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09.02.2024 : Patrick Bielser, directeur de l'école de musique de Bernex

9 février 2024 par
09.02.2024 : Patrick Bielser, directeur de l'école de musique de Bernex
VPI

› Bonjour Patrick, en plus d’être professeur de trompette et de cor des Alpes, trompettiste professionnel, et expert en divers instruments, vous occupez également la fonction de directeur de l'École de Musique de Bernex (EMB) depuis 1978. Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?


Ma vie a été intimement liée à la musique dès ma naissance, héritage familial puisque mon père et mon grand-père étaient trompettistes. Mon père a dirigé la fanfare de Lancy pendant 27 ans, outre ses rôles dans diverses autres fanfares et chorales. Bien que bercé dans cet univers, mon intérêt personnel n'allait pas vers les fanfares, en raison d'une aversion pour les uniformes. 

Ma première envie était de jouer du violon, mais, faute de moyens financiers, j'ai commencé avec la trompette, instrument déjà présent à domicile. C’est mon père qui m’a donné mes premiers cours.


Mon parcours musical s'est ensuite diversifié. Attiré par les tonalités graves, j'ai exploré des instruments tels que la contrebasse et le baryton, le basson, cherchant à comprendre les fondements harmoniques des accords. Cette quête m'a aussi conduit à l'accordéon, inspiré par mon cousin accordéoniste. Cette expérience m'a permis de développer une compréhension harmonique plus profonde. Parallèlement, j'ai aussi appris à jouer de la guitare, principalement pour accompagner des chansons autour du feu en tant que chef scout ou des élèves, sans me spécialiser dans les solos. Ainsi, ma formation musicale s'est enrichie à travers une multitude d'instruments, façonnant l'artiste que je suis aujourd'hui


›   Vous avez également suivi une formation au Conservatoire, où vous avez fait un diplôme professionnel et une Virtuosité.


Oui, mon parcours au Conservatoire a été une étape cruciale dans ma formation musicale. Mon père, ayant lui-même fréquenté le Conservatoire à Genève, m'y a inscrit. 

J'ai eu la chance d'étudier avec Monsieur Hermann Giger, trompettiste à l’OSR, un professeur génial à la carrière variée, notamment dans les comédies musicales, et qui possédait une vision très ouverte de la musique, loin des sentiers battus du classique. 

Cette diversité dans son enseignement s'est révélée extrêmement enrichissante pour moi.


Pour obtenir ma de Virtuosité, j'ai dû passer les trois dernières années sous la tutelle de Michel Cuvit. Ce fut une période de transition intense, un moment où l'on se trouve confronté à soi-même, à la complexité des partitions, et à la réalité du monde artistique. Il faut alors transformer ces défis en opportunités.


Conscient de la précarité potentielle d'une carrière artistique, j'ai également poursuivi une formation commerciale, obtenant une maturité et un diplôme dans ce domaine. Parallèlement, animé par un intérêt intellectuel, j'ai étudié la théologie à l'université. Je trouve que la musique et la théologie sont intimement liées, par la recherche de l’interprétation des textes. Je retrouve aussi cette approche holistique chez certains compositeurs, ce qui est très gratifiant pour moi.


Venons-en, à une anecdote peu commune : pendant dix ans, j'ai travaillé à la « Boucherie des Charmilles » que tenait mon parrain et qui se trouvait en face de l’atelier d’Otto Hagmann, fondateur de Servette Music. C'est là que mon premier contact avec la fabrication d'instruments a eu lieu. D’ailleurs c’est Otto Hagmann lui-même qui m'a construit ma première trompette en ré, entièrement façonnée à la main. C'était un lieu de rencontre singulier, où, entre deux livraisons de viande, j'avais l'occasion de discuter avec lui et d'observer son travail d'artisan.


›   Concernant l'École de musique de Bernex, est-ce que ce projet est venu plus tard dans votre carrière ?


