> Bonjour Marek, tu es professeur de guitare classique au Conseratoire Populaire depuis 2005, quel est ton parcours musical ?
Mon parcours est un peu atypique. J’ai commencé sérieusement la guitare tardivement à l’âge de seize ans en arrivant de Pologne. Après mon Bac International je suis entré à l’Université de Genève en musicologie. Pour poursuivre ma formation, j’ai cherché un professeur de classique qui pouvait aussi m’initier au flamenco, un style qui m’avait toujours attiré. Je l’ai trouvé en la personne de Pedro Ibañez qui enseignait dans la région parisienne. En même temps, l’Université permettait de suivre les cours théoriques du diplôme du Conservatoire au sein d’un cursus spécial, et j’ai pu compléter ainsi ma formation.
Quand j’ai atteint la demi-licence, je suis parti pour la Manhattan School of Music à New York. J’y ai fait des rencontres formidables qui m’ont permis de beaucoup évoluer. Cette année a été très riche du point de vue musical. J’ai étudié avec le grand guitariste Manuel Barrueco, j’ai rencontré le compositeur Arthur Kampela qui est devenu mon ami. Nous allions dans les petits clubs de jazz où l’on pouvait encore voir les grands musiciens de l’époque tels que John Scofield, Joe Lovano ou Egberto Gismonti.
De retour à Genève, j’ai terminé l’université, et je suis rentré en virtuosité à Lausanne dans la classe de Dagoberto Linhares, où j’ai obtenu la Licence de Concert en 1996. Voilà pour le côté académique. Parallèlement, j’ai rencontré un immense pianiste classique, et un pédagogue hors-normes, György Sebők, à Bloomington. Je suis d’abord allé le voir comme auditeur dans ses masterclasses à Ernen, puis je suis devenu un des rares guitaristes qu’il a acceptés comme participant. Son approche humaniste de la musique m’inspire tous les jours.
Depuis toujours j’ai beaucoup enseigné dans le privé, puis en 2005, j’ai obtenu un poste au Conservatoire Populaire, où je me sens très à l’aise au sein d’une formidable équipe. A côté de l’enseignement, je me suis aussi lié d’amitié avec des musiciens d’un groupe celtique, Celtofools, avec lesquels j’ai joué beaucoup de concerts sur les scènes romandes. J’ai aussi accompagné Oscar Mancino, un baryton italien, spécialiste de Bel Canto Napoletano, dans le répertoire de chanson napolitaine.
> Quels sont tes styles préférés ? Comment as-tu évolué avec le temps ?
La musique de Bach m’a toujours fasciné. Depuis une dizaine d’années, je poursuis un projet novateur avec un ami de trente ans, Ricardo Lopes Garcia, un de mes premiers profs. L’idée est de repenser les transcriptions pour guitare avec comme base un accord inédit, et tout revoir : les doigtés, l’articulation, et l’harmonisation. Nous essayons d’imaginer ce que Bach aurait fait sur cet instrument qui n’existait pas à son époque. Il y a deux disques à la clé, enregistrés par le mythique preneur de son Jean-Claude Gaberel, et nous continuons à travailler animés par la même passion.
Mon autre style de prédilection est le flamenco, que j’ai découvert avec Paco de Lucìa. La première fois que j'ai assisté à un de ses concerts, j’ai entendu des passages qu’auparavant j’avais pensé être exécutés par plusieurs guitares. Mais non, c'était juste lui. Il faut le regarder jouer pour se rendre compte de la profondeur de son talent, car il n’a pas laissé d’élèves derrière lui, auxquels il aurait enseigné ses techniques. Il n’y a pas une école ou une méthode Paco de Lucia. Je regarde donc des vidéos, et c’est toujours impressionnant d’observer la modernité de son approche, ses doigtés, ses harmonies et son éblouissante technique. C’est une manière d’entrer dans son monde à lui. L’objet n’est pas de copier, mais de passer par là, pour s’inspirer de son style de composition.
Je me suis aussi récemment intéressé aux guitaristes folk qui emploient des techniques de picking comme Chet Atkins, ou Tommy Emmanuel, et dont le jeu n’a rien à envier aux performances des musiciens classiques. Sylvain Luc, aussi. La liberté avec laquelle il évolue dans ses improvisations est bluffante.
> Quels sont tes styles préférés ? Comment ton approche a-t-elle évolué avec le temps ?
J’ai débuté sur une Tele, mais mon premier coup de cœur était la Les Paul, sur laquelle j’ai longtemps joué. Puis à la fin des années 90, j’ai commencé à m’intéresser aux Strats. S’en est suivi une phase de recherche un peu effrénée, durant laquelle j’ai essayé de concevoir, avec des luthiers, une guitare qui comporte les qualités que je trouvais à la Les Paul, mais aussi ce qui à mon avis lui manquait. C’est à ce moment que j’ai acheté une Strat un peu pourrie en attendant, mais figure-toi que cette guitare, qui me servait quelque part de tampon, est devenue ma principale, et j’ai envoyé balader toutes les guitares de luthier.
