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22.09.2022 : Ivan Rougny, bassiste professionnel et professeur de basse à l’ETM : "mes parents écoutaient beaucoup de musique".

22 septembre 2022 par
22.09.2022 : Ivan Rougny, bassiste professionnel et professeur de basse à l’ETM : "mes parents écoutaient beaucoup de musique".
SERVETTE-MUSIC SA, VPI


> Salut Ivan, tu es un bassiste sideman très demandé, peux-tu nous parler de ton actualité ?

Mon actualité, c’est en priorité The Prize, notre nouveau projet avec Christophe Godin et Aurélien Ouzoulias de Mörglbl. Nous travaillons avec Maggy Luyten, anciennement frontwoman de Nightmare, un groupe de rock qui tourne d’ailleurs toujours. Nous parlions depuis longtemps de réaliser un projet différent de Mörglbl – mais quand même tous ensemble. Nous connaissions Maggy depuis longtemps, puisque nous l’avons souvent croisée sur la route, et là on a enregistré un album ensemble qui est sorti l’année dernière. On a commencé à tourner depuis un an, ça va s’intensifier. Parallèlement à ça j’ai la chance d’avoir travaillé sur l’album de John Woolloff, un guitariste bien connu ici qui a tourné avec toute la variété française dans les années 80 et 90. J’avais travaillé avec lui déjà il y a une quinzaine d’années, et je suis très content pour lui surtout que ce soit maintenant du concret.
Je donne aussi des cours de basse depuis 22 ans à l’ETM, où je suis très content de bosser. Pour un musicien actif comme moi, c’est un sérieux confort. D’abord j’aime donner des cours, j’apprends beaucoup en enseignant aux autres. Il y a toujours un môme qui arrive avec un truc qui me fait dire “eh ben je vais aller travailler un petit peu pour pouvoir te montrer”. Il y a aussi la liberté que ça nous apporte avec Christophe pour faire nos propres projets musicaux. Et puis le parcours de cette école, son évolution, le cadre et le contexte sont très chouettes.


 Quel a été ton parcours pour en arriver jusque là en tant que musicien ?

Mes parents écoutaient beaucoup de musique, il y en a toujours eu à la maison, et des choses pas toujours mainstream. J’ai développé comme ça un goût pour la variété française, que ma mère écoutait, et par exemple j’aimais bien France Gall. Derrière, en fait, il y a Jannick Top, bassiste notamment de Magma, qui avait un son de mammouth que j’adorais.
Je suis aussi le dernier d’une fratrie de quatre, dont certains jouaient de la musique. J’avais un frère batteur de jazz et saxophoniste, et une sœur saxophoniste classique – un cursus qu’elle a d’ailleurs poussé très loin, puisqu’elle a reçu le Premier Prix du Conservatoire de Paris, etc. Quand j’ai commencé à neuf ans, mon frère en avait quinze et il jouait déjà dans les groupes. J’avais envie de faire comme lui.
J'ai grandi dans une petite ville à la campagne, donc l’apprentissage de la musique est passé par l’harmonie municipale et l’école. Je ne savais pas trop quel instrument jouer au départ. J’ai un peu hésité vers la batterie, mais mon père a refusé, ayant déjà un batteur à la maison, il en avait assez. On m’a donc mis à la clarinette – probablement parce qu’il y en avait besoin à l’harmonie municipale. Comme ça se passe dans l’enseignement classique, je me suis mangé deux ans de solfège, ce qui a un peu entamé ma motivation. Mais mon intérêt pour l’aspect rythmique de la musique s’est développé, et finalement mon frère m’a fait découvrir la basse : il m’a fait écouter des trucs comme Weather Report, beaucoup de pop comme Level 42, avec Mark King… Et comme je t’ai dit, il y avait toujours de la musique à la maison, et j’étais déjà très attiré par cet instrument.
Mais bon au final c’est beaucoup venu de mon frère : quand j’ai commencé, lui jouait déjà avec des mecs, montait à Paris pour des concerts, et j’avais envie de faire comme lui. C’est comme ça que j’ai su que je voulais devenir musicien. J’étais nul à l’école, il ne fallait pas me parler d’autre chose, ce qui comptait c’était la musique. Je me suis fait virer de l’école à quinze ans, et j’ai fait des petits boulots pour assumer mon apprentissage autodidacte, tout à l’oreille. Les quelques années de solfège que j’ai faites m’ont tout de même bien aidées, car je jouais à vue, j’avais un bon rythme, et je pouvais échanger avec les autres facilement.
Du coup je me suis retrouvé à être le seul bassiste à trente kilomètres à la ronde en 85-86, et j’ai donc trouvé rapidement des gens avec qui jouer. J’ai rejoint à seize ans des groupes qui jouaient dans les bals, avec des mecs qui avaient l’âge que j’ai maintenant, et j’ai pu apprendre plein de choses avec eux. Comme on jouait de la musique de fête (pop, musette, variété, world music, etc.) j’ai pu aborder des styles très différents. J’ai passé des plombes à repiquer des répertoires entiers, en rembobinant les cassettes, “bloup-bloup-bloup” (rires). Il n’y avait pas de supports pédagogiques accessibles comme aujourd’hui…



