voulais tout faire. Mais il m’a recommandé de commencer par le classique et de voir plus tard. J’ai donc commencé sur une guitare classique 3/4, une toute petite guitare d’une élève qui avait grandi et ne pouvait plus la jouer, et dont je ne me souviens plus du tout de la marque. Par la suite, j’ai eu une Cuenca, une Hanika, et puis une Picado.
> Sur quel(s) modèle(s) de guitares joues-tu en ce moment ?
Quand je suis devenu professionnel, j'ai pris une Vogt, qui est une guitare de concert faite par un luthier sur laquelle je joue principalement, mais aujourd’hui j’ai des guitares pour chaque situation : pour l'enseignement, j'utilise beaucoup Hanika. Si c'est pour jouer ou enregistrer du classique, c'est Vogt. Et après, si je joue amplifié avec un micro dedans, j'ai une Prodipe qui est très bon marché, mais dont je trouve le pré-ampli super. En guitare acoustique, j'ai deux Martin – que j’ai achetées ici chez Servette-Music – une HD-28 en palissandre de Madagascar pour les enregistrements et une OM-28 pour les concerts. En électrique, je joue sur Les Paul. J’en ai plusieurs et j'adore ça, parce que c'est celle dont le manche se rapproche le plus de celui d’une guitare classique.
> Quelles sont les caractéristiques qui te plaisent sur ces instruments ?
Ma guitare classique, la Vogt, est une guitare de concert que j’ai choisie pour la simple raison que j'adore le son qu'elle a, et sa projection. Ce n’est pas forcément la guitare la plus simple à jouer parce qu'elle est grosse, mais j'adore sa puissance sonore et les couleurs différentes qu'elle a selon la manière dont on la joue. Normalement, on essaye de ne pas être amplifié pour avoir la vrai reverb de la salle et de la guitare. Et je trouve que celle-ci a vraiment un son à elle. Dans les guitares classiques "de tous les jours" comme les Hanika, j’aime le grand confort de jeu, le toucher léger, mais le fait de retrouver tout de même plusieurs couleurs.
En acoustique, j’aime aussi la projection et la clarté de ma Martin HD-28. C’est une guitare très polyvalente, et elle peut produire une masse sonore aussi bien qu’un un son défini, selon que je joue plus ou moins avec les ongles pour faire sortir les aigus. L’OM, je l’apprécie pour le confort de jeu, c’est pour cela que je la prends en concert. Je retrouve un peu l'énergie de la grande, mais bien sûr, là, c'est amplifié.
Finalement pour les électriques, j’aime la Les Paul pour le son de base, massif, et le toucher, car le manche un peu plus épais – même s’il dérange certains – me convient très bien car je suis habitué à jouer avec des pavés. Et puis, j'aime son look : je la trouve super belle.
> Tu joues d'autres instruments ?
Jouer, c'est un grand mot, mais je compose au piano, car c'est pratique visuellement : les aigus sont à droite, les basses sont à gauche. Et j'ai un autre toucher. Quand je joue de la guitare, j'ai des réflexes, comme tout guitariste ; t'écoutes Jimmy Page, tu sais que c'est Jimmy Page. Tu entends Santana qui fait trois notes, tu sais que c'est Santana. Pour perdre un peu mon style, pour changer, je me mets au piano et je sors des harmonies différentes. Je touche aussi un peu la batterie parce que j’ai beaucoup joué dans des groupes, et qu’on a toujours l’occasion de glaner quelques trucs comme ça. Mais mon instrument, c'est la guitare.
> Quels sont tes influences musicales majeures ?
Comme tout le monde, j’ai évolué en grandissant, mais je suis quand même très rock. Sans doute l'influence de mon père quand j'étais petit… A l'adolescence, j’aimais beaucoup le grunge. Je suis de la génération Linkin Park, Sum 41, tous ces groupes de rock, punk-rock, pop-rock, etc. Je me suis aussi penché les musiques espagnoles, car je jouais de la guitare. Je suis un grand fan de Paco De Lucía, par exemple, et de compositeurs comme Joaquín Rodrigo, qui a composé le Concerto d'Aranjuez.
Ensuite, j'ai découvert la musique de film et ça a pris le dessus tout pendant toute une période. J’écoutais principalement les grands noms comme Hans Zimmer et John Williams, bien sûr, ceux qui sont très influencés par la musique classique. D’une certaine manière, c'est la musique classique d’aujourd’hui. J’aime d’ailleurs en général ce qu'on appelle la musique à l'image, comme la musique de film pure, mais aussi ce que fait un artiste comme Woodkid, dont je suis très fan.Je vogue donc un peu comme ça entre le rock, comme 30 Seconds to Mars, la pop – genre Imagine Dragons – et le classique sous toutes ses formes. Je ne suis pas très musiques urbaines ; j'en écoute parce que j'en compose, mais mes influences sont plutôt rock et pop.
> Donc tu aimes l’énergie d’un style plus que ses codes ?
Avec mon background classique, tu ne seras pas étonné d’apprendre que j’aime les choses orchestrales. J’aime les trucs où, quand le refrain arrive, tu le sens arriver, et où ça explose quand il est là. On retrouve ça par exemple chez Aznavour ou Brel dans la variété française. Dans "Ne me quitte pas", la composition et l’arrangement rendent évident au bout d’un moment que c'est la fin du monde pour lui.
> Tu as vu les instruments que nous avons en magasin, lesquels ont retenu ton attention ?
C’est comme aller dans un magasin de bonbons quand on est gosse, tu veux tout prendre. En ce moment, je suis assez attiré par les Fender, les Strat en particulier, parce qu'elles sont faciles à jouer, et que je n'en ai pas. Et vous en avez de super belles.
> Comment décrirais-tu ton expérience avec Servette-Music ?
J'avais à peine dix ans quand j’ai connu Servette-Music, donc c’est une longue expérience. Je venais de commencer la guitare, il me fallait des cordes, et j’ai rencontré Sergio. Ensuite, j’ai voulu monter un groupe de rock et il me fallait ma première guitare électrique. Je suis donc revenu et j’ai acheté une Epiphone SG – je trouvais qu'elle ressemblait à Batman, j'étais super fan. A partir de là, je suis venu ici pour tout. On est bien reçu, on est tenu au courant de tout ce qui se passe sur la guitare, le service est excellent… En fait, on est à la maison chez Servette-Music : on vient ici, on se pose, on joue, on discute. Tout le monde est sympa, on n’est pas poussé à acheter. C'est quelque chose que j'aime beaucoup, cette absence de pression.
Et puis il y a du bon matériel, beaucoup de belles choses. Ce qui m'a marqué, c'est que dans les premiers prix, il n'y a pas de guitares injouables qu'on vend en général juste pour faire du chiffre. C'est pour ça que j'envoie des débutants ici en toute confiance. Ils viennent tout seuls, ils sont bien reçus, et ils reviennent avec de bons instruments. Donc j'envoie tous mes élèves ici parce vous ne vendez que des guitares très bien, et qu’ils trouvent toujours celle qui leur convient.
> Quel est le meilleur souvenir de ta carrière de musicien ?
Un de mes moments les plus mémorables en tant que musicien était lors d'un concert en Inde, ma toute première fois dans ce pays. Sur le plan culturel, c'était une expérience très différente. Le lieu était vaste, et il devait y avoir entre 500 et 800 personnes. Pour de la guitare classique, c'était assez remarquable. A un moment j'ai exécuté un trémolo et le public a réagi de manière incroyable, comme si j'avais joué un solo de rock. Ils criaient, manifestaient leur enthousiasme, lançant des objets. C'était surprenant pour un concert classique. J'ai retrouvé cette sensation que l'on éprouve dans le rock, lorsque le public chante avec vous, même en jouant du classique.
Cela m'a véritablement donné des frissons et j'ai même ri en jouant. Un autre moment marquant a été lors de ma participation à l'émission de Ruquier avec Grand Corps Malade où nous avons joué une chanson. Ces émissions sont préenregistrées, et lorsque nous avons interprété la chanson "Dimanche soir" avec Grand Corps Malade, l'acteur Bruno Solo a été ému jusqu'aux larmes, et il est venu me féliciter en personne dans ma loge après le concert. C'était déjà une expérience marquante. Mais ce qui était véritablement étonnant, c'est que l'émission a été diffusée le samedi, soit trois jours après, en pleine nuit. Nous étions éveillés dans l'hôtel d'un ami à Loèche-les-Bains, et nous avons regardé l'émission. C'était étrange de réaliser que dès le lendemain, nous étions numéro un des ventes partout, et que l'on parlait de ma composition dans toutes les émissions en France. Nous avons même été invités au JT de 20 heures ! Cette nuit-là était extraordinaire. J'avais simplement composé une chanson, quelque chose que je n'avais jamais fait auparavant, et le lendemain, tout a changé. On parlait de moi, on m'invitait dans des magazines de guitare. C'était complètement fou. On ne parlait pas seulement de l'artiste, mais du compositeur que je suis. Je n'étais pas préparé à cela. C'était étrange, mais aussi extrêmement gratifiant. Et puis deux ou trois jours après cette émission, l'émission "Touche pas à mon poste" en a parlé, disant que c'était l'un des plus beaux moments télévisés de l’année. Mais le plus drôle, c'était que je recevais des messages de personnes qui me disaient : "tu as percé, tu dois être au top en ce moment" alors que je repassais ma lessive dans un appartement qu’un ami m'avait prêté, car c’était la galère…
> Comment perçois-tu l’évolution de l'enseignement de la guitare classique ?
Internet a apporté des avantages et des inconvénients dans l'apprentissage de la guitare, car les vidéos YouTube sont accessibles mais ne remplacent pas un professeur qui peut corriger la posture et personnaliser l'enseignement en fonction des besoins. Certains débutants qui apprennent avec des vidéos peuvent rencontrer des lacunes et devoir tout reprendre à zéro. Et puis il y en a d’autres qui réussissent rapidement et qui deviennent autonomes.
> Comment es-tu devenu compositeur ?
C’est venu naturellement. Depuis que j'ai appris à jouer de la guitare, même quand je jouais cinq notes, j'ai commencé à composer avec ces cinq notes. Ensuite, quand j'ai monté un groupe de rock avec des potes à 13 ans, j'étais le seul qui savait jouer car les autres commençaient. Donc c'était moi qui composais les morceaux. Et puis la première fois qu'on m'a demandé de composer un spectacle de danse, j’ai dit oui sans avoir jamais fait ça. J'ai toujours fait la différence entre travailler, jouer et composer. C'est-à-dire que je travaillais tous les jours, mais quand il fallait jouer, j'avais envie de créer des choses, de m'approprier les musiques. Mais je n’ai jamais pris de cours de composition.
> Quel est ton processus de création en tant que compositeur ?
J'essaye des trucs devant la télé, je laisse mes doigts faire. Mais il ne faut pas que le film soit trop bien parce que sinon je commence à le regarder (rires). Il y a un truc qui ressort de là et j’enregistre des mémos vocaux sur mon téléphone. Je dois avoir 800 enregistrements audio dessus… Avant, je mettais des noms, maintenant, je ne le fais plus. Après je réécoute et je retravaille.
> Et d’un point de vue pratique ?
Je débute en mettant les notes sur papier. J’utilise Sibelius, un logiciel spécialisé qui permet d'écrire les notations musicales. Parfois, avant d'écrire les partitions, je fais une esquisse en MIDI. C'est une étape préalable pour me donner une impression du rendu sonore que je vise. Dans certaines créations, comme pour des spectacles de danse, j'ai dû composer des œuvres complexes. Tout cela prend vie grâce à Sibelius. L'utilisation de Sibelius me permet d'écrire la musique que j'ai en tête, mais je dois avouer que jouer d'autres instruments à cordes n'est pas ma spécialité. Heureusement, j'ai eu l'occasion d'explorer le violoncelle au sein du duo que je forme avec Tiery F, appelé Duo Eras. Ces expériences m'ont apporté une perspective enrichissante, particulièrement utile dans mes compositions.
> Tu fais toujours faire les arrangements en collaboration avec d’autres ?
Personnellement, je ne suis pas un expert en arrangements musicaux et je sais que d'autres sont bien meilleurs que moi dans ce domaine. Ma force réside dans la composition mélodique et harmonique. Je chéris mes mélodies, je trouve qu'elles ont du potentiel. Si je les arrange, c'est bien, mais si Tiery s'en charge, elles peuvent devenir des hits radiophoniques. Je reconnais les compétences de chacun, et je crois qu'il est essentiel de travailler avec des personnes qui excellent dans leur domaine. C'est pourquoi, travailler avec Tiery, un arrangeur et compositeur chevronné, est une évidence pour moi.Je suis convaincu qu'il y a de la place pour tout le monde dans ce domaine créatif. Collaborer avec des pros dans leur domaine, comme Tiery dans l'arrangement, me permet de mettre en avant mes compositions de manière optimale. On forme un binôme parfait, et bien que mon projet musical porte mon nom, c'est avant tout une collaboration entre lui et moi, une synergie créative qui donne vie à notre musique.
> Quels sont les projets qui t'animent pour l'avenir ?
Ce qui me motive profondément, c'est que je vis de la musique depuis mes 19 ans. J'espère de tout cœur pouvoir continuer ainsi toute ma vie. C'est une passion qui m'anime. J'aspire à ne jamais perdre cet engouement. C'est pourquoi, de temps en temps, je fais des pauses, je compose pour d'autres artistes, puis je reprends pour créer mes propres chansons. J'aime pouvoir jongler entre mes différentes carrières. C'est ce qui me stimule le plus. Qui sait, peut-être que ma petite fille aimera la musique, et cela serait une expérience fantastique de partager cette passion avec elle.Sinon j’adore enseigner, c'est une réelle passion pour moi, donc je suis très investi dans le développement du cours de musiques actuelles. J'espère vraiment qu'il va s'épanouir, car c'est quelque chose que j'apprécie énormément, et je vois que les élèves aussi l'apprécient. Je pense qu'on peut créer des groupes de pop très expérimentaux grâce à cela. Actuellement, je travaille avec divers instruments comme la batterie, la guitare, le piano, et même un trombone, ce qui est vraiment enrichissant. Dans mes cours de guitare classique, j'espère que certains de mes élèves seront passionnés et feront carrière dans la musique. Comme tout professeur, j'espère avoir des élèves qui surpasseront mes attentes et qui seront bien meilleurs que moi.
> Quel conseil donnerais-tu aux jeunes qui débutent ?
Bien sûr, j'ai quelques conseils à partager, surtout pour ceux qui débutent dans l'univers de la guitare !
Tout d'abord, l'écoute de la musique est essentielle. Il faut se plonger dans la musique, guitare ou pas guitare. Bien sûr, il faut écouter des guitaristes qu’on apprécie, mais il ne fait pas s’arrêter là. C’est important d’explorer d'autres instruments, et c’est captivant d'essayer de reproduire leur style de jeu sur une guitare.Ensuite, il faut bien choisir sa guitare. Même si on débute et qu'on ne sait pas encore jouer, c'est crucial de se rendre dans un magasin et d’essayer les guitares. Et si on ne sait pas jouer, il faut demander au vendeur de jouer devant nous et choisir celle qui nous plaît le plus. Il fait bien sûr éviter les guitares bas de gamme qui vont causer plus de frustrations qu'autre chose : elles vont sonner mal, faire mal aux doigts, et le risque est d'être rapidement démotivé. Donc il faut investir dans un instrument qui donne envie de jouer.Et puis finalement, ce n’est pas un mystère, la pratique régulière est la clé. Je sais que la vie est trépidante, mais il faut s'entraîner presque tous les jours, même si c’est juste 15 minutes. Apprendre la guitare, c'est un peu comme apprendre à marcher ou à faire du vélo. C'est à la fois un apprentissage mental et physique. Les doigts doivent s'habituer aux mouvements, et c'est un voyage où la persévérance paie. Mieux vaut un peu tous les jours que beaucoup une journée et rien pendant plusieurs jours. La musique peut sembler frustrante par moments, mais une fois qu'on surmonte ces défis, il n'y a pas de plus grande satisfaction que de jouer de la musique ou de la guitare.
Alors, écoutez de la musique, choisissez une bonne guitare, et pratiquez régulièrement. Voilà mes conseils.
> Salut Arnaud, tu es guitariste professionnel et professeur de guitare à l’Espace Musical. Comment les choses bougent-elles pour toi en ce moment ?
Au niveau de l’Espace musical, il y a tous les ans quelque chose de nouveau avec "La musique ensemble" ! Avec cet événement, on organise des cours en groupe, pour faire sortir les enfants du schéma des cours individuels. Ils se mêlent à d’autres élèves, qui ont plus ou moins le même niveau, autour d’un thème différent chaque année. Cette année, le thème c’était la MAO. Et c’est toujours une fête : c’est un moment de partage musical entre les élèves, avec les parents, et ça donne un concert très sympathique à chaque fois.
Sinon en ce moment, j’ai un projet de reprises avec le groupe Lemanic Vice avec qui on se connait depuis longtemps. C’est une équipe avec un sacré niveau musical, et comme on est potes en plus de ça, c’est génial de bosser ensemble. Quand on joue dans un groupe où il n’y a pas d’affinités personnelles entre les membres, à part à des niveaux de virtuosité invraisemblables où tout est toujours parfait de toute façon, ça se ressent dans la musique. Là, avec Lemanic Vice, c’est juste le pied. Je prévois aussi d’enregistrer enfin mon album dans les prochains mois. Donc je trie les compos, et j’écris pas mal de paroles ces derniers temps.
> Quel a été ton parcours jusqu’ici ?
Quand j’avais six ans et demi, j’ai commencé par faire du xylophone au Mexique ! Mes parents y vivaient, c’est pour ça. Mais je me souviens que j’avais assez rapidement la guitare dans le viseur, et surtout le solo de guitare électrique d’Eddie Van Halen sur Beat It. Et il me fait toujours le même effet quand je l’écoute aujourd’hui (rires). Ma mère voulait que je joue un instrument de musique, et j’ai quand même fini par dire que je voulais jouer de la guitare. Donc j’ai commencé au conservatoire à Poissy, à côté de Paris, quand on est revenus du Mexique. J’y ai passé cinq ans, mais j’ai dû arrêter parce que je n’aimais pas du tout lire la musique. Mon prof de guitare classique me montrait comment jouer les trucs, et j’avais fini par avoir trois ans d’avance au niveau technique, mais j’étais en retard pour la lecture. Il y avait donc un tel écart entre ce que j’étais capable de jouer – et de retenir – et mon niveau de lecture, qu’on m’a gentiment fait comprendre que ce n’était plus possible de continuer comme ça.
J’ai donc ensuite eu un professeur particulier, et ça tombait bien, parce que j’avais environ 13 ans, j’aimais bien le jazz, toute la culture "folk moderne" : la pop, la country, le rock, et toutes ces choses là. Mais surtout le jazz. Et mon prof, Philippe Kerrien, m’a accompagné là-dedans. Deux ans sur guitare classique, et ensuite sur électrique à partir de mes 15 ans. A 17 ans, j’ai fait une année en tant qu’animateur. Mais à la maison c’était "passe ton Bac d’abord" (rires). Et quand j’ai eu 19 ans, et que j’ai eu les moyens de m’en acheter une, je me suis mis à la guitare folk. Ça allait bien avec les feux de camp, tout ça. Et à 20 ans, j’ai fait l’American School of Modern Music.
> Une école avec un cursus professionnel ?
C’est un cursus de cinq ans, au cours duquel j’ai appris à faire des arrangements, à composer, à composer dans de brefs délais. J’ai fait de la musique de films, des duos, des trios, des sonates, et surtout, j’ai fait beaucoup de concerts et appris un grand nombre de standards de jazz. J’ai aussi fait des arrangements pour big band, j’ai fait le chef d’orchestre… C’était une formation très complète, et quand on sort de cette école, on n’a plus du tout la même écoute qu’en y entrant. D’ailleurs aussi pour le déchiffrage, j’y ai appris que ce qui est intéressant est d’arriver à un niveau où quand on lit la note, on ne va plus chercher mécaniquement sur quelle case elle est, mais où on joue la note qu’on lit parce qu’on l’entend dans sa tête.
> Comment es-tu arrivé à Genève, alors ?
Après cinq ans de vie parisienne, quelque chose n’allait pas vraiment pour moi, je ne me sentais pas à ma place. Et puis à cette époque j’ai rencontré mon ex-épouse qui vit dans le coin, donc je suis finalement arrivé ici un peu par hasard. Je me suis rendu compte ensuite que j’avais une formation et une expérience importantes au niveau de l’animation et du travail avec les enfants. J’ai donc fait plein de petits boulots et pour finir, j’ai passé un entretien à l’Espace Musical. Il y a une raison pour laquelle pas mal de profs de guitare ne donnent pas de cours aux enfants en dessous de huit ans. Et moi je sais précisément relever ce défi, en fait. En tant qu’animateur, j’étais habitué à travailler avec des enfants de manière ludique, et ça compte énormément avec eux, pour faire vivre l’envie de jouer. Donc ça collait parfaitement.
> Quelle a été ta première guitare folk ?
Mon premier modèle, que j’utilise toujours, est une Larrivée L5. J’avais tout essayé : Takamine, Ovation, tout. Je trouvais que ça sonnait, mais il me manquait toujours quelque chose. Et puis il y a eu cette Larrivée, qui était magnifique. Elle avait une sonorité pleine, puissante et chaude, et elle était aussi d’une beauté remarquable, toute en acajou rouge. J’étais conquis, et je suis resté fidèle.
> Et de quels autres instruments joues-tu ?
Je suis essentiellement guitariste, le reste c’est pour m’amuser. Je joue de la guitare classique, de la folk, "des" électriques, du ukulele, un peu de basse, du banjo, et du charango, un instrument à cordes d’Amérique du Sud, avec cinq cordes doublées. Mes parents me l’avaient rapporté d’un voyage quand j’avais 24 ans. C’est un tout petit instrument avec des cordes en nylon, qui sonne donc très aigu, sur lequel on peut faire des choses mélodiques et rythmiques intéressantes.