Ensuite, je me suis mis à assembler moi-même mes guitares, des “Partscaster”. Comme j’étais électronicien, c’étais facile pour moi, puis un jour, j’ai quand même acheté une Dealer Select aux US, une superbe Sunburst 65. Pour finir, étant fan de Kenny Wayne Shepherd, j’ai mis la main sur une Olympic White magnifique, Dealer Select aussi, et c’est ma guitare préférée depuis.
Maintenant, j’ai aussi évolué dans le sens où je me suis intéressé aux acoustiques il y a quelques années, et j’aime spécialement les OM 0000 de Martin.
> Quels sont tes guitares préférées ?
Voici ma guitare, c’est ma préférée : une Lowden classique, que j’ai achetée ici, et une Bellido flamenca, que j’ai achetée à Grenade. Parti en Espagne pour acheter une guitare, mon état d’esprit était d’en prendre une si j’avais un coup de cœur. A Séville et à Grenade, j’ai essayé beaucoup de choses, très chères, des attrapes-nigauds. Et puis je suis allé chez un luthier, qui avait trois guitares identiques, faites du même morceau de bois. Pour deux d’entre-elles, je ne les aurais jamais achetées. Mais la troisième, la mienne, c’était le coup de foudre. Parfois je regrette de ne pas essayer plus de guitares. D’un autre côté, rester fidèle à ses instruments permet de très bien les connaitre. Aucun choix n’est mauvais, mais du coup, je n’ai pas vraiment une vision de ce qui se fait.
> Tu as vu nos instruments en magasin, lequel a retenu ton attention ?
Je ne regarde pas les instruments, car je ne suis pas à la recherche d’une guitare. Quand un ami me montre une guitare, je m’y intéresse, bien sûr, mais je n’ai pas d’élan particulier qui me rendrait attentif aux instruments que je vois autour de moi.
> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?
J’ai acheté ma première belle guitare en 1981, une Hopf, modèle Madrid, jouée actuellement par mon neveu. Je l’ai gardée pendant très longtemps, elle m’a bien servi. Plus récemment, j’ai acheté la Lowden classique, avec table en épicéa. Elle m’a plu tout de suite, avec ce son équilibré, et le confort du manche. George était venu lui-même la présenter pour un concours ici à Genève, et je me souviens avoir réorganisé mes priorités financières pour l’obtenir, au nez et à la barbe d’une guitariste américaine très intéressée, elle aussi. Maintenant, j’envoie tous mes élèves chez vous, et Sergio est comme un ami. Je n’ai pas encore rencontré votre nouveau luthier, car je n’ai pas eu de problèmes de lutherie depuis un moment (rires).
> Quels sont tes projets musicaux actuellement ?
Continuer mes transcriptions de Bach. Nous n’en sommes pas au bout, et je pense que ma retraite va encore être consacrée à essayer de terminer ce vaste projet. J’ai la possibilité d’éditer mes partitions par les éditions Bergmann, et je vais m’y atteler ces prochaines années. J’anime aussi un module flamenco pour les guitaristes classiques au Conservatoire. Comme je suis moi-même à la frontière entre le flamenco et le classique, c’est certainement une des voies qui me convient le plus. A part cela, faire vivre le répertoire avant-gardiste de mon ami Arthur Kampela, dont la musique est, apparemment, très loin du classique ou du flamenco, mais qui porte en elle une réflexion profonde et unique sur le monde contemporain, est un challenge passionnant.
> Comment l’enseignement de la guitare classique a-t-il évolué au cours des années dans ton expérience ?
Au conservatoire, on essaie de donner des bases solides. La façon d’enseigner évolue, bien sûr, mais certains morceaux fondamentaux restent au cœur de l’apprentissage. Après, aujourd’hui on répond bien sûr aux élèves quand ils nous demandent de leur apprendre une sonnerie de téléphone, ou une musique de jeu vidéo. Ils ont les yeux qui brillent tellement, c’est impossible de résister.
D'une manière générale, internet a pas mal changé la donne, notamment en termes de découverte : on peut partager plus de musique très facilement, échanger des idées, à travers cette vaste bibliothèque/discothèque. J’ai aussi l’impression que les jeux vidéos ont posé une certaine empreinte sur l’approche de certains jeunes, qui ont parfois l’air de se dire “j’ai fait une fausse note, mais c’est pas grave, j’ai encore sept vies, je peux continuer” (rires).