> Qu’est-ce qui t’a donné envie d’apprendre à jouer de la basse ?

Je n’avais pas vraiment conscience de l’instrument au départ, de son rôle. Quand mon frère m’a fait découvrir ce que c’était, j’ai trouvé ça génial : c’est le mix parfait entre les aspects rythmique et harmonique de la musique. Ça m’a séduit immédiatement, et ce que j’ai aussi beaucoup aimé, c’est le fait que l’accès est facile : tu peux vite jouer des morceaux de pop ou de rock sans avoir besoin d’être Victor Wooten, t’amuser, jouer avec du monde, partager des choses… Ensuite, c’est comme tous les instruments, il y a la dimension du travail, de la technique, qui rentre en jeu. Et je me souviens que ma première basse était une tramer, copie de Precision, super lourde.


> Tu joues d’autres instruments ?

Pas vraiment, non. Je pianote, je pose quelques accords sur la guitare, je suis capable de tenir un rythme à la batterie, mais rien au-delà de ça. L’autre instrument dans lequel je me suis investi plus en profondeur, c’est la contrebasse – mais c’est la même famille que la basse électrique au fond. On me demandait ça pour des sessions de studio, et j’ai accompagné des formations qui le demandaient parfois, en général plus pour l’impact visuel que pour le son lui-même, d’ailleurs. J’en ai joué pendant sept ans, mais un jour lors d’un déménagement, j’ai posé ma contrebasse – un super modèle, cher et tout – contre un mur. Je me suis retourné, elle est tombée sur la face, et elle a explosé. J’ai choisi d’interpréter ça comme un signe, et j’ai lâché. J’y reviendrais peut-être un jour, mais je suis plus un bassiste qui joue de la contrebasse qu’un contrebassiste de toute façon.


> Quels sont tes styles de musique préférés, et comment tes goûts ont-ils évolué ?