L'École de musique de Bernex a effectivement marqué une étape ultérieure dans mon parcours. À l'origine, il y avait en 1976 l'initiative de Madame Lisette Tévenaz, l'une des maires de Bernex, qui souhaitait créer une fanfare dans la commune. Un appel fut lancé dans le journal communal, réunissant initialement sept ou huit musiciens adultes. Le premier chef engagé a rapidement renoncé, face à l'ampleur de la tâche. C'est alors que Madame Tévenaz s'est rendue au Conservatoire, tombant sur mon professeur, Hermann Giger, qui m'a proposé de relever ce défi.


À mon arrivée à Bernex, j'ai constaté le potentiel du groupe, mais j'ai rapidement décidé de prendre une direction différente. Plutôt que de former une fanfare traditionnelle, j'ai envisagé de créer un ensemble plus diversifié, incluant des accordéons et se concentrant sur le folklore de la région, notamment celui de Genève et de la Savoie.


Cette idée a été bien accueillie, et nous avons commencé avec une petite formation. Rapidement, les musiciens ont exprimé le besoin de cours de rafraîchissement, que j'ai dispensés pendant un an. C'est à ce moment-là que Monsieur Raymond Maréchal secrétaire général de la commune, également musicien dans notre groupe, a suggéré de fonder une école de musique officielle, liée à notre ensemble, nommé La Brante. Ce nom a été choisi en hommage aux traditions viticoles de Bernex.


L'école a alors rapidement évolué. La mairie a proposé d'étendre l'offre aux enfants et nous avons commencé à recruter d'autres professeurs parmi mes connaissances dans le milieu musical. Nous avons établi un partenariat avec la commune : elle s'occupait de l'administration tandis que je gérais l'aspect pédagogique. Aujourd'hui, l'école compte 17 professeurs et 150 élèves, un développement remarquable depuis ses humbles débuts.



›   Quels sont vos projets actuels, enregistrements, groupes, concerts et autres activités musicales ?


Actuellement, mon agenda est assez chargé. Nous venons de terminer un enregistrement de trois jours à Lucerne avec « La Brante », un véritable défi compte tenu de la nécessité de créer des arrangements spécifiques pour le groupe. Ces arrangements sont réalisés par mon fils Matthieu et moi-même, adaptés aux compétences et envies de nos musiciens. Prochainement, Matthieu et moi retournerons à Lucerne pour les sessions de mixage.


Par ailleurs, nous organisons annuellement en collaboration avec « L’Avenir accordéoniste de Châtelaine » une soirée « Musique et Fondue ». Puis avec la commune, des « Concerts en famille » conçus spécialement pour les enfants, incluant une préparation pédagogique et une présentation thématique d'environ une heure. Après le concert, les enfants ont l'opportunité d'essayer les instruments et de dialoguer avec les musiciens. Ces concerts renforcent notre lien avec les habitants de Bernex et l'école de musique. Cette année le thème sera Peer Gynt.

Un autre aspect important de notre travail à l'école de musique est la promotion de l'ouverture musicale. Je tiens particulièrement à ce que nos élèves aient une vision globale de la musique, comprenant la polyvalence de leur instrument et l'impact de la musique sur soi et sur les autres. Pour cela, nous envisageons un plan d'études général et des interactions régulières entre les enseignants et les élèves, ainsi que des concerts démontrant les divers aspects de chaque instrument. Nous prévoyons également d'inviter des spécialistes extérieurs, pour enrichir l'expérience d'apprentissage de nos élèves. C'est une démarche que je m'efforce d'encourager parmi nos professeurs, pour cultiver une approche plus ouverte de l'enseignement musical.



›   Avez-vous d'autres projets en cours ?


Oui, il y a une dimension théâtrale fascinante dans mes projets récents. Nous collaborons étroitement avec des acteurs et des troupes de théâtre, où la musique joue un rôle essentiel, non pas comme un simple fond sonore, mais comme un élément qui valorise le texte et le travail de l'acteur. Notre collaboration est particulièrement étroite avec Patrick Brunet, un acteur avec lequel nous avons une synergie remarquable, mais s'étend également à d'autres troupes.


Ce travail collaboratif commence dès la genèse du projet, dès le choix du texte, et se poursuit tout au long du processus créatif. Patrick Brunet dirige également une école de théâtre, ce qui renforce davantage notre partenariat.


