› Bonjour Aude, tu es maintenant titulaire du CFC de factrice d’instruments à vents, tu es assise à ton poste de travail pour y assurer ton métier cette fois-ci de façon autonôme? Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Je ressens beaucoup de fierté envers mon parcours et mes capacités. Il faut quand même préciser que cela faisait un moment que j'attendais ce moment (rires) ! Je m'explique : en 2016 j'ai effectué un stage de 2 semaines chez Servette-Music dans le cadre de mes études de culture générale. À l'époque je n'étais pas sûre de ce que je voulais faire, ce stage m'a énormément plu et m'a ouvert les yeux sur le fait que je me verrais bien faire ça. À l'époque le dernier apprenti finissait sa 4e année et René Hagmann ne se voyait pas reprendre un apprenti avant la retraite. Je n'ai donc pas cherché plus loin en Suisse romande car les places sont très rares, voire trop loin pour mes possibilités. J'ai donc effectué un apprentissage de libraire.
En février 2020 alors que je préparais mes candidatures de libraire post apprentissage, René Hagmann m'appelle et m'offre une place d'apprentissage, ainsi que la possibilité de me former pour me garder. J'ai accepté. J'ai donc enchaîné 2 apprentissages, 7 ans avec le statut d'apprentie. Je ressens donc beaucoup de fierté pour ma persévérance et mon choix de recommencer un 2e CFC. Maintenant que je suis assise à mon établi dans cet atelier mythique, je me réjouis de continuer à me perfectionner au gré des instruments qui vont passer entre mes mains, et je vais profiter de René Hagmann et de Didier Imesch jusqu’à leur derniers jours chez Servette-Music pour qu'ils me transmettent leurs précieuses connaissances.
› En plus de l'obtention de ton CFC, l'Université de Genève t'a décerné le prix de l'apprentissage dans un métier rare, pour ton parcours remarquable. Qu'est ce que cela représente pour toi ?
C'est une belle reconnaissance pour ce métier si peu connu. Je crois qu'il est très important que les petits métiers bénéficient de visibilité. Ce CFC a d’ailleurs failli disparaître au début des années 2000 avant qu'une nouvelle école ne se crée et que le Certificat soit réformé. Je suis heureuse d'être une représentante de cette formation.
› Comment se sont déroulées ces 4 années d’apprentissage ?
Finalement très bien. Les 3 premiers mois je n'ai pas touché un seul instrument. René Hagmann était à mes côtés pour m'apprendre la mécanique de base, la précision, le sens du mouvement et de la 3D. Je me souviens de mon premier jour, j'ai scié des plaques de différents métaux toute la journée ! pour "goûter" chacun de ces matériaux. Une fois la mécanique acquise, j'ai commencé à travailler sur les clarinettes, et j'ai restauré ma toute première, une Noblet Artist. On se concentrait sur un seul instrument à fond pendant plusieurs mois et quand René trouvait que j'étais à l'aise, on passait au suivant.
J’ai trouvé fascinant d'apprendre à ses côtés, car pendant qu'on travaillait sur la technique entre mes mains, il me racontait toute l'histoire de tel instrument, tel facteur, telle marque, à telle époque. Il a une connaissance « hallucinante » . Au fur et à mesure que les bases étaient acquises dans chaque instrument, Didier Imesch a repris la main sur le perfectionnement de mon apprentissage. René a un savoir inégalable à bien des égards, il s'est spécialisé dans les customisations assez poussées et la fabrication de clarinettes, tandis que Didier a plus de 40 ans d'expériences dans la réparation "ordinaire". C'est lui qui sait le mieux comment tamponner un sax pour que les tampons bougent le moin possible dans les jours qui suivent, comment nettoyer chaque instrument le plus efficacement, comment vieillissent les tampons, les feutres, les lièges. Il m'a transmis toutes ces connaissances essentielles, et par cet enseignement j'ai constaté un bond dans ma compréhension du métier et dans mon efficacité.
J'ai aussi passé plusieurs semaines d'affilée à l'atelier des cuivres aux côtés de Claudio Maragno. J'y ai appris la réparation, mais aussi la transformation et la construction de mécaniques de trombones ténors et basses que l'on adapte ensuite à différentes marques, ou que l’on monte sur nos propres trombones Hagmann Custom. L'atelier des cylindres nous fournit les barillets, et nous construisons le reste en ajoutant les différentes pièces de laiton, les "goose neck", les bagues, les entre-deux, etc... qu’il convient d'usiner par différents procédés jusqu’à souder l'ensemble et polir en haute brillance ! C'est un travail physique mais tellement gratifiant ! Puis, durant ma 4e année d’apprentissage, j'ai arrêté d'aller à l'atelier des cuivres pour commencer à me spécialiser dans les bois.
› Tu joues du hautbois et tu as terminé ta formation de musicenne, est-ce que tu préfères entretenir et/ou réparer des hautbois ou tu n’as pas de préférence dans la réparation ?