> Quels sont tes influences majeures, et comment tes goûts ont-ils évolué avec le temps ?
Mes influences sont nombreuses. J’aime la guitare classique, j’aime la musique classique, romantique, baroque, contemporaine – Debussy, Alfred Schnittke, le grand orchestre… Et puis j’aime le jazz. J’aime Miles Davis, le jazz des années 50 en général, John Scofield, et surtout Adam Rodgers, qui est pour moi un guitariste extraordinaire parce qu’il sait aussi bien jouer du classique que du jazz contemporain, qu’il mêle dans des thèmes captivants.
> Un peu de rock peut-être ? Je t’ai entendu jouer un morceau des Stones un jour…
Bien sûr. Les Stones, Led Zep tout spécialement, Zakk Wylde – j’adore ses albums acoustiques – et toute la musique bien faite en général. Et on n’a pas encore parlé de la bossa nova. Baden Powell, et Paoliño Nogueira, notamment. J’invite tout le monde à écouter "Samba em prelùdio" de Paoliño Nogueira, c’est magnifique. Il y a ce côté rythmique prenant qui fait qu’on a envie de danser quand on l’écoute.
> Tu as des références variées. Il y a une limite à ce que tu aimes ?
Ecoute, j’aime même la vulgarité de Gainsbourg dans certains titres (rires), et le metal. Pas tous les groupes, mais j’aime Tremonti pour les choses récentes, et Megadeth et Pantera pour les trucs old school. Ça fait parfois du bien en voiture (rires)
> Quelles sont tes guitares folk préférées ?
Je me suis toujours dit que je me payerai une Martin D-45 pour mes 45 ans. C’est bientôt, alors j’essaie d’en parler autour de moi pour trouver des fonds (rires). J’adore ces guitares, elles sont exceptionnelles. Larrivée avait d’ailleurs commencé en faisant des Martin meilleures que Martin à ses débuts. Et puis j’aime aussi les Collings, elles sont superbes. Mais je pourrais tout aussi bien apprécier une vieille Guild au son sec sur laquelle il faut monter du 13-56 et cogner, selon son caractère.
> Qu’est-ce qui est important pour toi dans une guitare folk ?
La première chose qui va me faire réagir, c’est la dynamique. Une guitare me plaira si je sens qu’elle peut envoyer beaucoup de volume, mais qu’on peut aussi jouer pianissimo. Ensuite, le sustain est très important pour moi. Il faut que la note s’éteigne le moins possible et sonne longtemps. Et puis enfin, le grain est essentiel aussi.
> Et le confort ?
C’est quelque chose qui va avec le fait de passer du temps sur l’instrument. C’est à moi de m’adapter à la guitare par rapport à ça. Si elle sonne super bien, les fabricants vont avoir pensé à la rendre assez jouable. Pour le reste, je pense qu’on peut quand même faire un petit effort (rires).
> Comment décrirais-tu ton expérience avec Servette-Music ?
Servette-Music est le premier magasin dans lequel je suis venu acheter des cordes quand je suis arrivé à Genève. Je me souviens que Sergio était derrière le comptoir, et je suis venu plusieurs fois après pour l’embêter un petit peu… J’avais envie de faire mon pedalboard, donc j’essayais des trucs, des effets. Mais j’ai aussi surtout été magasinier ici pendant dix ans, et j’ai eu accès à toutes les guitares, et la possibilité d’affiner mon oreille. Et aujourd’hui Servette-Music est le magasin que je recommande à tous mes élèves. Vous avez des guitares d’études magnifiques et un service après-vente au-dessus de tout ce que je connais. Un jour, j’avais un élève dont le chevalet se décollait, et je l’ai envoyé chez vous. Vous lui avez changé la guitare tout de suite. Bon, j’imagine que vous vous êtes débrouillés après avec le fournisseur, mais en tant que client c’est juste la classe.
> Peux-tu nous parler de ton activité de professeur à l’Espace Musical ? Qu’y a-t-il de particulier dans le fait de travailler avec les enfants ?
L’espace Musical est une école spécialisée dans l’éveil musical et l’apprentissage d’un instrument à un jeune âge. On est une vingtaine de profs, et on donne des cours de guitare individuels aux enfants à partir de l’âge de cinq ans. De cinq à huit ans, les cours sont très différents de ceux que auxquels assistent les plus grands, et c’est passionnant parce qu’avec les enfants, par rapport à l’apprentissage, on va tout de suite être dans le jeu et on va jouer de la musique avant de savoir lire. On met donc en place quelque chose de très important : retenir la musique avant de la lire. Même si on ne s’applique pas spécialement pour jouer telle ou telle note, ce n’est pas grave, l’essentiel c’est de s’amuser à jouer. Les adultes ont plus de peine à lâcher prise et à jouer quelque chose quand ils savent d’avance que ça ne va pas sonner. Les enfants, eux, ça ne les embarrasse pas.
L’Espace Musical adapte aussi ses cours à chaque enfant. Comme ce sont des cours individuels, on arrive rapidement à cerner une difficulté particulière, et on va adapter l’enseignement. Et comme je le disais, avec "La musique ensemble" on fait jouer les enfants ensemble, parce que ça fait partie de la musique de sortir de sa cave pour rencontrer les autres. C’est passionnant à regarder et ça leur permet d’évoluer. Tu vois des enfants qui ont six ans et qui ont commencé la guitare depuis un an se rendre compte qu’ils arrivent à jouer certaines difficultés techniques, et que leur camarade arrive à en jouer d’autres ; et du coup ils échangent, et construisent déjà leur identité musicale.
> Tes élèves sont un peu jeunes pour ça, mais que penses-tu en général des cours sur internet, des tutos, etc. ?
Je me rends compte qu’un bon professeur ne peut pas être remplacé par des tutos sur internet, quelle que soit leur qualité. On s’en aperçoit avec les enfants, les ados ou les adultes qui apprennent comme ça, et qui finissent quand même par prendre des cours parce qu’ils n’ont pas de schéma pour avancer. Un prof est nécessaire pour coacher, en fait. D’abord pour montrer la palette musicale qu’on peut envisager quand on est guitariste. Par exemple pour le jeu de la main droite, le jeu avec plectre, avec les différentes techniques de fingerpicking. Ça c’est pour le côté possibilités. Et puis il y a les contraintes : surtout le sens du rythme, qui est une grosse lacune chez beaucoup de musiciens qui apprennent tout seuls. On n’a pas ça dans le sang ici, en Europe, et c’est pourtant quelque chose d’essentiel. Mais ça se travaille.
> Tu nous as dit que tu allais enregistrer un album. Comment se déroule ton processus de création ?
En règle générale, ça part d’un riff, mélodique ou rythmique. Si j’arrive à m’en rappeler au bout de quelques jours, ça veut dire que c’est pas mal. Si je sens quelque chose de particulier dedans, je vais l’enregistrer et le reste vient tout seul. Sans vouloir être prétentieux, je pourrais écrire trois morceaux par jour. Mais après, j’en ferais quoi ? Il ne faut garder que le meilleur.
> Quel est le meilleur souvenir de ta carrière jusqu’à présent ?
Le festival des Hell’s Angels à coté de Clermont-Ferrand, dans un petit village en Auvergne, est un super souvenir. C’était une organisation magnifique. Il y avait Eagle Eye Cherry, Poppa Chubby, Franck Black, Rose Tattoo, une grande scène, et une petite scène. Nous, on jouait sur la petite. Il y avait une atmosphère à la Woodstock : avec uniquement de la musique qu’on aimait – du rock, une vibe "flower power" très chouette, limite hippie. Très roots en tout cas. On dormait dans une tente, on avait du fun, on jouait de la musique, on était payés…
Sinon, mon expérience avec les frères Alba, et Gianni Di Paolo, quand on est partis à Manille, a aussi une place spéciale. J’ai pris le rôle de guitariste-chanteur pour cette occasion, et c’était un super moment de partage entre nous et avec le public. J’ai beaucoup aimé chanter en français devant un public philippin… Il faisait chaud et beau, et on a fait de belles rencontres.
> Chanter t’est venu naturellement ?
J’ai toujours chanté, et ensuite ça a pris de l’importance avec la guitare électrique. Quand j’avais 18 ans, notre chanteur nous avait lâché pour l’enregistrement de notre premier album – on ne s’était pas disputés, c’était un autre truc, je ne sais plus quoi. Parmi tous les gaillards qu’on était, c’était apparemment moi qui chantais le plus juste, donc on m’a dit "faut que tu chantes". Je m’y suis collé, et c’est comme ça depuis. J’avais une voix toute fluette, alors que j’aurais voulu sonner comme Rod Stewart ou Zakk Wylde, des chanteurs avec un coffre énorme et une voix rocailleuse. Alors ce n’était pas facile (rires)…
> Je t’ai écouté plusieurs fois, tu as bossé énormément !
J’ai beaucoup bossé. En plus j’ai pris quelques kilos depuis mes 20 ans, donc il y a plus de coffre (rires)… Je suis plus à l’aise aussi, j’ai gagné quatre tons dans les graves et je suis baryton à l’origine. Mais par contre ça se dégrade un peu dans les aigus avec l’âge. J’ai appris à garder le même timbre indépendamment des circonstances, aussi. Quand on chante, la position dans laquelle on se tient impose des contraintes qui peuvent affecter la texture du son, mais en s’enregistrant beaucoup, on apprend à compenser ça et à avoir un timbre constant.
> Quels sont les projets que tu espères faire aboutir prochainement ?
J’aimerais bien faire mon album, et surtout rencontrer des musiciens, d’autres musiciens avec qui jouer de la musique. Ce qui est sympa, c’est de partager des moments avec des gens avec qui on s’entend.
> Que conseillerais-tu à un.e jeune guitariste qui débute ?
D’abord, il faut surtout de garder à l’esprit que le but est de prendre du plaisir. Ensuite, si ça ne colle pas avec un professeur, il ne faut pas hésiter à changer. Parfois il y a des personnes qui ne nous correspondent pas, et c’est important d’en tenir compte. Et puis enfin, je recommande de trouver une méthodologie pour déterminer comment travailler, avec des exercices quotidiens ludiques pour avancer. C’est en s’amusant qu’on progresse musicalement, au fond, non ?
> Salut Grégoire, tu es guitariste professionnel et professeur de guitare indépendant. Peux-tu nous parler de tes activités ?
Je suis musicien professionnel et professeur indépendant, et je joue actuellement dans plusieurs groupes pour le plaisir de jouer ensemble. Quand on a une opportunité de concert, on le fait, mais on répète surtout pour entretenir et développer notre jeu sur l’instrument. Dernièrement, j’ai démarré plusieurs projets. Il y en a un que je viens de commencer avec une chanteuse avec laquelle ça fait 30 ans qu'on se dit "On fait un truc ?" "Ouais, ouais, OK, d'accord." mais rien ne s’était fait jusque là. Et là, je lui ai dit "Sylvie – elle s'appelle Sylvie Pique – là maintenant, on y va, on fait un truc. Je te propose un projet pour lequel on s'adresse à un public âgé."
> Un public âgé, c'est-à-dire ?
C'est ce qu'elle a demandé (rires). Des gens de l'âge de nos parents, qui étaient les soixante-huitards, parce que la musique qu’on aime vient essentiellement de ces années-là. On a donc monté un répertoire d'une heure et demie qui va, en gros, de Gainsbourg à Clapton, et on va le faire tourner un peu dans des endroits où se trouvent des personnes de cette génération. Ce qui est chouette c'est que ça marche super bien entre nous. Je sais que Sylvie est une personne en laquelle je peux avoir toute confiance, ce n'est pas une diva, c'est quelqu'un qui sait chanter. Elle a une grande formation classique, mais ça ne l'empêche pas de chanter des choses beaucoup plus modernes. Elle a une très grande culture musicale, elle aime aussi bien Janis Joplin que des répertoires contemporains et classiques, et donc, elle sait bien manier sa voix. Il n'y a pas besoin de revenir beaucoup de fois sur les choses, elle connaît bien son instrument. C'est très, très sympa.
Et puis, actuellement, j'ai aussi un duo avec un pianiste qui s'appelle Alexandre Rodrigues, qui est sur Genève et qui a beaucoup de talent. Ce duo est d'ailleurs appelé à devenir un trio, parce qu'on est en train d'essayer avec un contrebassiste. On joue aussi bien des standards de jazz que des musiques de film, du Dylan... On est assez inspiré par ce qu'on a entendu entre Bill Frisell et Fred Hersch comme duo piano/guitare pour construire ce répertoire-là. Ce n'est pas évident de ne pas se marcher dessus musicalement, à avancer avec prudence, dans un duo avec deux instruments harmoniques comme ça.
Enfin, je joue dans un autre trio avec Cléa Pellaton et Ariane Morin, saxophoniste et contrebassiste extraordinaires, qui viennent de Lausanne. Là, en termes de répertoire, c'est plutôt des standards de Jazz.
> Quels ont été ton parcours et ta formation pour en arriver là ?
Je suis surtout autodidacte. Ma formation musicale a commencé quand j'étais dans une école d'art à la fin des années 80 où quelqu'un m'a tendu une cassette en me conseillant de l'écouter. C'était "Get Yer Ya-Ya's Out!" des Rolling Stones, et en l'écoutant, je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire de ça. J'étais très impressionné par le son d'ensemble du groupe sur ce disque. Et quand je le réécoute encore aujourd'hui, je retrouve toujours cette vibration que j'ai eu la première fois que je l'ai entendu. L'époque Mick Taylor était la meilleure période des Stones à mon avis, même si je sais que c'est très personnel. Mais là, les deux Les Paul branchées dans les amplis Ampeg, c'était magique pour moi. Et puis surtout les riffs géniaux des guitares qui se répondent et qui se complètent parfaitement, sur "Honky Tonk Woman" on touche au sublime (rires) !
Mon adolescence c'était aussi la grande période des concerts télé-diffusés mondialement. Il y avait eu le Live-Aid, et un autre d'Amnesty International. Après avoir écouté cet album, j'ai dit à mes parents que je voulais jouer de la guitare, et ils ont proposé un deal : j'achetais la guitare, et ils me payaient les cours.
> Un très beau geste de la part des parents...
Comme tu dis. Presque un instant plus tard, je trouvais ma première guitare et mon premier ampli chez Kaspar Vicky. La guitare était une Aria Pro II pas géniale, mais j'étais très content de l'avoir. Je ne me souviens plus de l'ampli, sauf que c'était un truc assez nul. Et j'ai tout de suite commencé à prendre des cours à l'ETM, quand l'école venait d'ouvrir.
Puis, assez rapidement, j'ai rencontré Christian Graf qui s'est occupé de moi. Au-delà des conseils sur les gammes, les accords, l’harmonie etc, il m'a donné des pistes de travail et des conseils sur les réglages de l'ampli, les effets, sur le son, et aussi sur la scène, sur l'écoute. Il m’a aussi beaucoup parlé des instruments eux-même, notamment leur fabrication. C’était un peu plus que le cours de guitare basique, genre "apprends ce morceau", c’était plus vaste et plus riche. On se voit d'ailleurs toujours.
> Il t'a donné une formation à 360°, on dirait.
En gros, oui. J'ai parachevé tout ça grâce à d'autres contacts, à une année de cours en pré-pro à l’EJMA en 2008-2009, à des lectures de bouquins, de magazines et autres, mais la personne avec qui j'ai échangé le plus a été Christian. Parallèlement, je jouais énormément avec les disques, dont j'ai appris beaucoup de choses. Il y avait les Rolling Stones, Clapton – essentiellement Clapton – et tout ce blues-rock des années 60, 70, et 80.
> Quels étaient les styles qui t'attiraient le plus ?
J'ai repiqué à peu près tous les morceaux et les solos qu'a joué Clapton, j'ai appris énormément comme ça. Après, je me suis tourné vers les fondamentaux du blues : Howlin' Wolf, Muddy Waters, Buddy Guy, Elmore James... J'ai compris que la nouvelle génération avait littéralement pillé cette musique, mais qu'elle l’avait aussi beaucoup popularisée. Le rock, le hard-rock, et beaucoup de ce que j'écoute vient de là. Les groupes que j'aimais avaient mis la musique des anciens au goût du jour. D'ailleurs, comme on a pu le voir, ça a permis à ces anciens d'avoir une seconde carrière. Parce que quand sont arrivées les musiques d'Elvis, etc. dans les années 50 et 60, les carrières des Muddy Waters et compagnie étaient terminées aux US, et ils ont donc traversé l'Atlantique pour faire des concerts en Europe, là où ils ont eu un second souffle grâce, entre autres, à John Mayall.
Puis après, je me suis intéressé au jazz et j'ai fait des ateliers à l'AMR dans différentes formations. J'ai joué dans le Big Band pendant deux ans, ce qui a été une expérience formidable : c'était génial d'apprendre à phraser, d'apprendre à se faufiler dans un ensemble de 20 musiciens, à trouver sa place en tant que guitariste. C'était la première fois où j'avais une place dans la section rythmique d’un tel orchestre. Quand tu joues de la guitare, dans bien des cas, tu joues les accords et tu y vas. Moi qui avais toujours été dans de petites formation musicales, là, tout d'un coup, c'était le gros truc. Donc, comment faire ? Vu que tout le monde cause en même temps, tu ne peux pas en rajouter, toi, encore plus. Il faut que tu fasses les choses très en retrait, tu es derrière. Dans cette configuration, le guitariste c'est le gars que tu n'entends pas, mais si tu l'enlèves tu t’aperçois qu'il manque.
> Tu as aussi beaucoup expérimenté avec les différents types de guitares ?
Un peu. Comme je te l'ai dit, ma première était une Aria Pro II. C'était une réplique de Charvel, celle qui avait la tête un peu pointue. Elle n’était pas terrible, et je l'ai revendue pour m'acheter une Gibson ES-335. Et quand j’ai revendu ma 335 j'ai acheté ma première grande guitare, une PRS Custom 24. Alors là, ça, c'est une de ces guitares qui font que tu ne sais plus jouer quand tu l’as pour la première fois dans les mains. C’était tellement supérieur à tout ce que j’avais eu comme instrument qu'il m’a fallu littéralement réapprendre les gestes. Parce que ça répond tellement bien, c'était tellement sensible comme instrument par rapport à tout ce que je connaissais, que je devais reconsidérer tous les réflexes et toutes les façons que j'avais d'attaquer l'instrument. Là, j'ai fait énormément de progrès. Puis après, j'ai eu d'autres PRS dont une Hollowbody I que j'ai toujours, et je me suis un peu diversifié avec une Strat et une Tele Custom Shop. Et dernièrement je joue sur une PRS 594, une Collings électrique et une acoustique, une Martin OM28, et une vieille Gibson Archtop. Donc, il me semble que je suis bien équipé (rires).
> Est-ce que tu joues aussi d'autres instruments ?
Je travaille de temps en temps la basse pour voir un peu ce qui se passe ailleurs que dans le registre de la guitare, pour mieux comprendre. Je joue donc des grooves sur quelques mesures. Par exemple, j'adore "Papa Was a Rolling Stone" des Temptations. Ce groove de basse est iconique pour moi. À un moment donné, personne ne joue pendant deux mesures sauf le charley de la batterie, et ça tient le coup magistralement surtout si tu considères qu’il n’y a qu’un seul accord pour tout le morceau, les musiciens de la Motown savaient manier le groove.
Je joue aussi un peu de lapsteel, j'ai un vieux Fender Champion de 56 avec le Tweed case. Et il y a deux ans, je me suis aussi mis à la batterie pour approfondir un peu ma sensibilité au tempo, à la pulsation, et travailler quelques mesures de groove, toujours ce fameux groove... Je n'essaye pas de mystifier le groove, mais j'essaie un peu d'aller à sa rencontre, de l'apprivoiser.
> Et la guitare acoustique ?
J'en joue aussi, bien sûr, et je m'aperçois que je suis en train de jouer de plus en plus aux doigts dessus. Je me suis mis à travailler comme ça parce que j'ai récemment lu un bouquin d'un mec qui s'appelle Joe Gore. C'est un ancien rédacteur en chef de Guitar Player qui a joué avec Tom Waits entre autres. Il avait une rubrique dans Guitar Player, et l'une de ces rubriques disait "tu joues pouce, index, pouce, index, une gamme comme ça". Avec ça, tu changes le son, tu changes l'attaque, tu changes beaucoup de choses. Donc là, je me retrouve avec une nouvelle technique et je suis très hésitant et plein d’imperfections. Puis quand j'enseigne, parfois, je joue avec cette technique pour voir un peu comment ça se passe, comment je gère le son, que se soit sur électrique ou sur acoustique. Après, je ne suis pas un fingerpicker, je connais deux ou trois trucs, mais ce n'est pas un de mes points forts.
> Quels sont tes styles de musique préférés, et comment tes préférences ont-elles évolué avec le temps ?
J'ai commencé par le rock parce qu'à l'époque, j'avais besoin de quelque chose de brutal. À la fin de mon adolescence ça ne se discutait pas. Il fallait qu'il y ait des guitares, que ça envoie. En m'intéressant à ce genre de musique, je me suis aperçu qu'il y avait des trucs dans le rock qui étaient écrits par des gens que je ne connaissais pas, comme Muddy Waters et Robert Johnson. Je m'intéresse aussi au blues, et aussi au blues moderne comme Larry Carlton, Robben Ford, des gens comme ça. De là à Scofield et Frisell, il n'y a qu'un pas à faire. Donc j'écoute aussi bien du blues ultra-basique, complètement "rural", pour le dire ainsi, que du blues à l'harmonie un peu plus sophistiquée comme Frisell ou Scofield, qui ont des approches et une lecture beaucoup plus moderne du blues.
> Tu te nourris d'autres musiques ou tu restes dans le blues ?