Nous avons récemment présenté un spectacle intitulé "Les nuages qui passent", centré sur la vie des artistes, des saltimbanques et des gens du voyage. Ce spectacle explore leurs interactions avec la musique, soulignant son impact sur leur vie et vice versa. C'est une exploration profonde de la manière dont la musique et le théâtre peuvent s'entrelacer pour raconter des histoires et transmettre des émotions.

 

›   Pourriez-vous nous parler de vos débuts avec la trompette, de votre premier instrument ?


Mon premier contact avec la trompette reste gravé dans ma mémoire. J'ai toujours cet instrument, que j'ai transmis avec grand soin à mon fils Matthieu. Il s'agit d'une trompette Aubertin, un modèle de perce assez petite, particulier de l'époque à laquelle j’ai débuté, mais qui avait déjà une innovation remarquable : un système de branches interchangeables. Cette caractéristique est devenue par la suite très prisée dans le monde de la trompette.


J'ai utilisé cette trompette pendant de longues années au Conservatoire, jusqu'à ce que les tendances musicales évoluent vers des instruments à plus grande perce dans les orchestres. Cependant, je constate avec plaisir un retour aux petites perces, surtout pour l'interprétation de la musique française classique, comme les œuvres de Debussy ou de Ravel. Les orchestres modernes tendent à rechercher des sons plus authentiques, reflétant les sonorités de chaque époque.


Cette première trompette, une Aubertin donc, est un instrument splendide, orné de gravures et de sculptures, et fabriqué en argent. C'était vraiment le summum de ce qui se faisait à l'époque au Conservatoire. Elle détient une place spéciale dans mon cœur et dans mon parcours musical.




›   Pouvez-vous nous parler de votre transition vers des trompettes de haute qualité dès le début?


En effet, j'ai eu la chance de commencer avec une trompette exceptionnelle, celle de mon père. Comme son instrument de prédilection était le baryton, il m'a laissé sa trompette lorsqu'il a intégré La Brante. J'ai conservé cette trompette jusqu'à l'arrivée des modèles Bach sur le marché. Puis, j'ai acquis ma première « Stradivarius » en Do.


Cette transition a coïncidé avec les innovations de René Hagmann (Servette-Music) dans la fabrication des trompettes Vibrabell. J'ai eu l'une des premières Vibrabell produites par René, dotée d'un pavillon et de branches interchangeables, ce qui était une grande avancée à l'époque. J'ai expérimenté avec différentes combinaisons de branches et de pavillons, toujours en quête de la perfection sonore, ajustant et modifiant certains éléments au besoin.


Cette trompette, que j'ai utilisée pour mon diplôme en 1979, reste encore aujourd’hui mon instrument principal. Son mécanisme, malgré les années, reste impeccable, témoignant de sa qualité exceptionnelle. C'est un instrument qui a non seulement une grande valeur sentimentale pour moi, mais qui continue aussi de me servir fidèlement dans ma pratique musicale quotidienne.


›   Vous avez mentionné que vous jouez de plusieurs instruments. Pourriez-vous en parler davantage ?


Effectivement, mon répertoire instrumental s'étend au-delà de la trompette. L'accordéon, par exemple, est un instrument que j'ai choisi principalement pour des raisons harmoniques. J'avais besoin d'un instrument facilement transportable pour ma troupe de clowns musicaux « Les Redzipets », que j'ai animé pendant dix ans avec mes cousins. Le piano n'était pas une option pratique. L'accordéon s'est donc imposé naturellement, et j'ai appris à en jouer à l’Avenir accordéoniste de Châtelaine.


Puis, il y a eu la contrebasse. Lorsque nous avons formé un orchestre de folklore pour accompagner des groupes de danse à Genève, il était nécessaire d'avoir une contrebasse. J'ai donc acquis cet instrument et, en autodidacte, j'ai appris à en jouer en me basant sur des disques et en pratiquant des gammes et d'autres exercices.


