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14.11.2024 : François Benda, clarinette resonance, professeur de clarinette et clarinette solo, Académie de Berlin et Bâle.

14 novembre 2024 par
14.11.2024 : François Benda, clarinette resonance, professeur de clarinette et clarinette solo, Académie de Berlin et Bâle.
VPI

› Bonjour François ! Merci d’avoir accepté cette interview. Pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, pourrais-tu te présenter en quelques mots et nous parler de ton parcours musical ?


​Bonjour Claude, merci pour cette invitation ! Me présenter n’est jamais simple, mais je vais faire de mon mieux pour résumer l’essentiel. Je suis clarinettiste, né au Brésil, dans une famille de musiciens qui vivent leur art depuis plusieurs générations. Mon grand-père était violoniste et professeur réputé à la Hochschule de Francfort, tandis que mon père, pianiste et soliste exceptionnel, a partagé son amour de la musique tout au long de sa vie. Bien qu’issus de Suisse romande et d’origine germano-tchèque, mon père a choisi le Brésil pour vivre. Ma mère est brésilienne, ce qui m’a offert dès l’enfance un univers musical mêlant des influences multiples.

 

J’ai commencé mes études de clarinette au Brésil, sous la direction d’un grand professeur, Leonardo Righi. Puis, à l’âge de 17 ans, ma famille a déménagé en Europe. J’ai poursuivi mes études en Autriche, d’abord à Graz puis à Vienne, où j’ai approfondi la clarinette mais aussi la composition et la direction d’orchestre. Mes débuts professionnels se sont faits en Suisse, à la Tonhalle de Zurich, notamment avec le Concerto de Nielsen en 1988, puis avec le concerto de Mozart. Cela m’a ouvert les portes des grandes salles européennes, que ce soit comme chambriste ou soliste. En 1991, j’ai reçu à Rome le prestigieux prix de la presse italienne, le Premio Internazionale per l'Arte dello Spettacolo, qui a marqué le début d’une nouvelle étape dans ma carrière, avec des invitations dans des centres musicaux comme la Philharmonie de Berlin, le Musikverein de Vienne, le Concertgebouw d’Amsterdam, entre autres. Par la suite, j’ai collaboré avec de nombreux orchestres de renom et enregistré des œuvres de compositeurs tels que Mozart, Penderecki, Nielsen, Debussy et l'oeuvre intégrale pour clarinettes de Brahms entre autres.

Depuis 1993, je me consacre également à l’enseignement. J’ai le plaisir de transmettre mon savoir à la Hochschule für Musik de Bâle depuis 1995 et à l’Université der Kunst de Berlin depuis 1996. J’enseigne toujours avec passion, et je m’efforce d’aider mes élèves à atteindre leur propre voix musicale.


›   Tu as évoqué tes débuts au Brésil. Comment t’es-tu finalement orienté vers la clarinette, et pourquoi cet instrument en particulier ?


​Mes débuts sont un peu inhabituels ! J’ai commencé par le violon, mais très rapidement, nous avons déménagé à São Paulo, une ville très polluée, ce qui a provoqué chez moi des problèmes d’asthme. Les médecins ont suggéré à mes parents que jouer d’un instrument à vent pourrait m’aider à renforcer mes poumons. C’est ainsi que j’ai commencé par la flûte à bec.


Mais le moment décisif a été lorsque mon père a fondé un ensemble de musique de chambre à São Paulo, la Camerata Benda. Ils ont joué *Quatuor pour la fin du temps* de Messiaen, et le clarinettiste principal de l’Opéra de São Paulo, Leonardo Righ, était de la partie. À ce moment-là, à neuf ans, j’ai été ébloui par la clarinette et ai décidé de l’apprendre. Mon père, un peu perplexe, m’a d’abord dit que ce n’était pas un « vrai » instrument, car on n’y trouve pas de musique baroque. Mais malgré ses réserves, je suis resté convaincu. Quand nous sommes arrivés en Europe, j’ai pu continuer à travailler cet instrument de manière plus approfondie, et c’est là que j’ai trouvé la clarinette autrichienne, qui m’a profondément influencé.



›  Outre la clarinette, as-tu exploré d’autres instruments ? 


​En effet, en plus de la clarinette, je joue du piano. Bien que j’aie commencé tardivement, à l’âge de 17 ans, j’ai dû acquérir de solides bases pianistiques pour pouvoir suivre mes études de composition et de direction d’orchestre à Graz. Cela m’a demandé un travail intense, mais c’est un instrument que j’adore. Le piano est aussi un excellent complément pour un clarinettiste, surtout quand on enseigne. Il m’arrive souvent d’accompagner mes élèves, car cela permet de bien saisir toute la richesse harmonique d’une œuvre.

 

J’ai également un saxophone alto, que je joue occasionnellement, mais seulement pour le plaisir. Bien que je ne prétende pas être saxophoniste, je prends toujours plaisir à improviser avec cet instrument.


›   Comment t’es-tu intéressé à la conception de la clarinette et à l’innovation technique, avec des barillets et pavillons revisités ? Peux-tu aussi nous en dire un peu plus sur ta société, Clarinartis ?


​Mon intérêt pour la conception d’instruments a commencé dès mes études en Autriche, lorsque j’ai rencontré René Hagmann. Je me posais alors de nombreuses questions sur les défauts et les qualités de sonorité de la clarinette. Par exemple, pourquoi certaines notes sont-elles intonées différemment ou présentent-elles des limitations ? Je rêvais d’une clarinette plus homogène, qui aurait cette chaleur sonore caractéristique mais sans compromettre les aigus ou les graves.