Je ne suis pas contre le fait d'écouter des cantates de Bach par exemple, le contrepoint qu'il utilise est magistralement illustré, c'est du cinq étoiles. Il y a aussi des choses que j'admire profondément en Amérique du Sud, la samba, la bossa nova, par exemple. Ça ou la musique du Nord-Est brésilien, je trouve que la manière de jouer de ces gens revient à quelque chose de semblable au blues du Mississippi. L'éducation des gens, les instruments qu'ils utilisent ne sont pas les meilleurs, mais ils font une des meilleures musiques qui puissent être.
Je peux aussi aller écouter l'OSR qui va m'envoyer un truc génial du répertoire classique. Mais c'est un répertoire que je ne connais pas vraiment. Si je vais à un concert de musique classique, c'est plutôt les émotions et les sentiments que je vais avoir en écoutant cette musique qui vont primer sur le compositeur ou sur d'autres considérations. C'est impressionnant d'écouter un orchestre de 80 musiciens, un tel ensemble dégage une puissance spéciale. J'entendais le Bolero de Ravel l'autre jour, et me suis rappelé que c'est un ostinato de caisse claires de deux mesures qui dure 20 minutes. Tout ce qui va avec, toute cette immense progression avec la modulation à la toute fin, c'est de l'ordre du génie. Ce n'est pas cette musique qui me transporte le plus, mais elle m’emmène dans des recoins dont j’ignore tout et je découvre des choses splendides.
> Quelles sont tes guitares préférées ?
Il me semble que la guitare électrique que j'ai et qui sonne le mieux – bien que ce soit complètement personnel – c'est ma Strat Custom Shop 62 Candy Apple Red. J'ai joué des dizaines d'heures de concert avec elle. Elle offre une réponse immédiate, une ergonomie incomparable, un punch énorme, un équilibre parfait entre les micros, tout est vraiment super. C'est déjà tellement bien fabriqué : toutes les vis sont accessibles, tout est réglable facilement, et avec peu de patience et d'outillage, tu règles ta guitare à la perfection. C'est un coup de génie incroyable la Strat ! Et puis j'affectionne particulièrement ma PRS 594. Ensuite en acoustique, j'ai une Collings qui est un modèle basé sur une vieille Gibson, et c'est une véritable cathédrale.
Dès le début des années 50 il y a deux personnes qui ont forgé le son du rock, ce sont Léo Fender et Ted McCarty. On les oublie tout le temps, ces deux personnages, mais ils sont hyper importants et on n'en parle jamais ailleurs qu'entre spécialistes. Le grand public ne sait pas qui ils sont, mais ils ont activement participé au son de la musique actuelle. C’est grâce à eux je pense que nous avons les instruments d’aujourd’hui.
> Dans le domaine de l'électrique, les amplis et les effets sont très importants. Quel est ton set up préféré ?
J'ai toujours préféré les amplis Fender parce que j'y ai trouvé mon compte. J'ai essayé les autres amplis, mais j'ai trouvé qu'avec Fender, j'avais le son que je voulais. Sur mon pedalboard, il y a les bases comme la wah, overdrive, fuzz, delay et reverb, avec un petit compresseur à l'entrée, et c'est un peu tout. Avec ça, je fais tout ce dont j'ai besoin. Il m'est arrivé d'acheter un effet exprès pour un projet et de le revendre quand j'avais fini d'utiliser. La Whammy de Digitech, par exemple. J'en ai eu une, puis je me suis rendu compte que c'était un peu trop pour moi car je n'ai pas besoin d'avoir un effet qui fait 50 trucs. Si je veux une fuzz, je veux une fuzz, pas une fuzz qui fait ceci et cela, etc. Une fuzz, point. Donc ça reste assez simple.
> Tu joues pas à l'ancienne, directement dans l'ampli poussé à fond ?
Ça m'est arrivé. Quand je suis dans les Big Band, je rentre directement dans l'ampli comme ça. Puis après, je règle sur la guitare ce dont j'ai besoin. De cette manière tu as un son direct et tu dois vraiment gérer le son avec tes doigts, toutes les imperfections s’entendent bien entendu, et tu ne peux pas tricher avec des effets en amont.
> Qu'est ce qui est important pour toi dans une guitare électrique ?
La fabrication, la lutherie, la conception, le choix des bois, les micros… C'est pour ça que je me suis dirigé vers des guitares assez haut de gamme, parce que même si je peux très bien travailler avec des guitares d'entrée de gamme, j'arrive très vite assez aux limites de l’instrument et je me retrouve à me demander "où est le jus là-dedans ?" Là, par exemple, j'ai une Strat mexicaine qui est très bien. J'ai joué avec sur scène, elle est super, mais il me manque le dernier petit quelque chose. C'est une bonne guitare, mais qu'est-ce que je fais si je veux plus ? Et ma Custom Shop est la réponse.
> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?
Le service excellent, qui est quelque chose d'extrêmement important aujourd'hui. L'équipe est à l'écoute, et puis il y a toujours une solution. Même si ça prend du temps, il y a une solution. L'atelier de lutherie est très compétent, je peux confier mes instruments sans me poser de questions. Emeric connaît vraiment très bien la question et son travail est irréprochable.
Plus personnellement, il faut que je fasse attention. A chaque fois que je rentre dans le magasin, j'ai envie de repartir avec deux ou trois guitares, ou des effets. Je vois que vous avez agrandi, il y a une vitrine d'effets, et je me suis justement dit "non, je ne regarde pas trop par-là !" Il y a toujours une nouvelle reverb, une disto, ou un autre truc dont je n'ai pas besoin, mais on ne sait jamais (rires).
> Peux-tu également nous dire quelques mots sur les enjeux principaux liés à tes activités d'enseignant ?
Dans mes cours, je m'adapte complètement aux élèves, et ce sont eux qui décident à quelle vitesse ils progressent. Si on a le temps de faire cinq morceaux en un an, on en fait cinq, et si on a le temps d'en faire huit, on en fait huit. Ça dépendra de leur ambition personnelle et de leur disponibilité, parce qu'évidemment, on n'a pas toujours la possibilité de travailler autant qu'on le voudrait. La seule condition que je pose, c'est que ça doit avancer.
Les élèves qu'il faut pousser se rendent compte d'eux-mêmes qu'ils n'en font pas assez. Là, il y a deux options : ou bien ils se décident et arrivent à se donner plus de possibilités, ou bien ils arrêtent. Ils se rendent compte qu'il n'y a qu’eux qui peuvent faire les heures de travail qu'il faut à la maison pour progresser. C'est peut-être la principale différence entre mes cours et ceux d'une école, où là, il y a des échéances : l'audition, un concours, l'examen de fin d'année... Quelquefois, j'ai des élèves qui ont des échéances comme des concerts, par exemple, parce qu'ils sont au collège ou au Bus Magique et participent à un atelier. Donc là, on prépare en amont les quelques morceaux qu'ils joueront, et on avance comme ça.
> Comment l'enseignement traditionnel a-t-il changé avec l'arrivée d'internet, des tutoriels faciles, de la MAO, et comment t'es-tu adapté ?
La MAO existait déjà avant que je donne des cours de guitare, et internet aussi. Il faut aussi faire attention avec la pseudo facilité des tutoriels sur internet. À ce propos, je remarque que j'ai parfois des élèves qui prennent contact avec moi en me disant qu'ils ont pris des cours sur internet ou qu'ils ont regardé des vidéos, mais qu'ils se rendent aussi bien compte que ce n'est pas si facile que ça, qu’ils ont des questions et qu’internet n’y répond pas, alors ils voudraient avoir un contact direct. Et pour moi c'est ok, je les accueille avec plaisir et ça me va près bien. Car bien qu'il y ait des choses extrêmement bonnes sur internet, des vidéos géniales, des leçons approfondies, mais comment tu sais si c'est bien ou pas quand tu es débutant ? Est-ce que tu comprends ce qui est dit si tu n'y connais rien ? Il y a des sujets auxquels je ne comprends rien, et si on me dit: "tiens, regarde, c'est génial", je ne vais pas pouvoir en faire grand-chose. Qu'est-ce qu'il y a qui est génial ? Je dois voir quoi ? Donc un débutant, ou quelqu'un de non expérimenté, ça ne sera peut-être pas sa tasse de thé de se poser tout seul devant son écran pour essayer d'imiter des trucs qu'il voit sur Youtube.
Une chose qui a changé dans mon enseignement, c'est que j'écris beaucoup de partitions pour les élèves avec des logiciels faits exprès pour ça. Ça te fait la tablature et tout, c'est hyper pratique. Mais tous mes repiquages, je les fais à l'oreille et à la main. Il n'y a rien de plus rapide pour moi que la gomme et le crayon sur le papier. C'est comme ça que je fonctionne.
> Comment assure toutes tes compositions ?
En général ça commence par une idée. Ça peut être une mélodie, ou une progression d'accords, et je cherche à la compléter, à l'enrichir. Si c'est une mélodie, les accords sous-jacents seront intéressants à chercher ; si c'est une progression, les mélodies peuvent être très variées. Parfois quand j’écoute un morceau il y a une petite phrase musicale qui attire mon attention, alors je prends ce petit bout puis j'essaie de le développer à ma manière pour finir par en faire complètement autre chose. Les musiques de films sont toujours très riches et dans lesquelles je trouve pas mal d'idées d'ailleurs. Puis après, j'essaie d'imaginer un type d'accompagnement, la basse. Et la dernière étape, c'est d'essayer en groupe, pour se rendre compte de ce que ça donne.
> Quel est le meilleur souvenir de ta carrière ?
J'ai joué un concert devant 1000 personnes un jour pour une société qui célébrait un anniversaire à Palexpo. C'était un gros concert, hyper bien organisé. Le son était génial, l'accueil très sympa. Tout était prêt et fonctionnait, le sound-check pour un orchestre de sept personnes a été fait en dix minutes. Puis il y avait à peu près 600 personnes qui dansaient pendant qu'on jouait, ça rajoute au plaisir d'être sur scène. Être entraîné par les gens qui sont là en train de danser, c'est un de mes meilleurs souvenir de scène.
> Quels sont les projets qui t'animent pour l'avenir ?
J'espère un retour sur scène avec une plus grande activité, parce que là, il y a un creux et ça me manque. Quand je dis "sur scène", je ne parle pas forcément de 1000 personnes. Un petit truc avec 50 personnes, c'est déjà bien. C'est même plus impressionnant et plus difficile à assurer. Le premier spectateur est à 1,5 m de toi, et c'est un bon challenge de jouer comme ça directement devant le public, encore plus lorsqu’il y a des amis parmi les spectateurs. Je pense qu'il y a vraiment une demande pour des petits concerts "intimistes", même si je remarque parfois une certaine réticence à payer à prix juste les musiciens professionnels. J'en ai déjà fait fait plusieurs des concerts dans cette configuration et ça me sort de ma zone de confort.
> Qu'est-ce que tu conseilles à des jeunes guitaristes qui débutent ?
Déjà, essayez d'avoir un instrument de bonne facture. Il ne faut pas jouer sur n'importe quoi, les instruments trop bon marché ça dessert l'apprentissage. Puis il faut bien vous entourer, c'est-à-dire trouver quelqu'un qui vous convienne et qui arrive à vous guider selon vos envies. Ça, c'est une question personnelle. Voilà, c'est tout. Il faut investir un tout petit peu dans le matériel pour bien commencer, puis assez vite pensez à jouer avec d'autres dans des orchestres. Même si on n'aime pas forcément le style, apprendre l'écoute et le jeu ensemble, c'est le conseil fondamental que je donne à mes élèves.
> Bonjour Christophe, tu es un guitariste professionnel et professeur de guitare, et ta carrière est impressionnante. Comment tout cela a-t-il débuté pour toi ?
Mes grands-parents étaient musiciens professionnels, et mon frère faisait du piano, même s'il n'était pas très bon. Le piano était dans ma chambre, donc j'ai dû assister aux engueulades entre ma mère et mon frère, ce qui ne m'a dans un premier temps pas donné envie de m'y mettre (rires). Et puis j'ai ensuite commencé à jouer de la musique vers 16 ans de mon plein gré. A partir de là, je me suis rendu assez vite compte que j'avais des dispositions pour la guitare. Je jouais avec un accordage que j'avais inventé, donc j'arrivais à faire des choses. Un jour, on m'a montré le vrai accordage et là, j'ai dû tout recommencer (rires)… J'ai donc pris des cours à la Migros, mais ça ne m'allait pas du tout. Ensuite, j'ai avancé de manière autodidacte, et j'ai pris quelques cours de guitare électrique avec Gabor Kristof, l'ancien directeur de l'ETM. J'ai fini par arrêter et finalement, j'ai appris par Philippe Dragonetti, avec qui je joue encore actuellement, qu'il y avait un prof super qui s'appelait Angelo Lazzari à l'Académie de musique.
Je le trouvais extraordinaire. Il aimait la musique et il se donnait à fond dedans. J'ai obtenu un certificat de fin d'études en trois ans en partant de pratiquement rien, car je ne savais pas lire la musique à l'époque. Ensuite, je suis allé au Conservatoire supérieur, dans la classe de Mme Sao Marcos. Elle ne voulait pas de moi au départ, mais comme j'étais très bosseur, elle ne voulait plus que moi à la fin (rires). Je suis arrivé avec un niveau de solfège pitoyable, ce qui fait que j'étais très en avance en guitare et très en retard en solfège. Comme on me disait que je ne pourrai jamais avoir un diplôme à cause de ça, j'ai rattrapé le solfège en travaillant comme un forcené, et j'ai eu mon diplôme. J'ai fait les deux années de perfectionnement, puis la "virtuosité" – c'est comme un master aujourd’hui, il me semble. Et là dessus, j'ai eu la chance de pouvoir prendre des cours avec André Segovia, icône mondiale de la guitare classique. J'ai donc fait 15 jours avec lui et d'autres pointures selectionnées, et l'année suivante j'ai gagné un concours international au Portugal. A partir de là, j'ai compris que c’était ma voie et j’ai commencé à enseigner dans les écoles de musique et dans le cadre de cours privés.
>Tu as aussi donné des cours à l'ETM en classe pré-pro pendant pas mal de temps. Comment ça s'est fait ?
Au départ, Gabor n'était pas très chaud, parce que j'étais quand même le guitariste classique qui allait enseigner dans une école de rock, donc il voulait qu'on se voie une fois par semaine pour me superviser. Mais comme j'ai toujours joué de la guitare électrique, ça allait très bien. Je remplaçais Thomas Bouvier, un vrai bassiste soliste, pas vraiment accompagnateur, qui s'était cassé la jambe au ski. Donc je prenais en charge les cours dont il avait la responsabilité : le solfège, le développement de l'écoute et l'improvisation. Quand j'ai annoncé aux élèves que j'allais devoir repartir parce que Thomas revenait, ils m'ont dit "s'il revient, on part." Au brief pro de l'ETM, où on parlait des problèmes, j'ai évoqué la situation en fin de réunion et Gabor m'a dit d'aller voir Thomas, ce que j'ai fait. Quand je lui ai dit que les élèves voulaient continuer avec moi, il m'a tout de suite répondu que ça l'arrangeait, qu'il en avait un peu marre de l'ETM, et j'ai donc repris ses classes, et travaillé … 20 ans à l'ETM.
À côté de ça, je donnais toujours des cours de guitare classique. Ensuite, j'ai été suppléant d'Yves Roth au Conservatoire place Neuve pendant une année. Pendant des années, j'ai postulé au Conservatoire populaire pour un poste de prof, mais je n'étais jamais pris. Et puis à 45 ans, j'avais finalement l'expérience qu'ils recherchaient. Pendant 5 ans, j'ai travaillé à l'ETM en parallèle, mais j'ai arrêté parce que j'étais plus intéressé par l’enseignement de la la guitare classique et qu'avec l'ETM ça faisait trop.
> En tant que guitariste classique, tu as aussi joué avec de grands orchestres ?
Mon premier engagement avec l'Orchestre de Suisse Romande est arrivé à travers un guitariste qui s'appelait Danny Ruchat, et qui jouait de l'électrique avec l'OSR pour des répertoires de type Gershwin et autres. Il est venu me voir un jour et m'a dit qu'il y a une partition de Pierre Boulez dont il est incapable de jouer même la première note, et m'a demandé si je voulais la faire. J'ai accepté le défi, j'ai travaillé comme un malade dessus, et tiens-toi bien : le concert a été annulé (rires). Par contre, ça m'a mis le pied à l'étrier et trois semaines après, on m'a rappelé pour une autre œuvre contemporaine, mais abordable cette fois. Il fallait, entre-autre, frotter des cailloux sur le chevalet de sa guitare, puis d'autres choses de cet acabit... C'est comme ça que je suis entré à l'OSR et ça fait donc maintenant 35 ans que je joue avec l'OSR et le Grand Théâtre de Genève. J'ai joué dans tous les opéras depuis, "Le Barbier de Séville", les opéras de Verdi, Kurt Weil, Berlioz, etc. J'en ai fait douze ou quatorze différents, certains plusieurs fois. Et j'ai aussi fait tous les trucs bizarres avec l'Orchestre de Suisse Romande en guitare électrique, guitare basse et guitare classique, parce que je prenais tout. Ça s'est calmé maintenant, parce que j'ai trop de bougies sur mon gâteau d'anniversaire, je pense (rires).
Quand Danny est décédé, plein de jobs qu'il assurait sont arrivés chez moi. Assez rapidement, l'Orchestre de Chambre de Genève m'a demandé de travailler avec eux pour y jouer du banjo et de la guitare, car c'était ce qu'il y faisait. J'ai aussi repris sa place dans le Della Maestra Sextet, qui faisait du jazz-rock de haut niveau, et puis quelques autres projets. Avec l'OCG, je joue entre autres sur des films de Charlie Chaplin où l'orchestre exécute en live la musique du film diffusé. C'est assez génial : le film passe à l'écran, et on joue sans une minute de pause. Le chef suit le film, et on suit le chef qui s'adapte à l'image en temps réel, donc c'est très pointu.
> Tu as eu des groupes ?
Oui, bien sûr. En classique, j'ai fait à peu près tout ce qu'on peut faire en musique de chambre : duo, trio, avec clavecin, guitare, chant, flûte... Toutes les configurations. A côté de ça, j'avais des groupes de blues/rock parce que j'adore ça.
> C'est ton côté Clapton !
Tout à fait (rires). Clapton, Stevie Ray Vaughan, Jeff Beck, c'était des héros pour moi... J'ai joué dans des groupes de blues comme le Buster Brown Blues Band, des choses comme ça. Après, j'eu un groupe de jazz-rock qui s'appelait Améthyste, avec qui on a eu un succès fou à Genève, et dont le nom était même connu jusqu'en Russie. On était à fond dans Larry Carlton, Robben Ford. C'était un groupe qui marchait, mais on ne s'en rendait pas vraiment compte.
> Quelle est ton actualité musicale en ce moment ?
En ce moment j'ai trois casquettes : enseignant, imprésario, et musicien. C'est sympa, mais prenant.
Maintenant que je suis un heureux retraité du Conservatoire, je continue à donner quelques cours privés à des gens très passionnés que je ne sélectionne pas vraiment, parce que s'ils viennent jusqu'à chez moi à la campagne, c'est qu'ils ont vraiment envie.
Je m'implique aussi beaucoup dans mon duo avec Philippe Dragonetti, qui a le même parcours classique et électrique que moi, ce qui fait qu'on s'entend très bien ensemble. Je fais l'imprésario, parce que les concerts ne tombent pas tout seuls à Genève – ni nulle part d'ailleurs. J'ai réussi à nous faire jouer dans un festival de guitare dans le Vaucluse l'année dernière, et j'ai trouvé un festival dans le Cantal pour l'été prochain. J'essaye de sortir un peu de Genève, parce que j'ai toujours eu l'impression que même si c'est génial pour jouer, on y est un peu comme un hamster dans sa roue, on tourne vite et on reste sur place. Quand tu joues à Nyon, c'est déjà un événement (rires).
> Tu as également enseigné au Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre (CPMDT). Peux-tu nous dire quelques mots sur cette institution ?
Le CPMDT, ça a toujours été l'école de l'ouverture par rapport au Conservatoire – qui était beaucoup plus axé sur les études classiques pures, même s'il se diversifie un peu maintenant. C'est la première école qui a eu une classe d'accordéon, et c'est aussi la première qui s'est associée avec l'AMR pour faire les liens entre le jazz et la musique classique. Le CPMDT a aussi des centres d'enseignement partout, dans toutes les communes, et on avait toujours carte blanche : si on avait une idée, on pouvait facilement la réaliser. C'est une institution géniale, parce que c'est une liberté totale. Et puis, au niveau des enseignants, on a petit à petit eu des gens de très haut niveau.
Quant à moi, je suis entré au CPMDT à 45 ans, car ils cherchaient des gens qui avaient déjà des compétences et du métier. Il y avait un directeur extraordinaire, Roland Vuataz, qui était ouvert à tout. Mon double parcours de guitariste électrique et classique l'intéressait beaucoup, et c'est pour ça que j'ai été engagé. J'y ai enseigné la guitare classique aux centres Thônex et à Cologny en plus d’un atelier pour guitaristes électriques au siège, et puis un jour on m'a demandé de devenir responsable de centre. Donc je suis devenu responsable de celui de Cologny, et du coup, on m'a proposé d'être aussi responsable à Thônex, ce qui impliquait d'être responsable en plus à Chêne-Bourg et à Anières. J'avais donc quatre centres sous ma responsabilité pour lesquels je devais organiser les auditions, réunir les profs, recenser le matériel, faire des programmes, etc. J'ai beaucoup aimé faire ça, même si c'était hyper prenant. Les gens étaient à l’écoute : les collègues, la direction, les élèves... J'en ai de vraiment très bons souvenirs.
> Comment t'es-tu mis à la guitare ? Tu te souviens de ta première guitare ?