Quant au cor des Alpes, mon parcours avec cet instrument est assez particulier. En tant que trompettiste, j'ai trouvé certaines similitudes techniques, mais j'ai dû m'adapter à sa délicatesse unique. L'achat de mon premier cor des Alpes s’est fait un peu au hasard. J'ai ensuite cherché un instrument de meilleure qualité et me suis tourné vers Ernst Nussbaum, un fabricant réputé pour ses cors des Alpes de qualité exceptionnelle. J'ai eu l'occasion de démontrer mes compétences devant lui en jouant une pièce sur-le-champ, ce qui a renforcé notre relation.


Ces expériences avec différents instruments m'ont non seulement permis d'élargir mon horizon musical, mais m'ont aussi confronté à divers défis culturels et traditionnels, notamment en ce qui concerne le cor des Alpes et sa place dans la tradition musicale suisse. J'ai toujours défendu la perspective que chaque instrument, y compris le cor des Alpes, devrait être libre de toute contrainte traditionnelle et accessible à tous les styles de musique.


›   Vous jouez donc du cor des Alpes ?


Oui j’en joue et je l’enseigne.

Initialement, j'avais un modèle Pilatus, dont je n'étais pas entièrement satisfait. 

Aujourd’hui je joue sur des instruments de très bonne qualité, un Nussbaum (véritable « Stradivarius») et un cor fabriqué par Gérald Pot de Choëx qui a développé avec René un cylindre permettant de faire les demi-tons.


Le cor des Alpes d’Ernst Nussbaum est exceptionnel, fabriqué en arole, un bois rarement utilisé pour ces instruments. Le dernier cor des Alpes qu'il a fabriqué en arole était pour mon fils Matthieu, peu de temps avant son décès. Ses instruments sont hautement appréciés, recherchés et se vendent à des prix élevés en raison de leur qualité exceptionnelle.


Avec ce cor des Alpes, j'ai voyagé à travers l'Europe, participant à divers festivals et événements, et jouant même des pièces classiques comme la symphonie de Leopold Mozart pour cor des Alpes et orchestre. La pratique de cet instrument m'a aussi amené à composer environ 200 pièces dans divers styles et niveaux de difficultés, enrichissant mon enseignement et ma pratique musicale. Je pense que je me ferai enterrer avec cet instrument…



›   Jouez-vous d'autres instruments ?

 

Oui, ma palette instrumentale est assez large. Outre les instruments déjà mentionnés, je me consacre également aux cuivres graves en raison de mon intérêt particulier pour les tessitures basses. J'ai développé toute une théorie sur les tessitures et le choix des instruments, un sujet assez complexe dont il faudrait un jour que je fasse un livre.


Je me considère avant tout comme un musicien polyvalent plutôt qu'un trompettiste au sens traditionnel du terme. Pour moi, être trompettiste implique souvent une certaine exubérance, qui ne correspond pas tellement à ma personnalité.

Mes influences et préférences en matière de trompette sont reflétées dans des artistes comme Chet Baker et autres trompettistes renommés, tel Erik Truffaz avec qui j’étais au conservatoire. Cette approche plus nuancée et moins centrée sur la puissance du son me convient mieux.


›   Quels sont vos styles de musique préférés et vos influences les plus fortes ? Avez-vous évolué dans vos goûts musicaux au fil du temps ?

Il y a un paradoxe intéressant dans mes goûts musicaux. Les styles que je préfère sont souvent ceux que je joue le moins. En tant que musicien professionnel, on est souvent sollicité pour jouer une variété de genres, pas toujours en accord avec nos préférences personnelles. La solution pour un musicien est soit de lancer ses propres projets, soit d'accepter cette diversité.


En termes d'influences, j'ai une affection particulière pour la musique baroque, notamment depuis la renaissance des trompettes baroques. Cette redécouverte m'a permis d'apprécier la musique de cette époque sous un nouvel angle, en comprenant mieux l'harmonie et l'intention derrière ces compositions.


Récemment, je me suis également orienté vers la musique minimaliste, notamment celle d'Arvo Pärt. Sa musique capture l'essence de ce que je recherche : la beauté dans la simplicité. Cette approche s'aligne avec celle de Miles Davis, qui privilégiait les notes les plus significatives plutôt que la quantité.


Cependant, dans ma pratique professionnelle, je continue de jouer un large éventail de musiques, en fonction des engagements. Cette diversité est également enrichissante sur le plan social, me permettant de nouer des liens avec d'autres musiciens.