En jouant, j’ai compris avec un peu d’expérience que j’étais résolument bassiste : j’aime accompagner. Je peux donc aussi bien jouer du rock que du punk, du funk, du metal, du R&B… Tout ce qui groove. Quand j’avais quinze ans, et que j’ai commencé la basse, j’étais plus attiré par ce qui était fusion, jazz-rock, parce que c’était les genres dans lesquels les bassistes s’exprimaient le plus à cette époque. C’est là qu’il y avait tous les cadors de la basse, qui reste un instrument jeune : ça explose dans les années 70, et on est dans les années 80 à ce moment là ! Mais j’ai eu des périodes.
J’ai été beaucoup influencé par Police, Level 42, dont je trouvais le jeu redoutable, et plus tard, Marcus Miller. Jaco Pastorius, c’est venu plus tard, car je ne comprenais pas quand j’étais gamin. Il y a un type qui m’a spécialement marqué, c’est Michel Alibo, un bassiste français des Antilles qui a joué pendant des années dans un groupe qui s’appelle Sixun, et je suis ultra-fan de ça. C’est probablement le musicien que je suis allé voir en concert le plus de fois dans ma vie, et il me met toujours des frissons quand je l’entends jouer. J’aime beaucoup Gary Willis, Anthony Jackson, et des mecs un peu déjantés, comme Les Claypool de Primus. C'est surtout les bassistes qui savent vraiment accompagner qui m’intéressent, comme Tony Levin, qui sait faire ça incroyablement bien.


> Quels sont tes basses préférées, et qu’est-ce qui est important pour toi quand tu choisis un instrument ?

Actuellement c’est Vigier, car on bosse ensemble depuis des années. Patrice Vigier m’avait donné une basse et dit : “si ça te plaît on travaille ensemble, sinon, tu me la renvoies”. J’avais trouvé ça génial, parce qu’il n’avait pas vraiment besoin de moi, lui, je ne suis pas Victor Wooten…
J’aime le gros son, même si je me rends compte que ça a un peu changé avec le temps, mais d’abord j’aime les instruments simples. J’aime pas les usines à gaz, avec 10’000 boutons. J’en ai eu, hein, des basses avec des rangées de potards, mais ça ne me plaît pas. Nous les bassistes on a tendance à aimer avoir un instrument qu’on peut brancher et qui sonne tout de suite, de manière organique. Après, il y a l’aspect physique de l’instrument : je ne suis pas bien costaud, donc il me faut des instruments pas trop lourds, parce que sinon je suis plié en deux très vite. Et puis il me faut un instrument polyvalent. Je n’ai pas envie d’avoir 15 basses derrière moi pour faire le truc rock, le truc funk, le truc jazz… Je veux une basse qui me permet en tout cas de ratisser le plus large possible, chose que je trouve avec Vigier, car je fais quasiment tout avec.
Sinon avec le temps, il y a un instrument auquel je suis revenu, c’est la Precision. On ne peut pas faire plus simple, déjà, et pour le son, et bien ça a le son de la Precision et c’est parfait. Depuis quelques temps, quand je fais des trucs ponctuels qui sont très groove, funk, je prends celle-là. Et puis tout dernièrement, j’ai acheté une Läkland modèle Darryl Jones chez vous, pour avoir un instrument radicalement différent de celui que j’utilise, c’est-à-dire ma Vigier. Je voulais un truc qui sonne Jazz Bass, mais avec un peu plus de muscle et 5 cordes. Mon ami Ivan de Luca m’a fait essayer un de leurs modèles, qui sont effectivement supers, donc je suis venu vous voir à Servette.
Au final, je ne suis pas un gros consommateur d’instruments. Comme j’ai dit, je ne veux pas avoir une flopée de basses derrière moi, je veux en avoir deux ou trois qui marchent, et avec lesquelles je peux tout faire. Donc chez moi j’ai deux Vigier, frettée/fretless, une Läkland, une Squier Precision roots au possible, et voilà.



> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?

Comme je travaille avec des marques, je vais peu dans les magasins de musique. Je n’ai pas besoin d’y aller, puisque tout arrive chez moi. Mais j’entends parler de Servette-Music à travers des musiciens avec qui je travaille, comme John Woolloff. Dernièrement je cherchais un instrument, comme je venais de le dire, et je sais par les gens que je connais qui viennent souvent ici qu’on a affaire à une équipe de connaisseurs, et qu’on peut prendre le temps de tester, de réfléchir, de poser des questions… En venant j’ai été ben conseillé, il y avait un instrument qui me plaisait, et j’ai pu passer le temps qu'il me fallait pour bien le tester. Je dirais donc que mon expérience avec Servette-Music est réduite, mais agréable.