Évidemment qu'étant hautboïste, le hautbois fait partie de mes instruments préférés à entretenir (sourires). Vu que j'en joue, je peux vraiment sentir avec précision les réglages lorsque je pratique les essai à la fin d'une révision, et il y a presque toujours un petit coup de tournevis qu'on ne sentait pas nécessaire au papier à cigarette, mais une fois soufflé, c'est criant.
Pendant l'apprentissage j'ai été formée autant dans le domaine des bois que celui des cuivres, pour lesquels j'ai particulièrement apprécié m'occuper des cors. Il y a beaucoup plus de paramètres à prendre en compte dans les cors que dans les autres cuivres, il faut être rigoureux et précis. Mais maintenant que mon apprentissage est terminé, je me spécialise dans les bois, et mon autre "chouchou" je dois dire que c'est la flûte. Les flûtes professionnelles ont des tampons extrêmement précis, cela demande d'être très exigeant dans le tamponnage à l'aide de papier d'épaisseurs fines. C'est difficile mais j'apprécie le challenge ! De plus, ce sont de véritables bijoux, c’est un bonheur de travailler sur ce type d’instruments.
› Est-ce que tu joues d’autres instruments ? Si oui, lesquels ?
J'ai appris la flûte quand j'étais à L'école de musique de Nyon, pour les défilés. C'est plus pratique que le hautbois pour jouer en marchant. Mais "appris" est peut-être un grand mot, car ma grande sœur flûtiste m'a appris, en 1 heure ! Une fois qu'on a compris comment souffler et sachant que les doigtés sont quasiment pareils à ceux du hautbois, cela suffit amplement pour jouer une marche (rires) ! Sinon j'ai fait 2 ans de clarinette avant de passer au hautbois, j'adore la clarinette, mais j'aspirais à une autre sonorité et l'enseignement m'a beaucoup plus.
› Est-ce important de jouer les instruments que l’on répare ou que l’on entretien ?
Oui c'est essentiel. Comme je l'ai dit pour le hautbois, il y a des réglages que l'on ne peut vérifier qu'en jouant. Pour les saxophones et les clarinettes typiquement, cela s'entend tout de suite à l'intonation et à l'émission du son si la clé est trop ou pas assez ouverte.
› Comment se passe la relation avec la clientèle lorsque l’on est facteur en instruments à vent.
Les liens se tissent petit à petit au fil des années, on voit certains clients plus régulièrement que d'autres. Je suis à l'aise en relations à la clientèle grâce à mon précédent apprentissage durant lequel j'étais à tout instant sur la surface de vente, au contact. Maintenant que je suis factrice, je passe la majorité du temps à l'arrière dans l'atelier. Aller à l'avant du magasin pour prendre en charge les réparations est un moment de rencontres et d'échanges que j'apprécie particulièrement. Autant sur le plan humain, j'aime apprendre à connaître les clients, où ils jouent, ce qu'ils ont à raconter autour de leur instrument.
C'est important aussi qu'ils se familiarisent avec moi. Ils ont l'habitude de parler à Didier Imesch depuis plus de 40 ans, alors une nouvelle tête peut surprendre... Ce lien de confiance prend du temps à se tisser et je le comprends parfaitement. J'ai été formée par leurs réparateurs préférés donc ils n'ont pas de soucis à se faire (rires) ! Sur le plan technique aussi c'est très important de voir le client et l'instrument en même temps. Pour faire un devis précis, comprendre exactement de quoi il en retourne (car il y a généralement pleins de petites choses que les clients ne remarquent pas), leur en parler en leur montrant l'instrument, leur fait réaliser le potentiel d'amélioration de ce dernier.
› Pour l’avenir, quels sont les grands projets qui t’animent ?
Lorsque je me sentirai assez expérimentée, j'ai le projet de faire mon papier de maître d'apprentissage pour former des apprenti.e.s. Il y a certes peu de place de travail post apprentissage mais il faut aussi dire que tous les apprenti.e.s ne restent pas dans le métier, et la majorité sont suisses allemands. C'est donc important de former la relève en Suisse romande. J'ai aussi envie de transmettre mes connaissances en apportant une vision différente de l'enseignement. Je souhaite aussi implémenter l'utilisation de nouvelles technologies pour nous aider dans les réparations usuelles.
› Est-ce que tu joues d’autres instruments ? Si oui, lesquels ?
J'ai appris la flûte quand j'étais à L'école de musique de Nyon, pour les défilés. C'est plus pratique que le hautbois pour jouer en marchant. Mais "appris" est peut-être un grand mot, car ma grande sœur flûtiste m'a appris, en 1 heure ! Une fois qu'on a compris comment souffler et sachant que les doigtés sont quasiment pareils à ceux du hautbois, cela suffit amplement pour jouer une marche (rires) ! Sinon j'ai fait 2 ans de clarinette avant de passer au hautbois, j'adore la clarinette, mais j'aspirais à une autre sonorité et l'enseignement m'a beaucoup plus.
› Est-ce important de jouer les instruments que l’on répare ou que l’on entretien ?
Oui c'est essentiel. Comme je l'ai dit pour le hautbois, il y a des réglages que l'on ne peut vérifier qu'en jouant. Pour les saxophones et les clarinettes typiquement, cela s'entend tout de suite à l'intonation et à l'émission du son si la clé est trop ou pas assez ouverte.