J'ai commencé par passion, parce que j'avais entendu Jimmy Page, Eric Clapton, et Jeff Beck à la télévision ou sur des disques, et que j'ai eu envie de faire pareil. Un copain avait acheté une guitare à 100 balles chez un ami à lui. C'était une pelle injouable, mais qui ressemblait à la guitare d'Elvis Presley. Mon pote était incapable d'en tirer un son et il me l'a prêtée. Moi, avec mon accordage bizarre qui formait un accord – le premier open-tuning que j'ai trouvé par hasard, en fait – j'ai réussi à la jouer, et il me l'a prêtée pendant six mois. Ensuite, je suis allé chez Saxo Musique, je ne sais pas si tu te souviens de ce magasin (rires)…
> Si, bien sûr...
J'ai acheté une guitare finlandaise avec des cordes en nylon, une Landola, qui ne coûtait pas grand chose non plus. J'ai participé à un camp de jeunesse protestante en Corse où on avait des profs qui nous donnaient des cours, et comme j'étais dans le groupe de ceux qui faisaient du folk, j'ai enlevé les cordes en nylon pour les remplacer par des cordes métalliques, ce qui a bousillé l’instrument. Plus tard, je suis allé chez Servette-Music, où j'ai acheté une Espinoza à 400 ou 500 francs. Puis après, je suis arrivé chez Mme Sao Marcos qui m'a obligé à acheter une Vogt ,une guitare allemande, de très haut niveau.
> Est ce que tu joues d'autres instruments que la guitare ?
J'ai fait quatre ans de piano classique en tant que deuxième instrument durant mes études. Je ne suis pas très bon, mais j'arrive à bien jouer des petits standards de jazz ou à accompagner des chansons, même si c'est de façon très basique. Je joue aussi pas mal de guitare basse et du banjo, mais là je triche parce que c'est un banjo à six cordes. C'est trop tard pour moi pour apprendre le banjo style New Orleans à quatre cordes, et je n'ai pas eu le courage de m'attaquer au banjo cinq cordes style country. J'ai aussi essayé de jouer du luth, mais j'avais déjà assez de boulot comme ça avec la guitare classique et la guitare électrique.
> Qu'est-ce que t'apporte le fait de jouer d'autres instruments ?
Comme je fais aussi de la composition, la basse m'apporte beaucoup. C'est un instrument magnifique si tu arrives à le sortir rapidement de son côté "pain-fromage" des années 60. Construire une ligne de basse, c'est très intéressant : pas juste poser la tonique et la quinte, mais savoir suivre les mouvements harmoniques, le rythme. Comme j'ai fait de la variété, je faisais souvent la partie de basse moi-même. D'où le gag : "Ne prends pas un bassiste ! Il va mettre longtemps à enregistrer, il va boire toutes tes bières, puis filer avec ta copine" (rires). Mais les choses ont bien changé, il y a maintenant beaucoup de bassistes extraordinaires.
> Quels sont tes styles de musique préférées et tes influences majeures en guitare classique ?
J'ai toujours adoré la musique baroque, parce que c'est une musique qui est hyper reposante et qu'elle a un côté majestueux. C'est très difficile à jouer à la guitare, par contre. Et j'aime la musique des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles : MauroGiuliani, Fernando Sor, toutes ces choses très virtuoses. Et bien sûr les compositeurs sud-américains comme Astor Piazzolla ou Pujol. J'aime aussi beaucoup les compositions de Bach et de Vivaldi, que je trouve magnifiquement bien pensées. Je trouve que c'est de la musique vivante, somptueuse et gaie.
Durant ma carrière, j'ai découvert beaucoup d'autres approches : plein de compositeurs de musique actuelles pour guitare classique font des choses magnifiques. Je suis aussi évidemment très fan de tout ce qui est espagnol, comme Albeniz dont on joue Asturias, qui sont des pièces composées au piano mais avec l’idée de la guitare, et qui sonnent donc souvent mieux à la guitare. J'adore aussi l'harmonie de Gershwin et de Leonard Bernstein, et j'essaie de mélanger ces influences.
Par contre, j'écoute rarement des albums de guitare classique, parce que j'en fais déjà tellement... Je préfère écouter des ensembles classiques importants, parce que c'est plus intéressant de voir comment un bon orchestre symphonique ou un quartet joue. Ça m'inspire plus que d'écouter le guitariste classique qui a fait son album solo.
> Quel modèle de guitare joues tu aujourd'hui ?
En ce qui concerne les bonnes guitares, j'ai commencé avec les Vogt. J'en ai acheté une deuxième un jour, mais elle ne sonnait pas bien. Elle avait une table en épicéa et un son dur. Elle était très difficile à jouer. Je l'ai revendue, et Yves Imer de Servette-Music m'a un jour proposé une Corbellari, qui était pour moi la révélation du siècle : une guitare onctueuse qui avait un son extraordinaire, des harmoniques qui fusent de partout, et une finition absolument parfaite. Elle est équipée d'une table en cèdre, avec un dos et des éclisses en palissandre de Rio. J'ai cette guitare depuis 1985, et je la joue toujours. J'ai d'ailleurs enregistré tous mes albums de duo avec Maya Obradovic/Le Roux avec la Corbellari.
Il y a 11 ans, j'ai aussi acheté une guitare australienne de Jim Redgate. Il fallait passer par un Américain, un vendeur de guitare très haut de gamme à Los Angeles, pour les obtenir. Cette guitare était extrêmement chère : 12'000 Francs quand même ! Mais elle avait une force démentielle grâce au barrage Lattice, en croisillon. J'ai trouvé ça extraordinaire au début, puis après je me suis lassé, parce que c'était très fort, très puissant, mais ça n'avait pas la poésie, la douceur, ni les aigus de la Corbellari. Par contre, pour jouer avec un orchestre, accompagner un flûtiste ou un instrument comme le violon qui sonne fort, c'était top. J'avais de la puissance en réserve. J'ai adoré cette guitare, mais je l'ai revendue quand j'ai cessé de jouer en duo avec des flûtistes ou des violonistes.
Avec les technologies d'amplification actuelles, je pense qu'il vaut même mieux avoir une guitare avec un son fabuleux, comme une Corbellari, et qui est quand même assez puissante, et la reprendre par un ampli haute-fidélité, avec un bon micro devant, comme ceux qu'on utilise en studio, un petit Schertler calé sous le siège pour ne pas être envahi par le son, et peut-être un retour si on est dans un orchestre symphonique pour que les autres musiciens puissent entendre, ça fait drôlement bien l'affaire. Et ça sera bien mieux que d'avoir une guitare comme une Jim Redgate qui sonne fort, mais qui a ce côté très claquant qui manque de chaleur.
> Tu as vu nos instruments en magasin, lequel a retenu ton attention et pourquoi ?
Les guitares Hanika sont celles qui me parlent le plus, parce que cette marque a une gamme absolument géniale. Je les recommande à plein d'élèves quand ils sont prêts et qu'ils arrivent à un bon niveau, parce qu'il leur faut un bon instrument, mais sans aller jusqu'à la guitare de concert. J'ai essayé toute la gamme qui était au-dessus et le reste, et elles sont excellentes. Dans les budgets de 1'000 à 3'500 Francs, ils ont des guitares extraordinaires. Et puis il y a les Gropp, dont vous avez des modèles en occasion, qui sont aussi de superbes guitares.
> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?
J'ai connu Otto, le papa de René Hagmann, c'est dire que mon expérience avec Servette-Music remonte à loin ! Le magasin était encore à la rue Racine à l'époque... Je venais souvent, même si le choix en guitares n'était pas très vaste à l'époque. Et mon expérience est très bonne : j'ai acheté quasiment tous mes instruments ici. Quand je viens, je sais que je suis conseillé par des gens compétents qui aiment vraiment la musique. Sergio, à qui j’ai enseigné durant plusieurs années, est un passionné. Il s'y connaît, et il a un amour authentique de la musique et de la guitare. J'ai besoin de parler avec des gens qui connaissent la musique, qui aiment ça profondément. J'ai aussi besoin d'un magasin intimiste, sans le côté supermarché de la musique. Chez Servette-Music, même si vous avez beaucoup d'instruments, vous restez spécialisés dans la qualité.
Servette-Music a bien mérité ma fidélité, d'ailleurs, parce que vous proposez des relations de confiance et un super service après-vente. Yves m'avait prêté une Hopf Portentosa en 1986, qui était à l'époque l'instrument le plus haut de gamme qu'il avait en magasin. Je suis parti avec cette guitare en tournée en Colombie et à Porto Rico, sachant quand même que s'il arrivait quelque chose, j'avais une assurance ménage et que je remboursais tout. Et puis un jour, une mécanique avait lâché la veille d'un concert sur ma Corbellari, et Yves est venu depuis le Grand Saconnex au magasin pour démonter et changer la mécanique, puis me l'a apportée à Lully où j'habitais. C'est une qualité de service exceptionnelle, surtout de nos jours.
> Quel est ton meilleur souvenir musical ?
J'ai l'avantage d'avoir une grande expérience parce que j'ai passé toute ma vie en musique. Je suis professionnel depuis l'âge de 25 ans, j'en ai 67, donc ça commence à faire pas mal d'années. J'ai eu des expériences fabuleuses à beaucoup d'égards : j'ai joué à des enterrements, à des mariages, à des baptêmes et avec des groupes de bal... J'ai joué avec Morisod, j'ai joué avec des groupes de rock, avec des chanteurs anglais, avec l'OSR, l'OCG, l'Orchestre de Chambre de Lausanne, etc.
Mais le truc le plus génial que j'ai fait, à mon avis, c'est de jouer dans un club…naturiste. Ça fait rire tout le monde, mais c'est vrai ! Pendant deux saisons de suite, il y avait un club naturiste au sud de la Corse, à Porto Vecchio, où j'allais avec un flûtiste qui était complètement fan de naturisme. On jouait ensemble en duo, et il organisait des petites tournées. On faisait donc six dates en Valais, six dates en Corse, dont trois dates dans le club naturiste, et on y restait ensuite. On avait chacun un bungalow, qui était payé parce qu'on offrait le concert. Un jour, après être arrivés, je m'installe, je bosse mes morceaux pour le concert le lendemain, et on frappe à ma porte. Mon pote arrive, « à poil », avec son étui à flûte et sa femme, « à poil » elle aussi. Il me demande "tu t'es pas mis à ton aise ?" et je lui réponds "ça va, je suis bien en short". Et lui me réplique "tu sais que dès demain, à partir du moment où tu sors du bungalow, il faudra être nu, tu n'as pas le droit d'être habillé". Donc j'ai passé toute la semaine "à poil" (rires). Mais le concert, évidemment, c'était habillé, et c'était rigolo de voir ces gens très classes le soir, qui passaient leurs journées complètement nus le reste du temps.
> Comment l'enseignement de la guitare classique a-t-il évolué au cours des années ?
Avec Internet, beaucoup de gens lancent des sites ou des combines, et le problème, c'est que pour bien enseigner la guitare classique, il faut avoir un vrai contact physique. Il faut pouvoir prendre en main les doigts des élèves pour les replacer, parce que les explications basées sur des histoires de première case sur la cinquième corde, ça ne marche pas très bien, c'est compliqué. Alors qu'avec un geste, tu peux corriger la position de l'élève, et tu peux aussi lui donner du feedback, le corriger en vrai et lui concocter un vrai programme pédagogique adapté, ce que ne peut évidemment pas faire un mec qui a posté une vidéo sur Youtube. Donc je ne suis pas très enthousiasmé par cet aspect. Tu as maintenant sur Instagram des gens qui donnent des cours de tennis, qui vont te montrer comment tenir une raquette, etc. et tu as l'impression d'avoir tout compris quand tu vois le truc. Ensuite, quand tu vas sur le court, tu te prends 6-0 en dix minutes parce que tu n'as pas l'expérience. La guitare, c'est pareil.
Par contre, Internet a aussi permis de faire connaître des virtuoses du monde entier qu'on ne connaissait pas avant, simplement parce qu'on ne connaissait que les gens autour de chez soi, pour ainsi dire, et ça c'est super. L'enseignement a aussi changé parce que chaque génération a profité de la précédente, donc le niveau de la guitare classique est monté extrêmement haut. Je vois le niveau dans les HEM et celui des jeunes qui en sortent à 20-30 ans, qui gagnent des concours de partout. Si je compare le niveau que j'avais quand je suis rentré au Conservatoire supérieur, qui n'était pourtant pas petit, je dois admettre que la génération d’aujourd’hui est de plus en plus pointue.
Sachant que la première classe de guitare au Conservatoire à Genève est apparue dans les années 70, on a beaucoup évolué : les profs des générations qui ont suivi ont appris des précédentes. Du coup, le niveau est monté progressivement. Après, pour la question de savoir si l'enseignement en lui-même s'est amélioré, ça dépendra des profs. Tu peux être très virtuose mais n'avoir aucun sens de la pédagogie, et à l'inverse, tu peux être un guitariste moyen mais un grand pédagogue. Mais au fond, l'enseignement est toujours basé sur le fait de lire la musique, d'évoluer, de faire sonner son instrument, etc. On est aussi beaucoup plus ouvert au niveau de la composition, parce qu'il y a désormais beaucoup de guitaristes qui composent pour la guitare, et qui savent donc mettre en avant les choses à apprendre sur cet instrument, alors qu'autrefois, on allait vers les compositeurs classiques ou des transcriptions, souvent mal fichues.
> Tu composes pas mal de musique, comment ça se passe pour toi ?
J'ai composé toute ma vie, et j'adore ça. Je compose plutôt au crayon et à la gomme avant d'écrire sur un programme comme Finale ou Cubase, et ça débouche sur des méthodes et des recueils, qui sont édités au Québec et en France , ce qui est top car j'aime faire aboutir les choses pour qu'elles prennent vie plutôt que de les ranger dans un coin. Une quinzaine de mes recueils édités reçoivent d’ailleurs de très bonnes critiques aux États-Unis et un peu partout. On y retrouve des pièces didactiques pour enfants, essentiellement, des pièces thématiques, comme les animaux et les pays en musique, et des pièces de concert pour duos, dont certaines sont sorties dans des magazines.
En arrivant dans le monde de la variété, j'ai aussi reçu pas mal de chanteurs et de chanteuses chez moi pour qui je faisais des compositions, arrangements, et maquettes, sur mon ordinateur avec une guitare et une voix. Ensuite, je les emmenais en studio et j'engageais des musiciens pour jouer une vraie orchestration. J'ai fait beaucoup d'arrangements comme ça pour des chanteurs de variété, dont ma femme Nicole, qui est une très bonne chanteuse amatrice.
> Quels sont les projets qui t'animent pour l'avenir ?
J'ai fait tellement de choses déjà, que je n'attends plus qu'un truc extraordinaire arrive. J'ai fait Constantin, joué son tube Switzerland Reggae en concert, des tournées avec Alain Morisod, des comédies musicales ; j'ai joué dans des groupes de hard-rock, de blues, de jazz-rock, de jazz... J'ai joué dans Swing Crooner, un groupe avec des très bons musiciens où on jouait du Frank Sinatra... J'ai fait de l'animation musicale... Je crois que j'ai fait à peu près tout ce qu'on pouvait faire.
Donc en ce moment, mon plus grand projet, est mon duo avec Philippe Dragonetti. Ça va faire dix ans qu'on joue ensemble et ça prend de plus en plus d'allure. On commence à trouver des contrats en dehors de Genève, le hamster sort de sa cage (rires). L'objectif, c'est donc de développer ce duo au maximum parce que je suis bien dedans. Je suis imprésario, compositeur, et musicien, et même si on est déjà très investis, on prend le temps de peaufiner et de toujours améliorer ce duo. J'aime bien avoir plus de temps pour jouer, sans subir le stress de donner six heures de cours le mercredi, puis de rentrer chez moi pour bosser encore deux heures parce que j'ai un concert le vendredi.
> Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui se mettent à la guitare classique ?
Je conseille trois choses essentielles : aller voir des concerts, trouver un prof vraiment compétent, et jouer avec des gens. Les concerts, ça permet d'avoir l'expérience du but de la musique qu'on joue, qui est de la partager avec les autres. Le prof – un vrai, en chair et en os – te fait vraiment ressentir ce qu'il faut faire, et te le montre en face à face. Et jouer avec les autres, c'est une des meilleures écoles, car c'est le terrain. Le réel, il n'y a que ça de vrai.
> Salut Alex, tu es batteur professionnel et un professeur de batterie très demandé à Music Arts Academy, ainsi qu’a l’APCJM. Quelle est ton actualité musicale en ce moment ?
Je fais pas mal de choses, je vais essayer de ne rien oublier... En ce moment, je joue beaucoup avec un groupe de reprise des années 80 qui s'appelle Back To the Eighties. Nous nous sommes récemment produits à Zürich ainsi qu’au carnaval de Sion. Avec 22 concerts l'année passée, nous espérons pouvoir en faire encore plus cette année : le 1er août, le nouvel an, des événements comme ça...
J'ai aussi un groupe de compositions de rock alternatif plutôt heavy qui s'appelle Sidmantra. Nous finirons un deuxième clip au printemps, et nous avons un EP en préparation.
J'ai aussi un autre projet appelé WavesStreamsHazards dans lequel je compose, et où le principe est d'interagir en concert avec les images produites par une vidéaste. Et puis je joue dans le groupe d'une amie chanteuse qui s'appelle The Wandering Travelers avec qui nous avons sorti un album l'année dernière. Enfin je joue dans un groupe de reprises, 90s cette fois, qui s'appelle Groove Lab, mais on communique plus sur Instagram que sur le site.
> Vous faites des trucs du genre Red Hot Chili Peppers, Nirvana ?
Avec Groove Lab oui, mais pas seulement. On joue du rock, mais aussi du funk, de la dance même, avec même des reprises de Britney Spears intégrée dans un medley.
Et à part ça je donne des cours à Music Arts Academy ainsi qu’à l’APCJM, une école associative à Meyrin, et je joue sur demande avec des groupes de reprises blues jazz, et des chanteurs et des chanteuses pour des concerts et des sessions studio.
> En effet, tu es bien occupé...
Oui, c'est pas mal. En tant que professeur, j'ai 35 élèves par semaine, plus l'animation d'ateliers, que j'aime beaucoup faire, surtout avec les ados, pour les encadrer, les aider à progresser et à mener un projet à terme au sein d'un groupe. C'est très intéressant. Puisque j'essaie de penser à tout, je joue aussi avec Jack Cinch & The Flying Sockets qui est un groupe de reprise décalées.
> Décalées, c'est à dire ?
Et bien par exemple, on reprend "Highway To Hell", mais on en fait une valse bavaroise. Le principe est de sortir les chansons de leur contexte en leur mettant un grain de folie. On a aussi fait "Creep" de Radiohead en cha-cha-cha (rires).
> Nous t'avons entendu jouer et tu as un talent incroyable. Comment s'est passée ta formation ?
J'ai commencé à l'âge de 8 ans avec le tambour aux Cadets de Genève, qui étaient d'ailleurs fournis en instruments par Servette-Music. Et j'ai également débuté la batterie là-bas grâce à Claude Meynent. Après un court passage au Conservatoire, j'ai pris des cours privés avec Thierry Hochstätter. Il m'a préparé au PIT de Los Angeles (Percussion Institute of Technology, équivalent du GIT – Guitar Institute of Technology, mais pour batteurs), où je suis allé entre 93 et 94 et dont j'ai terminé le cursus avec les honneurs – une mention "bien" – avec plus de 95% de réussite aux examens de fin d’année. J’ai eu la chance de côtoyer des professeurs incroyables là-bas, comme Joe Porcaro (NdR. père des frères Porcaro, qui ont fondé Toto).
> Tu t'es tout de suite mis à jouer professionnellement ensuite ?
Très rapidement, oui. Après mon retour de Los Angeles, j'ai accompagné plusieurs artistes de la scène locale. J'ai intégré des groupes comme Les Tontons Flingeurs, Easy, et j'ai joué avec des pianistes de jazz comme Al Blatter. J'ai fait de la musique africaine avec Maciré Sylla, de la drum & bass avec Freebase Corporation, du rock et du metal. Ma bio complète est sur mon site, www.alexbrun.com, mais en gros j’essaie d'être le plus polyvalent possible.
> Qu'est-ce qui t'a poussé à te mettre à la batterie, et – c'est toujours fun de demander – tu te souviens de ta première batterie ?
J'ai commencé par le tambour, mais la batterie est venue tout naturellement. Pour mes 11 ans, j'ai reçu une Tama Swingstar d'occasion, qui était un modèle en bois aggloméré. Quand j'étais ado, je me suis ensuite acheté une autre Tama, une Rockstar. Et de retour de Los Angeles, j'ai eu besoin d'un modèle plus professionnel, donc suite au vol d’une magnifique Sonor prêtée par un ami à Lyon, je me suis dirigé vers une Lauper, une batterie haut de gamme faite par un luthier suisse à Morat, dans un ancien garage à bateaux.
> Tu peux nous en dire plus sur ces instruments ?
J'ai un modèle de 8 plis d'érable américain, qu'il se fait livrer en fûts de 18 mètres, ce qui permet de choisir la taille qu'on veut, et il passe huit couches de verni à la main lui-même. Ce sont des batteries extraordinaires, hyper polyvalentes, avec un son très précis et un accordage parfait. Pour les cymbales, j'utilise les Sabian HHX Evolution Dave Weckl Signature, que j'ai achetées ici, chez Servette-Music.
> Oui il est génial ce kit, Stephan (Montinaro) l'aime beaucoup. Tu joues aussi d'autres instruments ?
Un petit peu de piano, quand je compose. Mais heureusement que les outils actuels me permettent de corriger la précision de mes doigts. Au piano, tu appuies sur une touche, et la note est juste, mais pour la précision rythmique, j'ai besoin d'aide.
J'ai aussi un SPD-30 de Roland qui me permet de commander des nappes sonores ou d'influer sur la vidéo qui est projetée en même temps que je joue avec WavesStreamsHazards. Autrement, j'utilise le pad, que je mets à gauche de mon Charleston pour faire des sons de claps ou de caisse claire électronique façon années 80.