En conclusion, mes goûts musicaux ont considérablement évolué, passant d'une approche centrée sur la technique à une recherche plus profonde de l'âme et de l'expression dans la musique. Cette évolution reflète une quête personnelle pour une compréhension plus holistique et humaine de la musique.


›   Quelle est votre expérience avec Servette Music ?


Mon expérience avec Servette Music remonte à mes rencontres avec le papa de René, Otto Hagmann, notamment lorsqu'il s'occupait de mes premières trompettes. Par exemple, c'est lui qui a résolu les problèmes de mon Aubertin et a construit ma première trompette en ré. Il y avait donc un lien d'amitié solide avec Otto, qui s'est poursuivi avec René.


Chez Servette Music, René a toujours été disponible pour résoudre les problèmes urgents et pour réfléchir avec nous à des solutions adaptées. Il a cette capacité à comprendre et à adapter l'instrument aux besoins spécifiques du musicien, grâce à son expertise technique, son expérience musicale et sa grande humanité.


Mes instruments viennent de là, sont fabriqués et réparés là. Lorsque l'idée de pavillons interchangeables est apparue, Servette Music a été impliqué dans les essais et les ajustements. René a toujours été réactif aux retours et prêt à améliorer ses créations.


J'ai également eu l'occasion de collaborer avec un artisan pour créer une trompette en verre, Monsieur Guy Vigié à St-Guilhem-le-Desert inspirée par un modèle baroque que j'avais vu chez un collectionneur ancien corniste à l’OSR Monsieur Angelo Galletti René m'a aidé pour les dimensions et les spécifications techniques nécessaires. Cet artisan, spécialisé dans le travail du verre, et moi avons travaillé ensemble pour affiner cet instrument unique. C'est une trompette baroque en mi-bémol, que j'utilise toujours. Cette collaboration avec Servette Music et d'autres artisans a été un élément clé dans ma recherche d'innovation et d'expérimentation musicale.



›   Pourriez-vous présenter l'École de musique de Bernex en quelques mots, son organisation, ses particularités et les enjeux actuels ?


L'École de musique de Bernex a été initialement fondée pour soutenir les musiciens de La Brante, se concentrant principalement sur les instruments à vent. Nous avions un partenariat avec l'Accademia Vivace, une association de professeurs indépendants, qui se concentrait sur les instruments à cordes. Lorsque la directrice de cette institution a pris sa retraite, la commune a fusionné les deux, ce qui a permis d'élargir notre offre à tous les instruments.


J'ai tenu à préserver un axe de musique traditionnelle, avec des cours d'accordéon, d’accordéon schwyzois, de cor des Alpes, de yodel et autres, en évitant de marginaliser la musique folklorique suisse. Inspiré par des pratiques en Chine où les étudiants apprennent à la fois la musique occidentale et traditionnelle chinoise, j'ai souhaité maintenir cette dualité culturelle.


Un point crucial est l'évolution des professeurs et de l'enseignement. Par exemple, pour l'accordéon schwyzois et la guitare, il est essentiel pour moi que les étudiants apprennent à lire les notes et les tablatures. Cela s'applique également à d'autres instruments et styles. Lire les grilles et les accords en lettres et savoir accompagner par exemple.

L'école s'efforce de fournir une formation technique de qualité, avec des professeurs diplômés, tout en restant ouverte à la musique vivante et en respectant les traditions musicales.


Cependant, nous faisons face à des défis tels que l'espace et le financement. Bernex se développe rapidement, et nous avons de nombreux élèves en liste d'attente ce qui oblige à des décisions politiques majeures. La commune, en subventionnant les cours pour ses résidents, doit jongler entre les coûts et les bénéfices de tels investissements.



›   L'enseignement musical traditionnel a-t-il évolué ces dernières années avec l'arrivée d'Internet et des tutoriels en ligne ? Comment vous êtes-vous adaptés ?


Dans notre école, j'encourage les professeurs à utiliser la technologie avec modération. L'objectif est de maintenir un lien direct et humain entre le professeur, l'étudiant et son instrument. La technologie doit être un complément, non un substitut à l'enseignement.