> Ta rencontre avec Christophe Godin a eu un gros impact sur ta carrière, comment vous vous êtes connus ?

Je connaissais Christophe de loin, puisqu’il était déjà le “guitar hero du coin" à la fin des années 80. Quand je suis arrivé sur Annecy au début des années 90, un copain guitariste me l’a présenté, et on est allés le voir en concert plusieurs fois à Rockland (un club qui n’existe plus), où il se produisait régulièrement. Je bossais avec un groupe de reprises à Annecy, et du coup on se croisait souvent aussi. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés. On a jammé, rigolé ensemble, et on s'est bien entendus humainement, bien sûr.
Christophe avait à l’époque un groupe de compos très prog qui s’appelait Future Primitive. Le bassiste était Patrice Guers, un pro qui a notamment joué avec Patrick Rondat, et il est parti du groupe à cette époque. C’est là que la première vraie collaboration avec Christophe a démarré. Puis en 96, Christophe a participé à Guitare Attitude, une série de compilations de musique de guitare dirigée par Thibaut Abrial, et a été appelé pour en faire la promo au Bataclan à Paris. Et donc pour ça, on a formé un trio, et c’est de fait le début de Mörglbl. L’ironie, c’est qu’on n’a pas joué ce concert, parce que la régie avait prévu une section rythmique identique pour tous les guitaristes qui se produisaient (rires). Un an plus tard, Mörglbl a sorti son premier album, et on ne s’est plus quittés, sauf une pause entre 2000 et 2002 pour d’autres projets. Il n'y a pas de raison : avec Mörglbl on se marre, on fait ce qu’on veut comme on veut, et on a quand même vendu cette musique aux quatre coins du monde en faisant les cons... C’est une veine de dingue.


> Comment composes-tu ?

La compo pour moi a tourné autour de Mörglbl pendant plus de 20 ans, et de façon assez collégiale : on jamme beaucoup, on enregistre les idées, et on les travaille ensemble. Christophe et moi arrivons aussi parfois avec des trucs entièrement écrits, et là pour moi ça part toujours de la basse, d’un groove. Ensuite, je passe sur Cubase pour triturer des sons, altérer des textures, voir où je peux aller, expérimenter. En 2014 j’ai aussi fait un album solo, et là j’ai tout composé de A à Z, puis appelé les potes pour jouer les parties que j’avais programmées. D’ailleurs cet album c’est un peu les mecs de Mörglbl qui jouent mes compos qu’ils n’avaient pas aimées (rires). Mais au fond j’aime bien le mode de composition à plusieurs où on échange des idées avec les autres, on les assemble et on les transforme ensemble pour en faire quelque chose qui représente le groupe.


> Quels sont les projets qui t’animent en ce moment ?

Musicalement, le projet principal du moment c’est The Prize, dont l’idée est de nous permettre de sortir de ce qu’on a fait avec Mörglbl pour explorer de nouvelles choses. Et sinon j’ai un album solo qui pourrait venir parce que j’ai beaucoup de matière. D’un point de vue personnel, j’espère être en mesure de faire le métier de musicien, que j’aime, pendant longtemps, et surtout de pouvoir profiter de ma famille, donc de savoir gérer l'équilibre entre ces deux piliers dans ma vie.


> Quel serait ton conseil pour un.e jeune bassiste débutant.e ?

La première chose, c’est qu’on dit “jouer de la musique”, et je pense que c’est important de ne pas l’oublier. Il faut s’amuser. Après vient aussi bien sûr le travail, etc. Aux bassistes qui veulent devenir pros, spécialement, je conseillerais d’être le plus polyvalent possible : ça permet de jouer avec plus de monde, de progresser plus vite. Mais s’amuser c’est l’essentiel, pour les amateurs comme pour les pros.