> Quels sont tes styles de musique préférés, et comment tes goûts ont-ils évolués avec le temps ?
Mes premières amours musicales, c'est Led Zeppelin. Je pense que c'est même le groupe qui m'a donné envie de jouer de la musique sérieusement. À l'adolescence, les groupes de rock et de hard-rock – avant qu’on dise metal – comme Metallica, Iron Maiden, mais aussi Van Halen et les virtuoses de la guitare électrique, d’Hendrix à Steve Vai, m'ont beaucoup plu. J'ai eu une petite période New Wave aussi, et ensuite, aux États Unis, j'ai découvert le jazz et le jazz-rock et des batteurs légendaires : Weather Report, tous ces trucs... J'ai aussi beaucoup aimé les quatre grands groupes de grunge originaux : Soundgarden, Pearl Jam, Nirvana, et Alice in Chains.
Après, à l'heure actuelle, je peux écouter dans la même journée du Chopin, du Meshuggah et du Herbie Hancock, parce que finalement, j'aime tout ce qui est fait avec passion et pas juste dans un but commercial, donc il n'y a plus de frontières à mes goûts musicaux en termes de style. C'est plus une attitude. Mais d'une manière générale, mes influences sont quand même plutôt rock, au sens large.
> En ce qui concerne les instruments, tu joues sur différents modèles de batterie ?
Ma batterie préférée c'est la mienne, ma Lauper, mais comme je te l'ai dit, j'utilise aussi un multi-pad Roland SPD-30. J'aime aussi les Sonor haut de gamme et les DW. J'ai d'ailleurs une DW à l'école à Meyrin, achetée ici à Servette-Music. Ce sont de belles batteries, qui sonnent super bien et qui sont très agréables à jouer.
> Qu'est ce qui compte le plus pour toi dans une batterie ?
Ça dépend des styles. Mais l'essentiel pour le groove, c'est la grosse caisse, la caisse claire et le charleston. Je pense qu'on reconnaît un bon batteur à sa solidité rythmique, et ça, c'est la fondation. On peut créer un groove et développer la musicalité d'un rythme à travers un beat très simple. Après, on peut aussi développer des mélodies grâce à des toms bien accordés, ce qui est aussi très important, et je n'oublie pas le rôle crucial du kit de cymbales. La batterie et les cymbales sont évidemment complémentaires, mais encore une fois, le poids de chaque élément dépend du style à mon sens. Il y a une blague qui raconte qu'on doit travailler un instrument dix ans pour être vraiment bon. Mais avec l'expérience, je dirais qu'il faut plutôt dix ans par famille d'instruments : donc dix ans pour les cymbales, dix ans pour les toms, dix ans pour la caisse claire, et dix ans pour la grosse caisse.
> Donc après 40 ans, t'es au top ?
C'est ça (rires). Mais malheureusement, le corps ne suit plus, et c'est à ce moment qu'apparaissent les tendinites.
> Toi qui enseignes beaucoup, que penses-tu des batteries électroniques ?
Ça a beaucoup évolué. Les modèles haut de gamme comme la TD-50 sont vraiment bluffants, ce sont des batteries très impressionnantes. On peut même bloquer le son de la caisse claire en posant la main dessus, étouffer les cymbales, et gérer les rebonds avec les textures de meshhead. C'est vraiment fantastique. Les banques de sons ont aussi été beaucoup améliorées, puisqu'avec Superior Drummer 3, par exemple, on a accès à plus de 150Gb de sons de batterie enregistrés avec une qualité audio indiscernable d'un son live. Les batteries électroniques ne sont plus des modulateurs de fréquence, mais vraiment des purs samples. En plus, pour Superior Drummer 3, ils ont été enregistrés aux Galaxy Studio de Bruxelles par un ingénieur du son incroyable qui s'appelle George Massenburg. Donc c'est du top niveau.
Pour apprendre à jouer, même si une batterie électronique n'offre pas les mêmes sensations, le même toucher, car il y a plus de subtilité sur une batterie acoustique, c'est idéal. Pour un élève dans son appartement, il n'y a de toute façon pas le choix. Et à partir de 1'000-1'500 francs, on a quelque chose de très bien.
Au final, je conseillerais à tout le monde d'avoir les deux à partir de l'adolescence : une acoustique au local, et une électronique à la maison. Mais pour les petits, commencer sur une électronique suffit largement. En plus, une acoustique, il faut savoir l'accorder, et l'accordage d'une batterie, c'est toute une science.
Un autre avantage des batteries électroniques aujourd'hui, c'est qu'on peut les brancher directement en USB dans son ordinateur pour s'enregistrer. Et comme c'est en se réécoutant qu'on sait si on est sur le clic, ou au contraire avant ou après le clic, cette possibilité est un gros plus. Sans compter le playback, qui aide aussi beaucoup.
> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?
Longue : elle a commencé dès les Cadets de Genève quand j'étais petit. Je trouve aussi excellent qu'il y ait une section batterie désormais, c'est juste super. Je travaille aussi avec Stephan (Montinaro) à Music Arts Academy, qu'il dirige, donc j'ai la chance d'avoir une relation assez privilégiée. Et puis j'ai joué dans un projet avec Manu Hagmann – le fils de René, qui est un très bon bassiste et contrebassiste – pendant quelques temps. Sans oublier qu’à l’inauguration de la section batterie, j'ai gagné la tombola et je suis reparti avec la Tama Cocktail Jam mise en jeu… Un grand souvenir, et une batterie qui m’est très utile.
> Quels sont les meilleurs souvenirs ta carrière professionnelle ?
On dit toujours qu'on doit se donner autant qu'il y ait 30 ou 30'000 personnes dans la salle, mais j'avoue quand même que mes meilleurs souvenirs sont les très grosses scènes. J'ai eu la chance de faire une tournée asiatique avec un groupe de metal qui s'appelait Djizoes, ce qui est quand même marrant pour un groupe de ce genre. On a fait un immense concert à Taïwan devant plus de 100'000 personnes. J'ai même fait du rock chrétien pendant 12 ans avec le groupe P.U.S.H. qui était très bien dirigé par son leader, Fabrice. Avec ce groupe, on a joué devant plus de 12'000 jeunes chrétiens aux alentours de Paris. On a parcouru 200'000 kilomètres en camionnette mais aussi en train et en avion à travers toute l'Europe, surtout en France mais aussi dans les capitales européennes, Madrid, Bruxelles, jusqu'à Cracovie pour les Journées mondiales de la jeunesse. C'était intéressant et ça me changeait du rock standard ; même si je suis agnostique, personnellement, j'étais assez ouvert pour jouer ce répertoire. Le Montreux Jazz Café avec Freebase était un bon concert aussi.
> Comment ça se passe, la compo chez Alex Brun ?
Je travaille différemment selon les projets. Dans Sidmantra par exemple, c'est le chanteur/guitariste qui est leader du projet, et il s'intéresse beaucoup à la batterie. On travaille donc les batteries ensemble et là, ça peut aller jusqu'au choix des cymbales, c'est à dire qu'on va discuter de mettre la crash de 16" avant la 18". Donc tu t'imagines le niveau de granularité...
Il m'arrive également de composer des parties sur un clavier MIDI branché dans mon Mac avec Logic Pro, mais j’ai rarement composé un morceau entier pour un groupe. Je fais sinon aussi des arrangements pour mes ateliers. Et là, les compos sur lesquels je travaille, c'est plutôt pour mon spectacle avec WavesStreamsHazards. Je me suis mis récemment à composer des chansons pour les proposer à des chanteurs, chanteuses.
Je fais ça au clavier, avec des accords. Et puis bien sûr, je joue sur mes batteries pour composer mes parties, ou je les programme dans Supérieur Drummer 3.
En tant que batteur, le piano c'est plus facile pour composer, parce que c'est visuel et c'est un instrument rythmique. En plus, si c’est un piano midi, on peut le brancher directement dans un ordinateur. Une fois que j'ai chopé la groove, écrit les nappes, je peux composer une mélodie très simplement grâce aux outils actuels.
> Quels sont les projets qui t'animent pour l'avenir ? Qu'espères-tu réaliser ?
Là, le grand projet c'est de sortir un album avec Sidmantra et de tourner en Europe, et potentiellement aux États Unis. Je continue aussi à composer, et je dois me mettre à faire des drum cams, des vidéos, parce que on ne peut plus exister en tant que musicien sans bien communiquer sur Internet. Et comme pour avoir de la visibilité, il faut réaliser des vidéos, c'est ma résolution en 2023. On vient d'emménager dans un nouveau local avec Sidmantra dans lequel ce sera plus simple pour moi de le faire. Je remercie Jeff Bucher au passage pour le local.
Mais au fond, mon projet, c'est de continuer à jouer le plus longtemps possible, le mieux possible. Je me suis fait une déchirure du tendon au coude gauche pendant le Covid en forçant le boulot sur la vitesse, et j'ai réalisé que j'étais devenu un peu trop vieux pour le metal extrême.
Je transmets également du mieux que je peux l’amour de la musique à ma fille, qui chante à la classe opéra de Montpellier.
> Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui débutent ?
Je dirais que c'est important de jouer au clic et de s'enregistrer pour se réécouter. C'est ce qui permet d'apprendre correctement le rythme et de progresser le plus rapidement. Ensuite, je recommande d'aller le plus possible à des jam sessions pour se confronter au public et jouer ensemble avec d'autres musiciens. Et finalement, je conseille aussi d'étudier le plus de styles différents possible pour ensuite développer un jeu personnel, un vocabulaire propre.
Mais pour ça, il faut d'abord écouter ce qui a été fait par les maîtres comme Tony Williams, Steve Gadd, et d’autres légendes, comme plus récemment Tony Royster Jr. ou notre compatriote Jojo Maier. Malgré tout ce qui a été fait, il y a de la place pour développer un son propre : les nouvelles musiques sont nées de la fusion de choses qui existaient déjà, et je ne crois pas qu'on soit arrivés au bout des possibilités. On voit aujourd'hui des mecs qui se sont approprié des musiques électroniques tout en les interprétant avec des groupes. Finalement, il y aura toujours de la place pour inventer et continuer à faire avancer le Schmilblick.
> Bonjour Christian, tu es guitariste professionnel et professeur de guitare indépendant, quelle est ton actualité en ce moment ?
Avec la Fanfare du loup (ensemble instrumental multi-styles), nous avons un projet qui parle de l'importance des glaciers, de leurs réserves d’eau douce et des dangers qui résultent de leur disparition, tout cela avec des vidéos et bien sûr de la musique entièrement composée à cette occasion. Nous jouerons ce spectacle les 9 et 10 mars à la salle de l'Alhambra.
Sinon, je participe à un nouveau trio avec Romane Chantre à la batterie et Gregor Vidic au saxophone, deux éminents représentants de la jeune génération de l’AMR. Ici, on se donne le temps d’improviser, de découvrir de nouveaux paysages sonores. On explore quelque chose d'intéressant à jouer sans bassiste, les rôles de chacun.e.s sont différents, et on découvre d’autres manières de jouer. J’ai également commencé un duo avec le pianiste Jonathan Simon, un excellent improvisateur et fin connaisseur des standards de jazz, et là encore pas de pression, c'est que du partage de musique. Tu l’auras compris, je vise en ce moment des projets sans échéances contraignantes. Je me suis récemment rendu compte que je fais de la scène depuis 1975, et que je ne veux plus me retrouver avec un agenda surbooké avec le stress que ça comporte d'avoir plusieurs groupes et répertoires à gérer simultanément !
Actuellement ce qui me plaît, c’est de pouvoir travailler différemment : que ce soit une composition originale ou une reprise, j'essaye de l'aborder par différents angles. J'essaye un truc, et puis un autre, je passe d'une guitare à une autre, car pour moi le son a une influence sur ma façon d’appréhender la musique. Dans une vie de musicien professionnel où tu dois comme tout le monde payer les factures à la fin du mois, tu n'as pas forcément la possibilité de prendre ce temps. Les dates se suivent, les sessions s'enchaînent, les cours n'arrêtent pas. Donc, j'ai gardé cinq élèves par semaine, ce qui me permet de faire des jams, de me consacrer à jouer avec d'autres. Et puis même si je ne suis pas dans tous les projets qu'elle monte, la Fanfare du loup me prend quand même pas mal de temps, car c'est un collectif qui discute tout de façon horizontale, ce qui fait que nous avons beaucoup de débats – super intéressants à chaque fois, d'ailleurs.
> Comment t'es-tu mis à la guitare ?
Pour avoir une guitare, le deal avec mes parents était que je prenne des cours de guitare classique. Je suis allé au Conservatoire populaire où je suis tombé sur un super prof, Angelo Lazzari. Lui, il avait bien senti que j'étais titillé par autre chose au bout d'un moment, et puis, la deuxième année, alors qu'il n'avait pas forcément le droit de le faire, il a commencé à me montrer des trucs de blues et de jazz.
> Tu avais une guitare électrique ?
Non, c'était une guitare classique, mais avec ça au moins, je pouvais débuter et je déchiffrais des riffs de rock et de blues ainsi que du picking. Mais je me suis très vite mis à travailler tout seul, de façon intensive et systématique. Après l’école, je faisais deux ou trois heures de musique par jour, voire quatre !
À cette époque, j’ai compris qu’il fallait que je rencontre des gens qui partageaient la même passion que moi et j’ai repéré assez vite dans quel bistrot, dans quel local, ou dans quelle "maison de quartier " se rencontraient les musiciens. J'ai réussi à rentrer dans plusieurs gangs de musiciens, par exemple au centre de loisirs de Carouge où les musiciens du futur Beau Lac de Bâle répétaient et m’ont énormément aidé à me structurer. Il y avait également un autre gang qui occupait pas mal de d’abris anti-atomiques sous la gare de La Praille, et qui formait un des noyaux importants du rock à Genève. J'y allais tous les jours écouter les groupes, je regardais comment les musiciens – qui étaient déjà connus à l'époque (certains le sont encore) – bougeaient les doigts et faisaient sonner leur instrument. Beaucoup d'entre eux partaient à Londres en été avec des bus VW, et les remplissaient d'amplis Marshall, Vox, Orange, de guitares Fender et Gibson, tout un matos incroyable dont on manquait à Genève. C'était une période extraordinaire.
> Comment as-tu su que tu voulais faire du rock ?
Quand j'avais 11 ou 12 ans et que j'ai entendu les Beatles, j'ai immédiatement su que je voulais faire ça toute ma vie. C'était complètement irrationnel, et ça a mis longtemps à se réaliser... Après, j'ai bien sûr entendu Hendrix, Clapton, Beck, Page, et aussi Blackmore car son utilisation de certaines gammes particulières m’attirait. Comme j'écoutais de tout, et surtout du rock anglais, j'ai aussi suivi la vague expérimentale avec Soft Machine, Caravan ou les premiers Pink Floyd. J'écoutais A Saucerful of Secrets et The Piper at the Gate of Dawn, deux disques très expérimentaux et spontanés. Et puis les Stones ont été importants aussi pour moi. D'ailleurs quand on me demandait – comme ça se faisait à l'époque – si j'étais plutôt Beatles ou Stones, je répondais "les deux".
Oui, bien sûr. En classique, j'ai fait à peu près tout ce qu'on peut faire en musique de chambre : duo, trio, avec clavecin, guitare, chant, flûte... Toutes les configurations. A côté de ça, j'avais des groupes de blues/rock parce que j'adore ça.
> Comment s'est passée ta formation, du coup ?
Je suis autodidacte. Mais plein de gens m'ont donné des conseils, indiqué des voies de recherche, des choses à découvrir. On me disait "tu devrais checker ça ; il y a un bouquin qui parle de ces accords ou de ces modes ; tu devrais écouter tel ou tel musicien", etc. Comme j'étais curieux, je suis donc allé écouter Metheny, Scofield, Abercrombie...
> Donc tu as développé ta maîtrise tout seul, en écoutant de la musique ?
Oui du moins pendant un temps. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que ça ne suffisait pas. J’avais besoin d’un socle théorique. Chez Jeff Beck par exemple, il y a des transitions harmoniques dingues dans certains morceaux. J'ai réécouté Blow by Blow il y a peu, et cet album contient des progressions d'accords surprenantes, difficiles à enchaîner et encore plus à improviser. Et puis au fond, la théorie m'intéressait. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours évolué en rock et en blues en même temps que j'avançais dans mon jeu en jazz ou en musiques du monde, car chaque aspect nourrit tous les autres. En plus, dès que tu sors des traditions européennes, non seulement les harmonies, mais la perception même du tempo sont différentes. À ce point vue-là, l’environnement créatif et multiculturel de l’AMR m’a été extrêmement profitable.
> Tu t'es alors mis à la guitare électrique parce que tu voulais faire du rock ?
Exactement. J'écoutais aussi du folk, donc j'avais aussi une guitare acoustique, mais la guitare électrique m'attirait plus. Le son, la sensation enivrante quand on joue fort dans un ampli, de déplacer de l'air, c'est super bon ! Et j'aimais la guitare électrique parce qu'avec elle on pouvait jouer en groupe. Ça ne m'a jamais beaucoup intéressé de jouer seul, même si je le fais parfois sur demande. Mais j'aime jouer avec un batteur, avec un bassiste, avec un clavier, un chanteur, une chanteuse... N'importe qui, mais pour construire quelque chose ensemble, partager.
> Tu te rappelles de ta première guitare électrique ? Et des autres ?
Oui, ma première électrique était une imitation de Telecaster faite par la marque Aria. Ensuite, j'ai pu acheter une Strat Fiesta Red de 64 pour 600 Francs en 1974, parce que personne ne voulait de Strat Custom Color à l'époque. Les gens trouvaient ça moche. Et là, un gros crève-cœur de ma vie, c'est que le "luthier" d'un magasin de musique me l'a foutue en l'air en la refrettant, et comme je ne savais pas qu'on pouvait changer la touche ou le manche je l'ai revendue pour une bouchée de pain… Mais je me suis rattrapé par la suite et je suis ensuite allé à Londres pour acheter une Strat 68 qui sonnait incroyablement bien. Il faut savoir que les Strat et les Les Paul qu'on avait à Genève dans les années 70 n'étaient pas géniales. On se retrouvait avec des grattes mal faites, qui avaient des dégradés ignobles et qui pesaient un poids fou, ou dont le vernis derrière le manche collait, ce qui empêchait les doigts de glisser. Les guitaristes de ma génération se sont donc assez rapidement tournés vers les instruments vintage, même si on n'appelait pas encore ça comme ça à 'époque.
> Est-ce que tu joues d'autres instruments ?
Je joue des instruments reliés à la guitare, essentiellement de la basse, car c'est très important pour moi. Je joue aussi du lap-steel et du banjo 6 cordes, accordé comme une guitare.
> Quels sont tes styles de musique préférés, et comment tes goûts ont-il évolué avec le temps ?
Au tout début, c'était le rock anglais. Et puis très vite, j'ai compris que la plupart des gens que j'admirais avaient été influencés par Howlin' Wolf, Muddy Waters, John Lee Hooker, BB King. Après cette période de découverte du blues, j'ai eu la chance de rencontrer des musiciens de l'AMR et de faire des sessions d'impro avec eux. Dès ce moment, je me suis mis à écouter des musiques... Comment dire ? Des musiques rock qui incluaient un peu de jazz et des musiques jazz qui incluaient un peu de rock. Je n'aime pas le jazz-rock, par contre. J'aime bien le jazz et le rock, mais le jazz-rock, c'était un peu excessif pour moi. Tous ces trucs comme Mahavishnu Orchestra ou Return To Forever. En revanche j'aimais beaucoup Herbie Hancock, surtout son projet Head Hunters. C'était du super funk.
Et puis je me suis ouvert avec les rencontres. J'ai eu la chance d'être à Genève, où se trouvent des musiciens venus du monde entier. Je me suis ouvert aux musiques sud-américaines, à celles des Caraïbes, et aux musiques africaines – beaucoup, j'ai une grande passion pour ça – et puis à celles d'Afrique de l'Ouest. Avec le temps, je me suis ouvert de plus en plus aux musiques "noise", bruitistes, où l’on utilise sa guitare pour produire des sons non tempérés, soit avec des effets, soit en mettant des bouts de métal, de plastique, des chaînes, des clés – tout ce que tu veux – entre les cordes ou sur les micros. Fred Frith en est un représentant anglais hyper connu, et je l'ai encore vu il n'y a pas longtemps sur scène. C’est un guitariste ultra passionnant avec un parcours classique puis rock, et intéressé par toutes les expériences sonores. Sonic Youth m’a également influencé avec ces masses sonores impressionnantes, tout comme les Japonais de Merzbow.
> Dans tout ça, quelles sont tes influences majeures ?
En rock, il y a Hendrix et Beck. En jazz, c'est résolument Bill Frisell, qui est considéré comme un guitariste atypique dans le milieu, peut-être parce qu'il enregistre des albums à Nashville, ou avec des musiciens africains, ou encore avec John Zorn. Il est à la fois capable de jouer très "dans le jazz" et puis en même temps, de jouer vraiment "à l'extérieur du jazz" avec un son saturé énorme, et des effets incroyables. Il y en a un autre aussi, c'est Marc Ribot. La première fois que je l'ai entendu, c'était sur un album de Tom Waits qui s'appelle Rain Dogs. C'est un guitariste qui a fait du classique, du jazz, de tout ; un de ces New Yorkais qui a ouvert toutes les portes et fait sauter toutes les barrières.
> Quelles sont tes guitares électriques préférées ?
Tu veux dire si je devais partir avec une seule guitare sur une île déserte ? Ah mais ce serait le plus grand malheur ! C'est une sale question ça, en fait (rires). Une, je ne sais pas, mais si tu m'en donnes trois, je prendrais une semi-caisse, genre une ES-335, une Strat et une Tele. Entre la Strat et la Tele c'est très difficile de choisir... Je connais des gens qui sont uniquement Tele, d'autres qui sont uniquement Strat, mais moi je trouve les deux aussi inégalables l'une que l'autre. Si je devais vraiment n'en prendre qu'une qui fait tout absolument tout, par contre, ce serait probablement une Tele.