Cependant, il y a des cas où la technologie devient une aide indispensable. Par exemple, une harpiste d’un orchestre dans lequel je jouais, par suite d’un accident ayant entraîné la perte de l'usage de ses jambes, a pu continuer sa carrière grâce à un système conçu par son mari. Ce système lui permettait de contrôler le pédalier de sa harpe avec son menton et d'accéder à ses partitions sur une tablette. Dans ce cas, la technologie a été un soutien crucial. 

›   Avec les évolutions technologiques, en particulier dans la musique digitale et la MAO (Musique Assistée par Ordinateur), avez-vous introduit de nouvelles filières à l'école ? Comment le numérique a-t-il influencé votre enseignement ?


J’ai choisi de ne pas intégrer la MAO ou la musique digitale dans notre enseignement. Mon approche consiste à encourager les professeurs à utiliser la technologie de manière mesurée. Par exemple, avec notre nouvelle professeure de chant, l'utilisation de la sonorisation est faite de manière fine et intelligente. L'idée est de comprendre la technologie sans en faire l'objectif principal.


Lors de nos enregistrements, par exemple, l'accent est mis sur la musicalité et l'expression plutôt que sur la correction technique. On peut certes corriger des erreurs mineures, rien ne remplace la musicalité et l'expression artistique.


Dans le passé, les musiciens étaient capables de s'adapter instantanément à des changements comme transposer une pièce sur-le-champ, s’accorder sans machine. Aujourd'hui, cette compétence tend à diminuer avec la facilité de la transposition numérique et les accordeurs. Cependant, je suis conscient que cette évolution est inévitable et que le prochain directeur pourrait avoir une perspective différente.


Je reste convaincu que la musique doit d'abord émaner de l'humain derrière son instrument. Même avec des instruments moyens, un musicien talentueux et expressif peut captiver son auditoire. C'est cette humanité et cette capacité à transmettre quelque chose à travers la musique que je souhaite préserver, malgré l'avancée des technologies.



›   Êtes-vous également compositeur et arrangeur ? Aimez-vous ces aspects de la musique ?


Oui, je suis compositeur et arrangeur. Mon parcours en composition a débuté plutôt par nécessité. Il fallait créer et adapter des pièces pour mes élèves et pour les orchestres de jeunes que je dirigeais à l'école de musique et pour La Brante. Cette nécessité m'a conduit à l'arrangement et à la transposition de morceaux existants.


Avec le temps, j'ai commencé à composer mes propres œuvres, notamment pour le cor des Alpes, cherchant à innover et à explorer des horizons musicaux moins conventionnels. La composition et l'arrangement sont des processus qui m'ont souvent apporté de la joie, bien que parfois je me retrouve avec une certaine frustration en réécoutant certains morceaux.


L'une des difficultés de la composition est de transmettre aux interprètes l'intention et l'émotion d’une pièce. Chaque tonalité, chaque note choisie a son importance et son but spécifique. Les compositeurs de jadis utilisaient des tonalités spécifiques pour des raisons précises. Il est parfois difficile de faire comprendre ces subtilités aux musiciens.


Cela peut être frustrant quand les interprètes se concentrent principalement sur la technique et négligent l'esprit de la pièce. Même en dirigeant ou en enseignant moi-même, il est difficile de faire passer ces nuances. Il y a toujours une distance entre l'idée originale dans mon esprit, sa transcription sur le papier, l'interprétation finale par les musiciens et bien sûr le ressenti du public.



›   Pensez-vous que tous les grands compositeurs éprouvent ou ont éprouvé de la frustration ?


Oui, je crois que la frustration fait partie intégrante de l'expérience des compositeurs. Cette frustration se manifeste dans leurs écrits et dans leur manière de vivre. Elle est présente à différents niveaux, même lorsqu'ils travaillent avec les meilleurs orchestres.


Plus un compositeur s'engage dans une recherche artistique et humaine approfondie, plus il est susceptible de ressentir cette frustration. Cela s'apparente à la situation des peintres qui se demandent constamment quand leur œuvre est véritablement terminée. Ils doivent finalement laisser partir leur tableau, ne sachant souvent pas si leur intention sera pleinement perçue.