René Hagmann a été un partenaire essentiel dans cette démarche. Grâce à lui, j’ai pu explorer les aspects mécaniques de l’instrument et améliorer plusieurs éléments comme les barillets et pavillons. En 2009, pour protéger nos recherches, j’ai fondé Clarinartis, dont l’objectif est de personnaliser chaque instrument. Cela permet d’obtenir un son unique et expressif pour chaque musicien, ce qui, à mes yeux, redonne de l’authenticité à l’instrument, car aujourd’hui beaucoup de clarinettes se ressemblent trop.



›  Parle-nous de la clarinette Resonance, et que symbolise pour toi le concert de lancement au Conservatoire de Genève le 14 novembre ?


​Le modèle Resonance est un projet qui me tient énormément à cœur, car il représente plus de 30 ans de travail et de recherche. Avec René et Jochen, nous avons cherché à combiner le meilleur des clarinettes françaises et allemandes pour créer un instrument plus harmonieux et équilibré. Jouer cette clarinette en public pour la première fois lors du concert au Conservatoire de Genève est une étape marquante pour moi.


Pour ce concert, je vais interpréter le concerto pour clarinette de Mozart. C’est une œuvre magnifique et exigeante, qui me permet de mettre en valeur les qualités sonores de l’instrument. Ce modèle Resonance de basset m’offre une grande aisance et une sonorité riche et profonde qui s’adapte parfaitement à cette œuvre sublime de Mozart. Le programme inclura également le *Concertino* de Weber, une pièce intense et romantique. C’est donc un événement auquel je tiens beaucoup, car il me permet de partager cette innovation avec le public.


›  Ton lien avec Servette-Music et René Hagmann semble solide. Quelle a été l’importance de cette collaboration dans ta carrière ?


​Ma relation avec Servette-Music et René Hagmann est précieuse. Depuis que je l’ai rencontré en 1981, René a été un partenaire de confiance dans le développement de mes instruments. Son expertise technique a souvent permis de concrétiser des idées acoustiques que j’avais en tête. Nous avons travaillé ensemble pendant des années pour trouver des solutions qui puissent améliorer la sonorité et la jouabilité des clarinettes, et ce dialogue est vraiment unique.


René m’a toujours soutenu, et notre collaboration s’est construite sur un échange sincère. Quand j’ai une idée ou un besoin acoustique, il trouve une réponse technique. C’est une chance immense pour un musicien de pouvoir compter sur un luthier aussi compétent et passionné. C’est pour cela que je suis toujours resté fidèle à Servette-Music et que j’ai confié mes instruments à René pour des ajustements et des innovations.



›   Quels sont tes grands projets musicaux et pédagogiques pour les années à venir ?


​L’enseignement est une de mes grandes passions, et cela fait maintenant presque trente ans que je partage mon expérience avec les jeunes musiciens, notamment à la Hochschule de Bâle et à l’Université der Kunst de Berlin. Chaque école a ses spécificités, Bâle étant axée sur le développement artistique et Berlin sur la tradition technique. Pouvoir enseigner à mes élèves les deux systèmes, français et allemand, est une expérience unique, qui permet de former des musiciens complets, ouverts et capables de s’adapter.


J’ai aussi la chance de compter parmi mes élèves des lauréats de nombreux concours et des musiciens occupant de grands postes dans les orchestres européens, asiatiques et américains. C’est une satisfaction de savoir que le travail mené ensemble leur a ouvert des portes et a contribué à leur réussite.

Côté musique, plusieurs projets m’enthousiasment, notamment la publication des oeuvres de Penderecki, et bien sûr le projet avec la clarinette Resonance, que je souhaite exploiter pour redécouvrir des œuvres classiques et contemporaines. J’ai également des concerts et des master classes de prévues, en Autriche (Vienne), en Slovénie et en Allemagne, qui me permettent de transmettre à la nouvelle génération ce que j’ai appris tout au long de ma carrière. 



›   Pour conclure, quel conseil donnerais-tu à des clarinettistes qui souhaitent aller le plus loin possible ?


​Pour quiconque souhaite embrasser la clarinette de manière professionnelle, il est essentiel de maîtriser la technique, mais aussi de cultiver la qualité du son, l’intonation et le legato. Un.e clarinettiste doit prendre le temps de travailler ses gammes et arpèges avec rigueur et patience. Ce n’est pas seulement la virtuosité qui fait la différence dans une audition, mais la qualité du jeu, la capacité à jouer avec une sonorité homogène et expressive.


Je conseille également d’apprendre le piano pour approfondir ses connaissances harmoniques, car la clarinette n’a que peu de répertoire baroque, ce qui limite un peu cet aspect de la formation musicale. Connaître la musique baroque est essentiel pour appréhender le répertoire classique et romantique. La tradition baroque nous enseigne le phrasé, la structure et l’art de la respiration musicale, des qualités qui enrichiront toute interprétation.

Enfin, je dirais qu’en tant que clarinettiste, on doit toujours chercher à apprendre et à élargir sa culture musicale. Jouer de la clarinette, c’est comprendre et maîtriser un instrument, mais c’est surtout faire vivre une musique, une émotion.