> Qu'est-ce qui est important pour toi dans une guitare électrique ?
Le plus important pour moi dans une guitare électrique, c'est sa signature sonore. Attention, elle peut aussi bien en avoir une précise si je veux quelque chose de typé, ou au contraire pas trop, ce qui me permet de manipuler le son. Si je veux une guitare qui ne soit typée ni Gibson, ni Fender, je choisis PRS. C'est pour ça que j'ai toujours eu des PRS depuis maintenant plus de trente ans. J'ai beaucoup changé de modèle jusqu'au jour où j'ai trouvé une 594 semi-hollow extraordinaire chez Servette-Music. Elle sonne d'une manière distincte par rapport aux ES-335 avec les humbuckers, et en mode single-coil, le son n'a pas la définition d'une Strat ni d'une Tele. C'est donc parfait, même si ça dépend toujours un peu des projets. J'ai la chance d'avoir d'avoir quelques très bonnes guitares, donc je peux changer suivant les besoins. Parce que finalement c'est toujours un peu la même histoire : le plus important c'est qu'elle s’intègre dans le contexte musical.
> Dans le domaine de l'électrique, les amplis et les effets sont très importants. Quel est ton set-up préféré et comment a-t-il évolué ?
Mon set-up évolue sans arrêt. J'achète, je revends, j'achète, je revends... Et puis, comment dire ? Au grand dam de certains de mes grands amis, j'accorde moins d'importance aux amplis maintenant, pour des raisons principalement liées à mon dos. Je me souviens qu'après avoir découvert le Rockman, un ami a dit "désormais je ne porterai plus rien". Et moi aussi, j'ai été obligé de trouver des amplis pour continuer à être musicien professionnel sans devoir soulever un machin de 25 ou 30 kilos. Ça n'avait plus de sens. Depuis une dizaine d'années, je privilégie des amplis à transistors ou en classe D avec un son neutre, que je colore avec plusieurs overdrives différentes, une touche de reverb, ou encore avec un delay.
C'est sûr, dans l'idéal, je préfère un ampli à lampes comme la plupart des guitaristes, et on sait tous pourquoi. J'en ai eu des tout grands : un Fender Tweed Deluxe TV Panel de 1951 – un des meilleurs amplis jamais produit à mon avis – et également un Vox AC30 de 63 ou 64 absolument fabuleux. À l'intérieur, il y avait marqué "Wings", le groupe de Paul Mc Cartney. Chez Servette-Music, j'ai aussi acheté un Bogner Duende parfait pour moi, avec des lampes 6V6, qui a un son magnifique. Donc en studio, je vais me faire plaisir avec un truc en point-to-point, ou vintage, etc. Et à l'AMR, ils ont d'excellents amplis. Mais pour le live, j'ai fini par utiliser des choses plus simples à transporter, tout simplement.
> Quelle est ton expérience avec Servette Musique ?
Désastreuse, hahaha. Je dépense de l'argent à chaque fois que j'y vais, car il y a trop de belles choses (rires).
Non, écoute, elle est agréable parce que je suis très bien conseillé, et en même temps on me laisse me faire mon opinion. Je suis quelqu'un de plutôt timide hors de la scène, et si je me sens poussé dans un sens ou un autre dans un magasin de musique, ça ne va pas trop pour moi. Il y a des gens qui aiment bien qu'on leur dise "tu verras avec ça, tu seras le king", mais moi, non. Je préfère qu'on me laisse regarder et écouter et qu'on m'aide ensuite, plutôt que d'être assailli par des recommandations, donc j'aime beaucoup la manière dont je suis accueilli chez Servette-Music.
Et puis, je dois dire aussi que depuis quelques années, il y a une ouverture sur des marques et des modèles très intéressants, et des changements géniaux. Avec le sous-sol, avoir un endroit où on peut vraiment envoyer des décibels pour tester un ampli, une pédale ou une guitare, est formidable. J'ai eu quelques élèves qui étaient réticents quand je leur conseillais d'aller à Servette-Music, et je leur ai dit : "retourne les voir, plein de choses ont changé", et ils ont effectivement redécouvert le magasin.
> Tu composes beaucoup, comment se passe le processus ?
Je travaille seul et à partir du moment où j'ai une idée qui accroche, mon premier réflexe est de l'enregistrer avec mon téléphone. C'est marrant, j'ai parlé avec beaucoup de musiciens d'un tas de pays, et tout le monde fait pareil. On a une idée, il ne faut surtout pas qu'elle disparaisse, donc on sort son tel et on y va. Ensuite, pour voir si l'idée est viable, je la mets en boucle sur une loop station BOSS RC10R, super simple d’utilisation et possédant une boîte à rythme, ce qui est utile car j’ajoute très rapidement une ligne de basse. A partir de là, ça prend du temps, parce que je suis hyper lent. Je suis souvent trop nihiliste et négatif sur mes idées, et je ne leur fais pas assez confiance, donc je les vire très souvent. Il faut qu'elle tienne vraiment la route pendant plusieurs jours quand je la travaille pour que je décide de donner suite à une idée.
L'étape d'après, c'est d'aller sur Sibelius, ou un autre programme d'écriture musicale, tout en faisant aussi très attention à ne pas fermer une composition en mettant trop d'accords, trop d'harmonies, surtout qu'avec mon background, je risque de mettre trop de progressions harmoniques, et je n'ai pas envie de me laisser diriger ou dicter la composition par ça. Donc j'imagine plutôt des lignes de basse ou des grooves. À partir de là, je chante ou fredonne des mélodies. J'évite absolument de jouer de la guitare parce que je retombe sinon toujours dans des schémas géométriques ou des schémas de gammes, des choses comme ça. La voix humaine, c'est ce qu'il y a de mieux, et les harmonicistes figurent d'ailleurs parmi mes influences – j'ai oublié de t'en parler. Quand j'écoute Little Walter avec Muddy Waters, j'entends un chanteur. C'est juste qu'il collait un Princeton ou un Deluxe à fond devant son micro d'harmonica, mais il avait un des plus beaux sons saturés qui existait. Voilà, c'est en gros comme ça que je compose.
> Qu'est-ce que tu voudrais réaliser encore dans ta carrière ?
J'ai 65 ans et j'ai commencé à faire des concerts à 18 ans. Ça fait donc 47 ans que je joue sur scène, et j'ai réalisé à peu près tout ce que j'ai envie de faire à ce niveau. C'est sûr que si je te dis "j'aimerais jouer à l'Olympia", ça n'irait pas avec le contexte de ma carrière. J'ai pourtant des copains qui ont joué à l'Olympia, mais ils étaient dans d'autres projets et c'est ceux-là qui étaient à l'affiche.
Mais évidemment, il reste des millions de choses encore. Quand tu joues de la musique peu formatée, c'est-à-dire où t'as un groupe, une ambiance, tu peux avoir un thème musical auquel ajouter une modulation par exemple. Mais si une grande partie du morceau est libre, c'est chaque fois Terra Incognita. Tu découvres le morceau en même temps que tu le joues, quelque part. Et ça, j'ai toujours aimé, donc pour moi ce n'est jamais fini. Sinon, ce que j'aimerais faire plus, c'est du blues, plutôt très électrique et roots. J'aime bien aussi le côté brut des compositions de Tom Waits, qui a toujours eu des guitaristes extraordinaires, et ça me plairait de monter un projet dans ce sens.
Au final, je me rends compte que j'ai toujours fait des choses avec des compagnies de danse, de théâtre, et j'ai bossé pour le cinéma et la vidéo. J'ai donc constamment évolué dans plein de mondes en même temps, peut-être par peur d'être catégorisé, englué dans un seul truc. Mais ça n'a pas servi beaucoup, puisque maintenant les gens pensent que je suis un guitariste de jazz (rires). Au fond c'est un peu bête les styles, les appellations, les prés-carrés. Je suis un guitariste qui aime la musique et les sons. Et puis surtout, j'aime le partage. Quel que soit le style, c'est le plus important. Plutôt que faire un beau solo, je préfère jouer un beau morceau, un truc où on se regarde après et où on peut se dire que là, vraiment, on a tous senti des frissons.
> Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui débute ?
Mon premier conseil à quelqu'un qui débute, ce serait d'essayer de trouver une personne bienveillante, que ce soit un cousin, un ami ou un prof de guitare, qui puisse accueillir cette envie de faire de la musique. Si la personne veut faire tout par elle-même, YouTube est incroyable. Il faut parfois fouiller un peu, parce que quand un jeune tape "Smells like teen spirit" dans Google, il va trouver 800 leçons… J'ai eu des élèves qui m'ont avoué qu'ils avaient un peu honte de dire qu'ils avaient commencé sur YouTube, mais moi je trouve ça génial et j'y vais souvent. Je peux vérifier ma façon je jouer un plan, capter rapidement la structure d'un riff... Il y a des choses à prendre partout, de toute façon. Mais l'idéal quand tu débutes, c'est une personne qui te coache un peu et te met le pied à l'étrier en te montrant un accord de mi, un accord de la mineur, et qui te donne l'étincelle pour avancer. Un copain qui te montre les trois premiers accords à jouer devant un feu de camp, ça peut faire démarrer une carrière.
>Bonjour Maxence, tu es batteur professionnel et professeur de batterie à l'ETM. Peux-tu nous parler de ton actualité ?
Le projet avec lequel je tourne le plus depuis une dizaine d'années maintenant est le trio d'un pianiste et très bon ami, Gauthier Toux. C’est un trio jazz piano/contrebasse/batterie, avec Simon Tailleu à la contrebasse. Nous avons sorti notre dernier album "The Biggest Steps" en février 2022. Nous allons faire une réédition en vinyle, que nous vernirons au New Morning à Paris le 8 février prochain avec Emile Parisien au saxophone comme invité, sur laquelle il y aura deux nouveaux morceaux, dont “Why Should We care” qui vient de paraître sur toutes les plateformes.
L'autre actualité, c'est un autre projet, un quartet qui s'appelle Kuma, avec qui nous faisons aussi du jazz, mais sous une forme plus électrique. Il y a Matthieu Llodra au Fender Rhodes, Arthur Donnot au saxophone, et Fabien Iannone à la basse. A la base, c'est le trio de Matthieu avec lequel on a été connu surtout aux "Jam sessions" du Cully Jazz Festival depuis dix ans maintenant. Arthur nous a rejoint en 2016, car il venait jammer avec nous et on a tout de suite kiffé son jeu, donc on lui a proposé d'intégrer le projet. Après avoir sorti deux EPs, nous venons de publier notre premier album "Honey and Groat" en octobre dernier sous le label Rocafort Records à Lausanne, et quelques dates vont suivre.
Avec Ivan de Luca, un bassiste que vous connaissez bien – c’est surtout lui qui est l’initiateur du projet, nous avons monté un groupe de reprises des Red Hot Chili Peppers juste avant le Covid, qui s'appelle “Sex Magic” avec Franco Casagrande à la guitare, et Matthias Nussbaumer au chant.
Je collabore aussi régulièrementIl avec Fanny Leeb et Florence Chitacumbi, deux chanteuses pour qui l’actualité reprendra tout bientôt, sans oublier bien évidemment "The Blakats", le groupe avec lequel nous animons les jams du Chat Noir à Carouge les premiers jeudis de chaque mois avec Matthieu Llodra, Ivan de Luca, Arthur Donnot, Shems Bendali, Bouli, Zacharie Ksyk, Evita Kone, Alice Auclair (la petite nouvelle), et Angelo Aseron. Je suis aussi parfois invité sur des projets comme avec la Fanfare du loup dernièrement, ou André Hahne pour un Tribute à Roy Hargrove dans le cadre du Nova Jazz prochainement.
En parallèle, je suis également professeur de batterie à l’ETM et j'ai vraiment hâte de ce qui nous attend à partir de la rentrée prochaine. J'en parlerai d’ailleurs un peu plus tard.
> Pourrais-tu également nous présenter ton parcours ?
J'ai commencé par les percussions classiques au conservatoire d'Annemasse quand j'étais gamin, après avoir fait de l’éveil musical dans ce même conservatoire. Pendant que j'étais au lycée, je faisais des ateliers jazz là-bas également avec Thierry Giraud, un professeur enseignant le piano au conservatoire d’Annecy. Il y avait aussi Cyril Moulas qui est guitariste et bassiste, quand j'étais là bas.
Après mon Bac, je suis rentré à l'ETM et j'y ai fait ma formation pré-pro. J'ai pris des cours avec Marco Jeanrennaud – un batteur de la scène plutôt blues qui a joué avec Bonnie B. entre autres, puis j'ai pris quelques cours avec Stephan Montinaro (Music Arts Academy).
Je suis ensuite parti au conservatoire de Lausanne (HEMU Jazz) où j'ai fait un Bachelor et un Master pour étudier avec un de mes maîtres, Marcel Papaux. J'ai mis six ans à terminer ce cursus parce que j’ai eu un gros accident au bras droit et que je n'ai quasiment pas pu jouer, ni prendre de cours, pendant une année. Quand je suis sorti de là diplômé, à 27-28 ans, je me suis lancé dans la vie de musicien à plein temps.
Quelques années plus tard, Stefano Saccon, directeur de l’ETM et saxophoniste alto, qui m’a aidé à faire mes armes au début de ma carrière musicale et avec qui j’ai toujours plaisir à jouer lorsque l’occasion se présente, m’a appelé pour faire un remplacement de mon ancien prof, puis m'a engagé en tant que professeur de batterie à l'ETM, où j'enseigne depuis 7 ans.
> Comment t'es tu mis à la batterie ?
Quand j'avais six ou sept ans, j'ai vu un batteur à la télé un soir, et je me suis dit "j'ai trop envie de faire ça." Voilà, c'est tout ce qui m'a donné envie. J'avais la chance d'habiter à la campagne, et j'ai donc pu avoir une batterie à la maison le Noël d'après.
> Tu te souviens de ta première batterie ?
Je me souviens très bien : c'était une New Sound noire – je ne sais pas si ça existe encore – en taille standard, 12/13/16, avec une caisse claire de 14 ; les cymbales étaient fournies avec. Mon père ne m'avait pas pris la grosse caisse parce que j'étais encore trop petit et je ne touchais pas encore les pédales. J'étais minuscule derrière ce truc. Donc j'avais un kit tout ce qu'il y a de plus normal, mais avec une potence où j'avais mes deux toms dessus, et c'est comme ça que j'ai commencé. On jouait en duo avec mon père au piano, et on s'est fait des bœufs père/fils pendant des années tous les soirs comme ça. Mais je ne me suis mis à bosser vraiment l'instrument que bien plus tard.
> C'est venu après ?
Je prenais des cours dans un conservatoire plutôt classique, et je n'étais pas un grand bosseur. J'ai passé énormément d'heures derrière ma batterie, mais à jouer sur des disques, piqués à mes parents, même quand j'étais gosse, mais je n'étais pas très assidu sur le travail technique et ces choses là.
Pour te dire la vérité, je pense que j'ai vraiment commencé à bosser ma batterie au moment où j'ai décidé d'en faire mon métier, et où je me suis orienté vers des études musicales. Donc j'ai vraiment mis le pied dedans après le bac, quand je suis rentré à l'ETM. Avant ça, on me donnait des exercices, mais je ne les bossais pas vraiment. Je passais par contre beaucoup de temps à écouter de la musique, ce qui a certainement aidé à développer mes connaissances.
Mon directeur de l'époque au conservatoire d’Annemasse m'avait dit d'ailleurs que je n'étais pas fait pour la musique, et qu'il faudrait que je pense à faire autre chose "peut être du sport, du tennis par exemple". Un jour, bien des années après, il est venu me voir après un concert, pour me dire qu'il était bien content que je ne l'aie pas écouté (rires).
> Quels sont tes styles de musique préférés ?
Je viens du rock, même du rock assez extrême, limite metal. Adolescent, j’écoutais et j’en écoute encore des groupes comme Korn, Deftones, Limp Bizkit, Lamb of God, Suicidal Tendencies, Slipknot, etc. J'ai été également initié très tôt au jazz par mon père avec John Coltrane, Charlie Parker, Herbie Hancock, Keith Jarret, Chet Baker, ainsi qu’à la “bonne” variété française comme Claude Nougaro, Michel Berger, Bernard Lavilliers, Michel Jonasz, Maurane...
MaxeUn style qui me touche le plus et que j'ai découvert avec le temps, c'est ce qui touche à la soul, le R&B, et la funk des années 70-80. J'y suis venu plus tard grâce au jazz, parce que je me suis aussi intéressé à ce que faisaient ailleurs les mecs que j'écoutais. J'ai par exemple découvert Man-Child avec Herbie Hancock comme ça, et ça a été une révolution pour moi. Mais je pense que c'est donc difficile de dire que j'ai un style préféré, parce que j'écoute vraiment beaucoup de choses différentes. Il y a du bon à prendre partout.
>Et tu joues de tout ?
Non, je n'ai pas cette prétention, et puis il y a tellement de styles sur cette planète que ce serait impossible de jouer de tout et de tous les faire bien. Mais j’essaye d’être un musicien le plus complet possible.
>Du reggae ?
Alors, c'est une très bonne question et la réponse est non. Pour moi le reggae est un des styles les plus exigeants, en tout cas au niveau de la batterie. Pour bien savoir en jouer, je pense qu'il faut ne faire quasiment que ça. En tout cas, il faut bosser vraiment très, très sérieusement pour le maîtriser.
J'ai joué à l'époque avec un bassiste et collègue à l’ETM qui s'appelle Stan Breynart, qui avait un groupe de reggae sur Genève,Mosquito, avec Cédric Dunner au chant. C'était de la chanson-reggae francophone, un peu dans la vibe de Sinsemilla. J'ai après aussi joué dans Adubtion avec les frères Tiercy, Manu et Thomas. On faisait un mélange de dub et d'électro. Mais je n'ai jamais été un grand batteur de reggae.
Il y a aussi une autre musique que je ne pratique pas beaucoup, parce qu'elle est structurée par des codes bien précis, et qu'il faut avoir la culture je pense pour savoir bien la jouer, c'est tout ce qui relève de la musique dite, au sens large bien sûr, afro-cubaine. J'ai encore beaucoup à apprendre pour dire que j'en joue vraiment. Je peux faire illusion car j’en connais les bases, mais on a la chance maintenant à l'ETM d'avoir Edwin Sanz (professeur de percussions/batterie) qui est là et je me réjouis de faire des sessions avec lui pour mieux connaître cette musique.
>Quelles sont tes influences majeures ?
Il y en a tellement que c’est dur de faire un choix. Tout d’abord je dirais, Manu Katché. J'aime beaucoup la variété française, et j'ai un peu l'impression d'avoir grandi pendant son âge d'or, dans les années 80, où on avait des artistes comme Michel Jonasz, Claude Nougaro, et où il y avait ces musiciens qu'on entendait et qu'on voyait tout le temps parce qu'ils jouaient derrière les grandes vedettes dans les émissions comme Taratata.
Quand j'ai découvert le live "Uni vers l’Uni" de Michel Jonasz avec Manu Katché, Kamil Rustam à la guitare, Dominique Bertram à la basse et Jean Yves d’Angelo au clavier, ça a été une révélation. Je me souviens l'avoir entendu au bureau de mon père quand je faisais un stage un été. J'ai tout de suite accroché. Je le connais par coeur. J'ai aussi beaucoup écouté Loïc Pontieux, qui jouait avec Nougaro à l’époque où je l’ai découvert, sur sa Sonor Designer bleu-pailleté, et puis Christophe Deschamps, Paco Sery avec Sixun, Stewart Copeland, sans oublier Ringo Starr, qui est pour moi "le plus grand batteur pop jusqu’alors" dans sa manière d’accompagner la chanson, et puis le géant Steve Gadd, qui incarne la classe ultime.
Au niveau du jazz, il y a deux batteurs entre lesquels mon cœur balance tout le temps : Tony Williams et Elvin Jones. Mais comme j'ai toujours été quand même un peu plus sensible à la musique de John Coltrane qu'à celle de Miles Davis, même si il a joué avec beaucoup de batteurs, ça penche un peu plus du côté d'Elvin Jones. J'aime aussi Harvey Mason et Mike Clark, bien sûr, que j’ai découvert avec Herbie Hancock dans sa période groove. Et puis je n'oublierai pas Dédé Ceccarelli et Franck Agulhon – ce dernier est devenu un ami et avec qui j’ai beaucoup appris, et que je remercie pour cela.
Pour finir, j'ajouterais Lars Ulrich, car j'étais très fan de Metallica. Même si ça me fait mal de reconnaître que Lars ne joue vraiment plus très bien en concert, Metallica reste l'un des plus grands groupes de heavy-metal du monde et quand j'ai découvert Lars Ulrich et sa batterie Tama blanche gigantesque, j'étais conquis.
>Quels sont les batteurs que tu écoutes un peu plus en ce moment ?
Il s'agit surtout de batteurs que je découvre ou redécouvre avec mes élèves de l’école, en leur faisant bosser des rythmes, des morceaux, des relevés de solo, etc. En ce moment, ce qui tourne c'est Karim Ziad, Carter Beauford – que j’adore avec Dave Matthews, Vinnie Colaiuta, Ilan Rubin. Michael Bland, qui a joué avec Prince et que j'ai re-découvert récemment grâce à un live de France Gall pour sa toute dernière tournée, sur laquelle elle avait engagé les musiciens de Prince, justement.
Pour la petite histoire, il y a deux lives incroyables – un acoustique et un électrique – tournés aux Zénith de Paris et pour une émission sur M6 à l’époque, et pour la rythmique, c'est Sonny Thompson qui tient la basse et Michael Bland à la batterie. Énorme !
>Parlons un peu de matos. Quelles sont tes batteries préférées ?