Cette idée s'applique également aux écrivains et à leur lutte pour exprimer leurs pensées profondes à travers les mots. Pour un compositeur, il y a toujours une certaine distance entre la vision originale, sa réalisation musicale et la réception par les auditeurs. Même si une œuvre est bien jouée, il y a toujours cette question : atteint-elle vraiment le fond de ce qu’il voulait exprimer ?

›  Quel est le meilleur souvenir de votre carrière musicale ou vos moments les plus mémorables ?


Parmi mes meilleurs souvenirs, il y a certainement ceux où j'ai ressenti une connexion profonde avec d'autres musiciens, allant au-delà de la musique pour créer une expérience partagée avec le public. Un moment particulièrement marquant a été la représentation de l'œuvre "La Sainte Folie de Nicolas" de Jean-Marie Curti, qui racontait la vie de Nicolas de Flüe (Saint patron de la Suisse). Nous l'avons jouée lors du 700ᵉ anniversaire de la Confédération en 1991, dans une église en Valais, avec moi comme seul musicien (trompette en verre, Büchel et cor des Alpes), accompagné d'une basse profonde, d’une soprano colorature et d’un chœur de femmes.

Ce qui rend ce souvenir spécial, c'est la réaction du public. À la fin de la pièce, il y a eu un silence complet. Personne n'a applaudi, absorbé par la profondeur et l'atmosphère de la performance. Il a fallu plusieurs minutes pour que l'audience puisse relâcher la tension et applaudir. Ce jour-là, j'ai vraiment senti que nous avions atteint quelque chose de profond et d'unique.


En dehors de cela, les concerts de Miles Davis sont aussi parmi mes souvenirs les plus précieux. Chaque fois que j'ai assisté à l'un de ses concerts, j'en suis sorti complètement transformé, retourné par l'expérience. Ces moments ont été des jalons significatifs dans ma vie musicale, m'inspirant et m'influençant profondément.



›   Quels sont les projets futurs qui vous tiennent à cœur ?


Alors que j'approche de ma retraite en tant que directeur de l'école de musique, je me tourne davantage vers la réalisation de projets musicaux personnels. Mon objectif est de consacrer mon énergie à la création musicale, me libérant ainsi des contraintes de gestion et des responsabilités administratives.


Je souhaite me concentrer sur des projets qui me passionnent, travaillant avec des musiciens que j'apprécie tant sur le plan musical qu'humain. C'est une démarche vers l'essentiel, une occasion de m'immerger pleinement dans la musique avec des collaborateurs partageant les mêmes visions et aspirations artistiques.

›   Quel conseil donneriez-vous à un jeune musicien ou une jeune musicienne pour se lancer dans la musique, notamment la trompette ? 

Le conseil le plus important que je peux donner est de s'immerger dans la musique vivante. Il est essentiel d'assister à des concerts en direct, d'observer des musiciens professionnels, de discuter avec eux, et de comprendre les réalités de leur vie. Cela permet de dédramatiser les fausses notes et les moments de stress, et d'embrasser pleinement la musique tout en comprenant l’exigence et le travail qui va avec.

Pour les jeunes musiciens, il est aussi important d'écouter activement divers genres musicaux.


Il est également crucial de vivre l'expérience musicale comme un échange vivant, une interaction joyeuse avec l'instrument. Cette approche peut débuter avec le professeur ou au sein de la famille. J'ai personnellement habitué mes enfants à la musique dès leur plus jeune âge, les emmenant à des répétitions et des concerts, leur permettant de grandir dans cet environnement.


Enfin, choisir le bon instrument est un moment stratégique et essentiel dans la vie musicale d'un enfant. Cette décision doit être mûrement réfléchie, car elle peut influencer significativement son parcours musical. Il s'agit de trouver l'instrument qui résonne véritablement avec l'âme et les aspirations d’un jeune musicien ou d’une jeune musicienne.


C’est un domaine passionnant et qui mériterait d’être beaucoup plus pris en compte par les enseignants.


Peut-être en parlerons-nous un jour à bâtons rompus !