› Comment se passe la relation avec la clientèle lorsque l’on est facteur en instruments à vent.
Les liens se tissent petit à petit au fil des années, on voit certains clients plus régulièrement que d'autres. Je suis à l'aise en relations à la clientèle grâce à mon précédent apprentissage durant lequel j'étais à tout instant sur la surface de vente, au contact. Maintenant que je suis factrice, je passe la majorité du temps à l'arrière dans l'atelier. Aller à l'avant du magasin pour prendre en charge les réparations est un moment de rencontres et d'échanges que j'apprécie particulièrement. Autant sur le plan humain, j'aime apprendre à connaître les clients, où ils jouent, ce qu'ils ont à raconter autour de leur instrument.
C'est important aussi qu'ils se familiarisent avec moi. Ils ont l'habitude de parler à Didier Imesch depuis plus de 40 ans, alors une nouvelle tête peut surprendre... Ce lien de confiance prend du temps à se tisser et je le comprends parfaitement. J'ai été formée par leurs réparateurs préférés donc ils n'ont pas de soucis à se faire (rires) ! Sur le plan technique aussi c'est très important de voir le client et l'instrument en même temps. Pour faire un devis précis, comprendre exactement de quoi il en retourne (car il y a généralement pleins de petites choses que les clients ne remarquent pas), leur en parler en leur montrant l'instrument, leur fait réaliser le potentiel d'amélioration de ce dernier.
› Pour l’avenir, quels sont les grands projets qui t’animent ?
Lorsque je me sentirai assez expérimentée, j'ai le projet de faire mon papier de maître d'apprentissage pour former des apprenti.e.s. Il y a certes peu de place de travail post apprentissage mais il faut aussi dire que tous les apprenti.e.s ne restent pas dans le métier, et la majorité sont suisses allemands. C'est donc important de former la relève en Suisse romande. J'ai aussi envie de transmettre mes connaissances en apportant une vision différente de l'enseignement. Je souhaite aussi implémenter l'utilisation de nouvelles technologies pour nous aider dans les réparations usuelles.
› Dans quelle formation joues-tu de ton hautbois dans tes loisirs ?
J'ai fait pas mal d'orchestres différents depuis la fin de mes études scolaires à ce jour, mais j'ai pas mal élagué pour me laisser du temps pour la course à pied. Je n'ai gardé qu'un seul orchestre qui m'apporte beaucoup de plaisir, il s'agit de l'Orchestre d'Harmonie de l'Etat de Genève (la ex-Landwehr). C'est une harmonie d'excellence, dirigé par Jean-Christophe Monnier. J'y suis depuis septembre 2018. Nous jouons surtout des retranscriptions classiques, à thèmes. Mais aussi du jazz et de la variété, comme notre programme actuel. C'est assez exigeant pour être stimulant tout en étant sympathique et convivial. Mon collègue Matthieu Bielser y joue aussi, c'est chouette de se voir au boulot et dans les loisirs, car nous partageons une passion commune.
› Est-ce que tu aurais un conseil à donner à un.e jeune musicien.ne pour qu’il.elle se mette à jouer du hautbois ? Ou pour qu’il fasse un apprentissage de facteur, comme celui que tu viens de terminer ?
Pour ces deux questions très différentes j'ai une réponse commune : la persévérance. Le hautbois est un instrument particulièrement ingrat les premières années d'apprentissage, c'est difficile à souffler, le son n'est pas beau, et l'on n'est vraiment pas à notre avantage lors des premières auditions et concerts (rires)... Mais en persévérant, en travaillant son embouchure et son émission à fond, le son s'améliore et on y arrive. J'ai commencé le hautbois après 2 ans de clarinette donc j'avais du retard sur les gens de mon âge. Cela décourage un peu. Mais j'ai poussé jusqu'au bout et en mai 2023 j'ai obtenu mon certificat de fin d'études avec mention du jury à l'école de musique de Nyon. Donc tout réside dans la persévérance.
Pour l'apprentissage du métier de factrice, de même, il faut s'accrocher. Premièrement, trouver une place n'est pas toujours aisé. Deuxièmement, l'école se trouve en Suisse allemande, en Thurgovie au bord du lac de Constance. Celle-ci est sensée distribuer la matière en français (plus ou moins bien traduite...) mais la majorité des professeurs ne sont pas bilingues donc les élèves romands sont clairement désavantagés. Mon niveau B1 d'allemand m'a sauvé pour suivre ces cours ! Mis à part l'effort de l'apprentissage du métier, je trouve essentiel pour un.e jeune de s'intéresser aux différents styles de musiques pratiqués avec des instruments à vent pour mieux comprendre ce petit monde. Qu'est-ce qu'une harmonie, un brass band, un big band, un orchestre de chambre, un consort, etc. Cela n'aide pas pour la mécanique, mais donne un sentiment d'appartenance et de but, qui nous re-motive dans les moments où l'on pourrais douter à mi-parcours, seul dans sa chambre en Suisse allemande (éclat de rire)...