J'ai une affection particulière pour Tama. D'abord, c’est la première vraie batterie de bonne qualité que j'ai eue après cette fameuse New Sound quand j'étais gamin. C'était une Tama Artstar noire que j'ai toujours d'ailleurs, et que j'utilise parfois pour des sessions en studio.
Les batteries Tama vont aussi bien dans le jazz, que dans le métal, le funk... Je trouve que ça marche partout, et à plein d'égards. Après, je suis quand même très sensible aux batteries vintage. Maintenant, savoir si j'ai une préférence entre une Gretsch, une Slingerland, savoir si je préfère les américaines ou les anglaises, c'est difficile à dire. Ça dépend des époques, ça dépend de plein de trucs. Mais si je devais citer une marque après Tama, je dirais quand même Ludwig. Ludwig, c’est la classe.
>Qu'est ce qui est important pour toi dans une batterie ?
Pour moi, ce qui est important avant tout, c'est qu'elle soit facile à régler. Il y a des batteries qui sont très, très bien, mais il est difficile de trouver un son tout de suite. Et surtout, il y a des batteries qui supportent un certain accordage et qui n'en supportent pas d'autres. C'est à dire que tu as des batteries qui sonnent si elles sont en low tuning, et d'autres qui sonnent mieux dans des tunings aigus. Et moi, ce que j'aime surtout dans une batterie, c'est qu'elle me permette de faire un maximum de choses. Donc ça demande qu'elle soit facile à régler et du coup polyvalente.
Bien sûr, c'est le batteur qui fait le son de l'instrument – on est bien d'accord – et je pense que c'est pareil sur tous les instruments. On le voit bien à la guitare avec John Woolloff, pour prendre en exemple un grand guitariste qu'on connait bien ici : tu lui mets n'importe quelle gratte dans les mains et il a un son énorme parce que c'est lui.
>Et entre les différentes parties (kit, cymbales, facilité de réglage), quelles sont les priorités ?
Par rapport au style de musique que je joue le plus régulièrement, qui est quand même le jazz, je pense que l'importance des éléments est plus marquée pour les cymbales. Parce que c'est difficile de jouer avec des mauvaises. Avec une batterie même pas terrible, tu peux t'en sortir si tu sais un minimum l'accorder, t'adapter aux défauts, ou même les compenser. Avec des cymbales moisies, c'est clairement plus compliqué, même si tu as une bonne batterie.
>Tu prends donc tes cymbales partout ?
J'ai toujours mes cymbales avec moi, oui. J'en ai des différentes pour m'adapter à tous les styles. D'ailleurs c'est un autre argument en faveur de l'importance des cymbales : tu peux jouer du jazz sur une batterie rock et inversement ; mais c'est compliquer de jouer du jazz correctement sur des cymbales hyper heavy, ou du métal avec des cymbales toutes légères.
>Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?
Mon expérience avec Servette-Music a commencé quand j'étais élève à l'ETM, mais j'associe Servette-Music à Stephan (Montinaro, NdR), qui était à Music Arts en fait à l'époque... Je trouve que Servette-Music est un magasin super, avec des gens compétents et toujours prêts à aider. Servette-Music prête du matériel aux associations, soutient les artistes locaux, est très investi dans et intéressé par la scène musicale de la région. Et puis en tant que musicien, tu as une équipe toujours arrangeante, de bon conseil pour parler, échanger. Et puis il y a du matos, plein de trucs sur place. Donc pour moi, c'est le magasin parfait.
> Quel est le meilleur souvenir de ta carrière ?
J'en ai beaucoup... Je te les raconte tous (rires) ?
> Quelques uns...
Un de mes meilleurs souvenirs en concert pour le côté complètement loufoque, c'est un remplacement de Marc Erbetta que je faisais avec Erik Truffaz aux côtés Christophe Chambet et Benoît Corboz au Koktebell Festival en Crimée. C'était un festival sur une plage et, pendant le soundcheck de l'après-midi, cette plage était nudiste. On a donc fait un soundcheck devant des gens “à poil” … (rires) … ça n’arrive pas tous les jours.
Un autre grand souvenir, au niveau émotionnel, a été une fois de plus avec Erik Truffaz lors de mon premier remplacement avec lui, à São Paulo. Quand l’album Bending New Corners est sorti, avec Naya qui rappait dessus, c'était un truc qu'on n'avait jamais entendu. On écoutait tous ça dans le local à Monnetier, le village où j'ai grandi, et on se retrouvait les week-ends dans un local pour écouter de la musique, en jouer. Quand c'est sorti, on était comme des fous. Et un beau jour, je me retrouve à São Paulo, à jouer la première note de Bending New Corners. Juste complètement fou.
J'ai aussi un souvenir fabuleux de Jazz à Vienne, dans le Théâtre antique, avec le trio de Gauthier Toux. Parce que Jazz à Vienne dans ce Théâtre antique, quand tu fais du jazz, c'est un peu un de ces trucs que tu vois quand t'es ado, et qui te fait rêver ensuite pour toute ta carrière. On ouvrait la soirée, donc on a joué qu'une demi-heure, mais c'était un souvenir magique, vraiment je m’en souviendrais à vie de cette sensation, de monter sur scène dans ce théâtre rempli de passionnés.
J'ai également un excellent souvenir de mes premières tournées, car c’était vraiment la première fois que je prenais la route avec un band, j’étais fier et honoré qu’il m'ait fait confiance et c’était avec Métal Kartoon. J’avais fini l’ETM comme élève, je commençais tout juste l’HEMU à Lausanne et je me suis retrouvé à jouer avec Ivan Rougny et Christophe Godin, mes idoles de l’époque ainsi qu’aux côtés d’un super musicien, complètement fou dans le bon sens du terme, punk dans l’âme, qui est malheureusement décédé il y a un an et demi – Jérôme Ogier. Il était aussi prof de chant à l'ETM à l’époque où j’étais élève, très bon violoniste, un vrai clown à la Charlie Edwards, complètement déluré, ultra talentueux. Qu’est ce qu’on a ri...
Et puis j'en ai tellement avec Matthieu Llodra, mon ami et compère de scène depuis 14 ans maintenant... Il te reste de quoi prendre des notes (rires) ?
> Et pour les compos, ça se passe comment chez Maxence Sibille ?
Il y a six ou sept ans, l'AMR m'avait proposé une carte blanche. C'était une période où je jouais beaucoup, et je l'ai tout d’abord refusée parce que je n'avais pas le temps, et je ne me voyais pas la faire, honnêtement. Et puis quelques mois après, ils m'en ont proposé une deuxième. Là, j'ai su que je ne devais pas la laisser passer, parce qu'ils n'allaient pas me faire la proposition une troisième fois.
J'ai donc appelé Mathieu Llodra au Rhodes, Gauthier Toux au piano, Valentin Liechti qui est un super batteur, producteur et ingénieur du son, et un très bon ami également, aux machines, un trompettiste polonais que j'avais rencontré il y a quelques années, Tomas Dabrowski, et un bassiste – un super bassiste qui est sur Paris – qui s'appelle Julien Herné.
C'était une carte blanche, mais je me suis dit qu'il fallait quand même que je compose de la musique, pour ne pas faire que de l'impro. Je me suis mis au piano, j'ai trouvé des idées, très inspirées par l'aspect fortement mélodique de la musique des années 80, et en tâtonnant, des mélodies, des progressions d'accords, par-dessus lesquelles je chantais un peu. Les autres membres du projet m'ont fortement aidé à finaliser ensuite ces compositions, et on les a arrangées tous les six. C'est mon expérience de compositeur, elle m’a beaucoup plu et a donné naissance à ce groupe, Seed, avec lequel nous avons un album dont je suis très fier..
> Seed existe toujours ?
Oui bien sûr, même si comme je ne suis pas un grand champion en termes de booking et que nous avons tous des agendas bien chargés, nous ne jouons pas beaucoup. La formation a un poil changé, puisque nous comptons parmi nous désormais Zacharie Ksyk à la trompette et notre “colonel” à tous, Christophe Chambet, donc il faudra bien qu’on enregistre un prochain album un de ces jours.
> Quels sont les projets qui t'animent pour l'avenir ?
Avec le trio de Gauthier, la pédale est enclenchée donc je ne peux que souhaiter que celà dure le plus longtemps possible. J'aimerais vraiment que ça se développe avec Kuma parce que c'est un projet qui me tient également très à cœur. On est tous fans du Japon dans ce projet – d'ailleurs, Kuma, ça veut dire "ours" en japonais – donc ce serait une vraie consécration un jour de faire une tournée là-bas. Et puis, il y a une chose qui me trotte toujours dans la tête, ça serait de faire un jour une tournée de variété. Une tournée en "tour bus", sur les routes, pour des successions de dates, c'est un truc que j'aimerais bien faire une fois dans ma vie.
Sur le plan de l’enseignement, continuer à m’investir pleinement au sein de l’ETM, d’autant plus que la future école ouvrira ses portes dès septembre prochain dans les anciens locaux de la RTS. Ça va être un pôle musical très important pour la ville de Genève, avec une infrastructure à la pointe de la technologie, deux salles de concerts pouvant accueillir tout autant de la musique classique, comme du metal, de l’électro, du jazz et j’en passe. Il y aura des salles magnifiques, des studios de répétition et d’enregistrement bien équipés... Tout sera réuni pour faire de la musique dans les meilleures conditions, et je me réjouis de ce nouveau chapitre initié par Stefano Saccon, notre directeur.
> Quel conseil donnerais-tu à un.e jeune débutant.e à la batterie ?
Tout d’abord, mon conseil est de prendre du plaisir. La musique, c'est un plaisir avant tout, et il faut jouer tout ce dont on a envie, même si on est juste débutant.
Ensuite, il faut être curieux. Je pense qu'il faut vivre avec notre temps bien sûr, mais qu'il faut aussi s’intéresser à ce qui s'est fait par le passé – les anciens, quoi... Je trouve super d'être dans les tendances de ce que font les artistes actuels, et je le revendique, mais il ne faut pas oublier ceux qui étaient là avant nous, et les chemins qu'ils ont empruntés. Il faut fouiner, il faut aller écouter, sur disque, en live, il faut aller lire, se documenter...
Et puis il faut aussi être patient. On n'est jamais arrivé, on apprend toute notre vie, peu importe notre niveau. C'est pour ça qu'il faut sans-cesse "travailler son clou" ; le reste suivra.
>Bonjour Joshua, merci d'avoir accepté de répondre à quelques unes de nos questions. Pour te présenter à nos lecteurs et lectrices, peux-tu nous parler de ton parcours musical ?
Je suis saxophoniste professionnel, né en Australie, où j’ai grandi dans une communauté de 70 personnes au milieu de nulle part avant de retrouver des villes plus grandes pour mes études. J’ai commencé la musique par le piano, car ma mère est pianiste amateure, donc elle m’a poussé à cela. J'ai ainsi commencé par le piano et la flûte à bec, et puis par le chant à la chorale, la théorie musicale… Et puis quand j'ai commencé ce qu'on appelle l'école secondaire, il m’a fallu choisir un instrument à vent. J'ai choisi le saxophone, sans grande raison, à vrai dire.
Nous avons appris un peu en groupe et puis assez rapidement, j’ai eu un prof particulier. J'ai commencé à jouer avec l'orchestre de jazz de ma ville aux côtés de mon professeur quand j'avais treize ans. Et puis au fur et à mesure de mon cursus scolaire, le département de musique est un peu devenu un refuge pour ceux qui faisaient de la musique. Là où j'ai grandi en Australie, c'était essentiellement le foot australien qui dominait. Et du coup, quand on ne jouait pas au foot, on allait se planquer dans le département de musique. C’est comme ça que j'ai appris le saxophone bien sûr, mais j’ai aussi fait de la flûte, de la clarinette, de la guitare… On formait des groupes de jazz, de classique, tout ce qu'on pouvait en fait, en jouant les uns avec les autres. Ensuite, à quinze ans, j'ai commencé à travailler, et je jouais du piano dans des restaurants, des bars, je jouais le week-end, tous les vendredis et samedis soir. Je jouais aussi dans les mariages, des fêtes, bref, je saisissais toutes les occasions de jouer de la musique avec les autres.
Puis quand j’ai fini l’école est venu le moment de décider ce que j’allais faire pour la suite. J'ai voulu faire de la musique, et au final il n’y avait pas de choix à faire, puisque j’en faisais déjà ! J’ai déménagé et je me suis installé à Melbourne. Il y avait une école dans laquelle je voulais vraiment entrer, une sorte d’équivalent du conservatoire supérieur ici. J’y ai posé ma candidature en piano/jazz, saxophone/jazz, et puis aussi saxophone/classique, parce que mon prof m’avait convaincu que ce serait une bonne idée. J’ai donc préparé les trois concours d’entrée, et je n’ai été pris dans aucune de ces filières. Je me suis alors dit “bon, je vais aller ailleurs faire du jazz”, parce que à cette époque-là, je voulais vraiment être un musicien de jazz.
Mais ensuite j’ai reçu un appel disant que la personne devant moi s'était désistée, et que je pouvais donc entrer pour un cursus de saxophone classique. J'ai accepté avec plaisir, en gardant en tête l’idée de switcher vers le jazz au semestre d’après, ou l’année suivante, puisque c’était dans la même école. Je suivais aussi des cours de jazz en parallèle, mais je me suis finalement beaucoup éclaté en classique, les professeurs étaient incroyable et je me retrouvais à être un des rares saxophonistes.
Je faisais partie d’un groupe de musiciens qui étaient tous très motivés et j'étais très pris dans le truc. Pendant mon bachelor, j’ai pris des cours de jazz, j'avais des groupes de jazz et je jouais autant que possible, gagnant ma vie en jouant du piano. J'accompagnais des chorales, des instrumentistes, et je jouais toujours dans les restaurants…
Un jour, mon professeur à l’époque, Barry Cockroft, que certains connaissent peut-être, m'a dit que ce serait bien pour moi d’aller étudier ailleurs. Je lui ai demandé où, et il m'a dit “moi j'étais à Bordeaux, tu peux aller là-bas”. J’étais d’accord en pensant faire ça l’année suivante, mais il a insisté pour que je parte cette même année. Je crois que c'était une discussion que nous avions eue en février ou mars, et six mois plus tard, je suis arrivé à Bordeaux. C'était une expérience incroyable, j'apprenais énormément avec Marie-Bernadette Charrier, saxophoniste et directrice artistique du l’ensemble de musique contemporaine Proxima Centauri. Elle jouait beaucoup, et enseignait le saxophone et la musique de chambre contemporaine au Conservatoire. Ça a toujours été un modèle pour moi, car elle mène sa carrière, joue professionnellement des choses très intéressantes, et elle transmet ça dans ses cours. Il y a un vrai sens à son enseignement et j'ai appris énormément avec elle.
Mais en France, je n'avais pas le droit de faire plusieurs choses. Moi qui étais saxophoniste et pianiste, qui jouait du jazz et du classique, j'avais compris assez vite que ça n’était pas très bien reçu. Si tu disais “ je fais ça, et ça, et ça” on ne te prenait pas au sérieux. Donc à partir du moment où je l'ai compris, je me suis concentré sur le saxophone classique et contemporain. Je n'ai pas encore aujourd’hui délibéré sur la question de savoir si c'était une bonne chose ou une chose moyenne, mais je suis convaincu que ce n’était pas une mauvaise chose (rires).
J’ai donc étudié deux ans chez Marie-Bernadette au CRR de Bordeaux. J’ai ensuite décidé d’aller à Paris pour étudier avec Vincent David au Conservatoire de Versailles. Mais juste avant, en été 2010, je suis allé pour la première fois au festival de Darmstadt en Allemagne, qui est un événement dans lequel se retrouvent une année sur deux les musiciens de musique contemporaine du monde entier. J’y ai rencontré plein de monde. J'avais déjà fait pas mal de musique contemporaine avec de nombreux musiciens, mais là, j'ai rencontré des gens qui étaient vraiment tous dans le même esprit. J’ai notamment rencontré Paolo Vignaroli, flutiste italien qui vivait à Paris, et nous avons fondé un ensemble de musique contemporaine, soundinitiative, en 2011, dont j’ai été co-directeur artistique pendant dix ans.
J’ai recommencé à faire plusieurs choses en même temps à partir de là, et je ne vais pas tout citer ici, mais pendant que j’étudiais chez Vincent David j’ai gagné le Concours de International de Saxophone "Jean-Marie Londeix", puis je suis rentré au Conservatoire Supérieur de Paris (CNSMDP). Parallèlement à ça, je travaillais beaucoup pour développer soundinitiative, trouver une identité, un répertoire, et gérer l’organisation qui va avec tout ça… Au CNSM j’ai fait un Master d’interprétation en saxophone, en musique de chambre et un diplôme d’improvisation, une fois mon cursus terminé, soundinitiative avait pris de l’envergure et je suis donc resté en France où j’ai enseigné le saxophone en région parisienne. Puis j’ai été appelé par le Conservatoire Royal de Bruxelles, où j’ai été assistant pendant deux ans dans la classe de saxophone d’Alain Crepin, j’ai ensuite enseigné à l’Académie de Musique et des Arts du Spectacle (MDW) de Vienne et à l’Université des Arts (KUG) à Graz en Autriche pendant quelques temps, avant de rejoindre et de diriger la classe de saxophone à la HEM ici en Suisse en 2020.
> Peux-tu nous dire quelques mots sur cette institution qu’est la HEM ?
La Haute école de Musique de Genève est née du conservatoire de Genève, qui est l’une des plus anciennes institutions musicales de Suisse, suite aux réformes de Bologne. Il a fallu mettre en place un système d’études supérieures en Suisse, et sous la direction de Philippe Dinkel, la HEM a été formée.
Nous avons bien sûr un concours d’entrée, qui s’est fait par vidéo depuis le COVID. S’ils sont admissibles, les étudiants ont alors un entretien avec le professeur et des membres de l’équipe pédagogique. Il me semble d’ailleurs que la raison principale pour laquelle les élèves rejoignent une école de musique réside dans la qualité du corps enseignant, et les professeurs de la HEM sont des professionnels très pointus.
En ce qui me concerne, j’enseigne le saxophone et la musique de chambre contemporaine. Nous avons actuellement 9 saxophonistes entre le Bachelor, Master de Concert (interprétation) et le Master de pédagogie. Le côté international de la HEM est très développé, et j’ai actuellement des élèves suisses, français, espagnols, et chinois. Nous sommes ouverts sur le monde à travers des projets d’envergure internationale en orchestre et en musique de chambre. Nos élèves sont supers, et ils ont un niveau souvent très élevé, qui me pousse à continuer d’apprendre et de travailler l’instrument de mon côté !
> Quel était ton premier instrument ? Et ton premier saxophone ?
Mon tout premier instrument a été la flûte à bec, quand j’allais à l’école, qu’un monsieur venait enseigner. Comme je te l’ai raconté, j’ai grandi dans un village minuscule au milieu de nulle part, quelque chose qui n’existe plus du tout en Europe, et nous avions des personnes qui venaient des alentours pour donner les cours. Je me souviens qu’il avait des flûtes de toutes les tailles, et nous formions un ensemble avec des sopranos, des ténors…
Ensuite, quand je suis commencé le saxophone, j’ai joué sur un Buffet Crampon Evette, un modèle d’étude. Quelqu’un l’avait laissé tomber et il avait une bosse sur la culasse. Ensuite, j’ai acheté mon premier saxophone, c’était un Keilwerth EX90, de la gamme intermédiaire.
> Que t’apporte le fait de jouer d’autres instruments ?
Jouer du piano m’apporte beaucoup de choses très importantes : l’harmonie, la visualisation de la musique… Au saxophone, tout est vertical, on n’a pas de vision globale de l’harmonie, de l’endroit où on se situe dans l’accord. Au piano, on a tout devant soi sur un clavier. Personnellement, je me suis toujours senti plus pianiste que saxophoniste, même si je suis moins bon au piano. J’ai passé tellement de temps à en jouer, à improviser, à travailler, à comprendre la musique à travers le piano que finalement, je me sens à la maison devant cet instrument. J’accompagne donc mes élèves durant les cours quand notre pianiste Marie n’est pas là. On ne peut pas vraiment jouer les musiques seul.e au saxophone, puisqu’on ne peut jouer qu’une note à la fois, donc c’est aussi très utile de pouvoir apporter cela aux élèves.
> Quels sont tes styles de musique préférés ?
C’est une question que l’on me pose souvent, et je dois dire que j’ai beaucoup de mal à répondre, car quand on est interprète, la musique que l’on préfère doit être celle que l’on est en train de jouer. Il faut savoir s’engager à fond dans la musique que l’on interprète pour convaincre le public. A titre personnel, j’aime presque tous les styles, spécialement la musique classique romantique, et le jazz, que j’écoute et dont je joue depuis longtemps.
> Quelles sont tes influences majeures ?
J’ai bien sûr été énormément influencé par mes professeurs : Claude Delangle, dont j’ai beaucoup écouté les enregistrements quand j’étais jeune, Vincent David, et Marie-Bernadette Charrier. Pour le saxophone classique et l’approche générale de l’instrument, je pense que ce sont mes trois influences principales. Je suis aussi très influencé par mes collègues musiciens, car on apprend beaucoup quand on joue ensemble avec d'autres. Les compositeurs avec lesquels j’ai eu la chance de travaillé m’ont aussi appris énormément. Mes collaborations avec Mauricio Pauly, Sam Salem, Michelle Lou, Santiago Diez-Fischer en particulier m’ont apporté beaucoup de choses musicalement, notamment dans l’utilisation des nouvelles technologies pour créer une musique vraiment actuelle, aux frontières de la musique électronique, de la musique contemporaine et de l’ambient. C’est d’ailleurs là que se situe mon univers en ce qui concerne la composition, il me semble.
> Quels modèles de saxophone joues-tu aujourd’hui ?
Je suis comme un enfant à Noël en ce moment, car j’ai un nouveau saxophone Selmer Supreme alto brossé. Je n’avais pas eu de nouveau saxophone depuis longtemps, et je suis vraiment ravi avec cet instrument magnifique. A part cela, je joue sur des Selmer Série III, mais je suis passé sur le nouveau modèle d’alto car cela faisait 20 ans que je jouais sur mon instrument, qui a fait le tour du monde plusieurs fois, et j’avais besoin de changer.
Avec le Supreme, qui est le fruit d’une importante recherche de la part de Selmer, je retrouve un instrument qui est très facile à jouer, et qui se révèle encore plus intéressant quand on lui “rentre dedans”. C’est une des grandes qualités des saxophones de Selmer à mon avis : il est toujours possible de trouver le son que l’on recherche avec leurs instruments. Avec le Supreme, je peux jouer du classique, du jazz, de la musique contemporaine, tout en fait, et avec beaucoup d’aisance. J’ai donc hâte de voir le ténor et le soprano Supreme quand ils sortiront.
> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?
Les deux grandes choses que j’apprécie particulièrement sont l’accueil et la richesse du stock. J’ai toujours été très bien accueilli, par une équipe compétente, et j’ai toujours trouvé ce dont j’avais besoin. On n’a pas la chance dans toutes les villes d'avoir accès à un magasin aussi bien fourni en instruments et en accessoires, qu’il s’agisse de saxophones, de becs, d'anches…
> Peux-tu nous présenter tes projets musicaux actuels ?
Il y a d’abord la compagnie soundinitiative, que j’ai mentionnée auparavant, et qui fait de la musique contemporaine en mêlant la danse, le théâtre, le mouvement. Nous essayons de vraiment investir l’espace de le mettre en résonance par la musique et le mouvement. Sinon je joue aussi avec un très grand percussionniste à Montréal, Noam Bierstone, au sein d'un duo qui s'appelle scapegoat mais aussi en plus grand effectif. Nous avons sorti un album avec le groupe No Hay Banda il y a deux mois. C'est de la musique expérimentale, contemporaine, qui intègre de l’électronique, avec par exemple des pédales d’effet pour créer des ambiances sonores particulières. Je joue aussi avec un groupe de musique contemporaine en Australie, qui s’appelle Elision, qui fait de la musique très contemporaine, très complexe, et j’ai un groupe de musique électronique improvisée qui s’appelle Replicant avec un guitariste slovène génial, Primoz Sukic. Je joue aussi de la musique classique avec Antoine Alerini, pianiste français. Il m’arrive aussi de jouer avec la Fanfare du Loup ou bien l’ensemble Contrechamps, et enfin, je joue aussi à Musikfabrik à Cologne lorsqu’ils ont besoin de saxophone. Ça m’occupe pas mal (rires).
> Quel est ton meilleur souvenir en tant que musicien ?
J’ai été invité un jour à créer un nouveau concerto avec le Thailand Philharmonic Orchestra en tant que saxophone soliste pour l’anniversaire du roi de Thailande, qui était lui-même saxophoniste. C’était un grand moment.
> Tu es interprète, mais tu crées aussi de la musique toi-même ; dans quel(s) style(s) exprimes-tu ta créativité ?
Je compose des pièces très contemporaines, de la musique atmosphérique, et d’une façon générale, de la musique expérimentale. Je fais aussi quelques arrangements, comme pour l’ensemble de saxophones de la HEM. J’ai composé pour de la danse, des musiques de concerts, ou des musiques plus électro/ambient.
> Pour l’avenir, quels sont les grands projets qui t’animent ?
Avant de venir en Europe, j’étais dans plusieurs mondes différents : piano, sax, jazz, classique. J’ai fait mes études en classique comme il faut, à la parisienne j’ai le tampon “musicien classique” du conservatoire supérieur de Paris, j’ai gagné des concours internationaux, bref : j’ai fait mes preuves. J’essaie maintenant de trouver une façon de réinviter l’autre aspect de mon élan musical, l’improvisation et le jazz. J’ai des projets de création, plutôt jazz, et je compte écrire un album pour trouver ma voix personnelle. Mais bon, comme tu le sais, trouver sa voix, c’est le projet d’une vie.
J’ai aussi ce projet qu’on m’a offert de réaliser à la HEM, qui est celui d’une classe de saxophone qui produira des saxophonistes de qualité à Genève et au-delà. Il ne s’agit pas seulement de former une promo, mais d’insuffler une dynamique et un esprit qui perdureront. Accompagner ces jeunes musiciens dans leur apprentissage et dans leur carrière ensuite, c’est un travail de longue haleine, qui se développe sur trente ans, et ça me passionne.
> Quel conseil donnerais-tu à un.e jeune musicien.ne qui débute au saxophone ?
Être musicien, c’est savoir écouter. Il faut écouter, écouter, et écouter. Et après ça, il faut écouter encore. Cela veut dire aller à des concerts, et nous avons de la chance car ici à Genève, il y a des concerts de grands artistes presque toutes les cinq minutes, entre l’AMR, l’ETM, ou les grandes salles comme le Victoria Hall. Il y en a pour tous les goûts, on peut écouter facilement de la bonne musique ici. Après avoir beaucoup écouté, il faut passer chez Servette-Music, acheter un instrument, trouver un bon professeur, et se mettre à travailler !
> Salut Christophe, tu es professeur de guitare à l’ETM et à la HEM, mais aussi un guitariste virtuose qui fait une belle carrière depuis plus de trente ans, peux-tu nous parler de ton actualité ?
Ce qui me motive particulièrement c’est que pour la première fois, j’ai la possibilité d’écrire des chansons pour quelqu’un qui chante comme j’aurais rêvé être capable de chanter mes morceaux. Ecrire pour une personne dont je sais qu’elle va mettre vraiment en valeur le truc que j’ai écrit a été suffisant pour que je décide de me jeter corps et âme dans ce projet. J’ai donc mis tout le reste de côté, même si j’ai quand même un duo acoustique avec Maggy, Akoustik Thrill, qui est plus une sorte de récréation, dans lequel on reprend du hard-rock et du heavy metal des années 80 en acoustique. Nous avons beaucoup de concerts prévus cette année avec The Prize, et nous avons déjà commencé le deuxième album. Pour la première fois, nous allons aussi avoir un tourneur européen, ce qui va énormément nous mobiliser, parce que nous allons faire un maximum de festivals, de petites tournées…
Enfin, avec l’ETM d’un côté et la HEM de l’autre, je remplis allègrement mon emploi du temps, parce que ce sont deux écoles super dynamiques. Je participe notamment beaucoup à la vie active de l’ETM avec les soirées Metal on Stage, les masterclasses, tous ces événements… Et puis comme tu le sais, je suis dans une tranche d’âge où on commence à savoir que le luxe c’est d’avoir du temps libre, donc je m’organise pour en dégager afin d’être en forme et dispo pour cela.
> Quel a été ton parcours musical ?
J’ai ensuite un peu eu le parcours typique des gens de ma génération : j’ai commencé à faire des concerts locaux, puis j’ai rayonné sur la région entière, jusqu’à ce qu’un groupe qui s’appelait Temple m’invite à les rejoindre. Pour te la faire courte, j’ai ensuite été remarqué par le guitariste de Nulle Part Ailleurs, et je me suis retrouvé sur le plateau de cette émission à sa grande époque. J’allais à Canal+ environ une fois par mois, et 3 millions de personnes me voyaient à la télé, donc les magazines, les marques ont commencé à s’intéresser à moi. A partir de ce moment là, les choses se sont mises en marche, et j’ai considéré que j’étais musicien professionnel. En parallèle de ça, j’avais construit ma carrière d’enseignant, parce que je suis entré à l’ETM il y plus de trente ans maintenant. C’est une belle opportunité qu’on m’a donnée, parce que ça m’a permis d’assurer un minimum financier pour pouvoir justement libérer du temps et m’investir dans mes projets à côté.
> Qu’est-ce qui t’a donné envie de jouer de la guitare électrique ?
Ma frangine m’a fait découvrir Van Halen, Angus Young, et Allan Holdsworth, qui était le guitariste de Jean-Luc Ponty à cette époque, et ce son là était un truc qui résonnait en moi. Je ne savais même pas que c’était de la guitare électrique, et d’ailleurs je ne savais même pas ce que c’était la guitare électrique, en fait. En France, on n’avait pas une vraie culture rock dans les années 70. Quand j’ai entendu ce son, j’ai su que j’avais envie de ça, de cette énergie, de ce côté brutal et virtuose en même temps. Je venais du violon et je pense que j’avais développé un sens de la virtuosité et de l’esprit de la vitesse sur l’instrument. Donc ces trois mecs là ont été mes modèles. Je dirais que j’ai piqué l’énergie brute d’Angus Young, le côté pyrotechnique de Van Halen, et puis le côté un peu subtil, avec des harmonies plus sophistiquées d’Allan Holdsworth.
> Tu te souviens de ta première guitare ?
Ma première guitare était une Aria Pro II PE 460, qui était une copie de Les Paul, et qui était d’ailleurs aussi lourde qu’une Les Paul. J'étais plutôt un grand tout maigre, et je me souviens que ça me ruinait l’épaule. Mais j’ai gardé cette gratte super longtemps, parce qu’Aria faisait des super copies. Je me souviens qu’est une guitare pour laquelle ma mère avait payé 400 francs à l’époque (NdR : environ 100 CHF), et que j’avais bariolée pour qu’elle ressemble un peu à une guitare de Van Halen. J’avais aussi un petit ampli Gorilla, et pour la disto je me suis bidouillé une pédale à partir d’un transistor, parce que j’avais lu dans un magazine qu’on pouvait faire ça en utilisant la sortie casque comme input. Ça faisait un son abominable (rires). Et puis ma maman m’a offert la DS-1, la fameuse, quand elle a vu que je passais des heures tous les jours sur l’instrument, et c’était un game-changer.
> Il paraît que tu joues pas mal d’autres instruments, lesquels ?
Alors je jouais du violon, mais maintenant beaucoup moins. C’est très contraignant physiquement par rapport à la guitare, parce que ce n’est pas du tout la même posture. Je joue aussi plutôt pas mal de la mandoline, car c’est l’instrument de ma maman. Je joue plutôt correctement de la basse, je fais un peu de batterie, et puis je pianote. Je connais aussi les accords au piano, donc je peux composer au piano… Mais les instruments que je maîtrise vraiment, ce sont la guitare et la basse.
> Quelles sont tes influences musicales, et comment ont-elle évolué avec le temps ?
J’ai toujours un peu marché sur trois pattes. Il y a le côté metal, même presque punk, dont j’aime l’énergie. Il y a le côté jazz rock des années 70-80, qui a un truc un peu sophistiqué qui me plaît aussi. Et puis il y a un truc que j’adore, c’est la pop anglaise, genre Joe Jackson, Elvis Costello… Et finalement j’ai toujours essayé d’utiliser ces deux éléments, du metal d’un côté, et du jazz-rock de l’autre, pour faire de la pop avec. Donc de la pop énervée, et un peu sophistiquée. Et c’est rigolo parce qu’avec The Prize, j’ai vraiment la sensation d’avoir réussi à trouver un mix qui réunit ces trois idées : écrire des chansons, les rendre énergiques, et avec des petits twists harmoniques qui les rendent un peu futées, tu vois ?
Je me rend compte aussi, avec le temps, qu’il n’y a plus vraiment de styles que je ne supporte pas. Quand j’étais gamin, je détestais le reggae et la disco. Mais Ivan, bassiste avec qui je joue depuis plus de trente ans, m’a fait écouter plein de choses, et m’a sensibilisé à des cultures musicales que je ne connaissais pas ; et finalement, c’est souvent par méconnaissance qu’on n’aime pas. Même le rap, qui à un moment a un peu été un truc contre lequel je luttais… Quand j’ai découvert les Beastie Boys dans les années 80, j’ai trouvé que cette énergie du verbe, prononcé presque comme un instrument saturé, très rythmique, était vachement cool.
> Concernant les guitares, tu joues sur Vigier. Est-ce que tu utilises parfois autre chose ?
Ça fait effectivement plus de 25 ans que je travaille avec Vigier, et je dois dire que je trouve mon bonheur avec. D’abord, la gamme est suffisamment grande et comprend tout ce que je peux vouloir. J’ai aussi surtout la chance d’avoir une relation privilégiée avec Patrice Vigier, qui m’a souvent fait des guitares sur mesure, selon mes besoins et mes envies. Depuis environ cinq ans, je travaille avec des GV, et j’en ai quatre qui ont été faites spécialement pour moi, avec des configurations un peu particulières sur la taille du manche, la hauteur des frettes, le choix des micros, etc. Donc je n’ai pas grand chose à chercher ailleurs, mais j’avoue avoir quand même une appétence particulière pour les Telecaster, et j’en ai toujours eu une ou deux à la maison. Je m’en sers comme instruments de loisir, mais aussi parfois sur les albums, notamment sur le dernier, pour faire quelques petites choses avec ce son bien spécifique, ce *twingggg* un peu claquant, agressif et nasillard qu’on ne trouve pas sur les autres guitares.
En acoustique, je joue depuis quelques années avec Cole Clark, et ça a été une révélation. Je ne connaissais pas la marque. Le distributeur français m’a proposé d’essayer, et j’ai été conquis. Je ne suis pas un vrai guitariste acoustique, mais avec ça j’ai trouvé une guitare sur laquelle je me sens aussi à l’aise que sur une électrique.
> Qu’est-ce qui est le plus important pour toi dans une guitare électrique ?
Pour moi, la pièce vraiment “vie” d’une guitare, c’est le manche. Je ne suis pas un guitariste de main droite, mais un guitariste de main gauche. Du fait que j’ai joué du violon, j’ai pris le pli de beaucoup jouer en legato, et ce jeu est le plus traumatique pour la main gauche. J’ai donc toujours d’abord recherché le confort pour ma main gauche avant tout. J’ai toujours principalement joué sur des guitares de type Strat ou Les Paul, des formes assez standard finalement, dont on trouve des déclinaisons chez toutes les marques.
Pour le manche, chaque détail peut faire une différence, et c’est donc plus délicat de trouver exactement ce qui convient. C’est une des choses qui m’a conquis chez Vigier, d’ailleurs : quand j’ai pris en main la première guitare que Patrice a faite pour moi, j’ai eu l’impression que je connaissais déjà le manche, et j’étais immédiatement à l’aise dessus. Après, j’aime bien écouter comment la gratte résonne à vide, sans la brancher. Je ne suis pas un connaisseur de bois, mais je fais confiance à mon oreille quand je teste une guitare. Si elle ne sonne pas à vide, je sais d’expérience qu’elle ne va pas sonner super pour moi une fois branchée, quels que soient les micros qui l’équipent. Donc pour répondre à ta question, ce qui est le plus important pour moi c’est le manche, et ensuite la résonance acoustique.
> Comment décrirais-tu ton expérience avec Servette-Music ?
Je ne connais pas du tout ce magasin. Au revoir ! (rires) En fait, j’ai une relation, là aussi, privilégiée, qui dépasse le cadre purement “professionnel”. On se connait relativement bien avec Sergio, Servette-Music est partenaire de l’ETM, ce qui contribue aussi à resserrer les liens, et nous avons fait pas mal de choses ensemble : des vidéos, travaillé ensemble sur l’exploitation de certaines marques avec lesquelles je bosse… Ce que je trouve génial, je te le disais hors interview, c’est que c’est un magasin qui a su complètement se réinventer, et qui propose quelque chose de beaucoup plus large que ce qui faisait sa réputation autrefois. J’ai l’impression que c’est un magasin qui évolue vraiment avec son temps, comme le montrent les vidéos, justement, et le renouvellement dans les marques représentées. C’est aussi cool de parler avec des gens qui sont des vrais spécialistes de l’instrument. Ça va, je vous ai assez passé de pommade ? (rires) Non mais sérieusement, je trouve super de réunir les deux qualités de proposer quelque chose de très large et professionnel, et en même temps, de rester à taille humaine, et donc de savoir jouer ce rôle de proximité et d’accessibilité.
> Quels sont les meilleurs souvenirs de ta carrière ?
J’ai un paquet de souvenirs, c’est le privilège d’être vieux. Mais l’avantage d’être vieux, c’est aussi de ne pas se rappeler de tout ! Je pense que le plus beau, c’est un souvenir qui date de notre troisième tournée aux Etats-Unis avec Mörglbl. C’était lors d’un festival, le NearFest, qui est un peu la Mecque en termes de festivals de prog aux Etats-Unis. Mörglbl était programmé le dimanche à 11h du matin, parce nous étions un peu “la révélation” du festival. On se disait : “à 11h du matin, un dimanche en plus, on va jouer devant trois personnes”. La veille il y avait une énorme soirée, en plus avec Liquid Tension Experiment, un super-groupe composé de John Petrucci et Mike Portnoy de Dream Theater à la guitare et à la batterie, Tony Levin à la basse, et Jordan Rudess – qui a ensuite rejoint Dream Theater – au clavier. Donc un gros truc, tu vois ? Du coup on n’a pas trop fantasmé, et de toute façon c’était déjà génial d’être là.
Quand on est arrivés sur scène à 11h, dans une belle salle de 1500 places, il y avait 1800 personnes qui nous ont soutenu. On devait jouer 60 minutes, et on a fini par en jouer 75. C’était la première fois dans l’histoire du festival que le groupe “découverte” avait trois rappels. Pour nous ça a été une expérience incroyable. En plus ce jour là on a vendu 400 albums en une fois, et le mec de notre label américain faisait des allers-retours entre le stand et sa camionnette pour reprendre des cartons CDs. Il répétait sans cesse “j’ai jamais vu ça, j’ai jamais vu ça”, et à un moment ils ont demandé au gens d’arrêter de faire la queue et de retourner dans la salle, où jouait le groupe suivant. Il m’arrive de revoir des bouts de ce concert, car il est sur Youtube, et à chaque fois ça me fout des frissons. J’ai d’autres bons souvenirs, mais celui-ci est vraiment particulier, car ça a aussi été le point de départ d’une relation super belle entre le public prog américain et Mörglbl, qui a quand même fait huit tournées là-bas ensuite.
> Comment se passe la compo chez Christophe Godin ?
Il y a donc une façon de travailler très différente, où on arrive avec des chansons déjà prêtes, mais avec l’acceptation qu’elles vont être transformées par le reste du groupe. Avec Maggy, on est un peu une sorte de Lennon/McCartney du pauvre, tu vois ? On a trouvé une relation dans laquelle on fait un ping-pong d’idées, qu’on s’envoie à la gueule et dans lequel on se répond. Et au bout du compte, c’est vachement intéressant : je n’ai pas écouté l’album pendant longtemps, pour avoir un peu de distance, et quand je l’écoute maintenant, je trouve qu’il y a une cohésion, et en même temps de la diversité. C’est même à un point où je ne sais plus qui a amené quoi, ou écrit quel texte. Pour moi c’est une réussite, parce que je n’arrive pas à mettre un tampon “Christophe Godin” sur cette musique, et c’est vraiment le groupe, et plus spécifiquement ce duo entre Maggy et moi, qui mène la barque.
Pour répondre de façon encore plus pointue à ta question, j’ai toujours mon téléphone avec moi, et j’enregistre tout. Dès que j’ai une idée qui me passe par la tête, je l’enregistre. Je regardais ça encore la semaine dernière, et j’ai cinq cents idées sur lesquelles je peux travailler pour les albums à venir. Donc j’ai de la marge, tu vois (rires). Et c’est quelque chose qui est mouvant et qui évolue : lors de certaines réécoutes, une idée que je trouvais plutôt moyenne peut devenir intéressante, ou à l’inverse, une idée que je trouvais géniale à un moment a finalement très mal passé l’épreuve du temps, alors j’élague.
> Qu’espère-tu réaliser pour l’avenir ?
Alors ma priorité numéro un, c’est le bien-être de mes enfants. J’espère qu’ils sont heureux, et je mets en tout cas toute mon énergie dans ce projet là, qui est mon plus beau projet en fait. J’ai la chance d’avoir un certain âge et une sécurité professionnelle, d’un côté avec l’enseignement, et de l’autre une renommée qui me permet de trouver assez facilement des endroits où jouer, pour pouvoir, justement comme je te disais au début, dégager du temps et le passer avec eux.
Mon deuxième projet, c’est bien évidemment The Prize, avec qui nous voulons jouer des concerts, tourner, continuer à composer et à enregistrer ensemble. Après, d’un point de vue plus guitaristique, j’ai la chance de bosser avec des marques qui me font encore confiance sur le développement des produits, et je m’investis de plus en plus dedans, parce que je trouve très intéressant de savoir précisément comment fonctionne ce que j’ai dans les mains, et de pouvoir échanger dessus. Et puis enfin, le projet qui chapeaute tout ça, c’est d’être en bonne santé le plus longtemps possible.
> Qu’est-ce que tu conseilles à un guitariste débutant ?
Le conseil que je donne à des débutants, c’est d’essayer rapidement de trouver des gens avec qui jouer, même s’ils ne se sentent pas encore super affûtés. Moi-même, j’étais nul quand j’ai commencé à jouer en groupe, et j’ai gardé des cassettes qui le prouvent ! La dimension de partage, entre musicien.ne.s, et avec un public, c’est crucial dans la musique.
Du fait que j’enseigne depuis une trentaine d’année, j’ai vu le profil des élèves évoluer. Ils ne viennent plus pour les mêmes raisons, et en tout cas plus par les mêmes voies qu’autrefois. Et ce que les jeunes guitaristes me donnent un peu l’impression de perdre de vue, c’est que la musique, ça se joue à plusieurs. Quand on joue de la musique à plusieurs, ça procure un plaisir qui ne peut pas exister devant un écran. Mais là, on a de plus en plus de gamins qui restent chez eux, et qui n’ont finalement plus ces relations avec un autre guitariste, un bassiste, un batteur, ou un chanteur. Mon message c’est donc d’aller vers d’autres musicien.ne.s, avec qui jouer pour partager des sensations, des émotions, échanger des idées, se refiler des trucs. Jouer de la musique ensemble, et partager cette passion, c’est essentiel pour progresser.